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à un vieux tyran. A Dieu ne plaise qu'elles regrettent les charmes de la domination et les douceurs de la tyrannie! elles ont, au contraire, disent-elles, une passion très-vive pour la liberté ; mais elles veulent qu'on se montre sensible, et qu'on respecte les droits du malheur. Ces personnes charitables accusent madame de Staël d'avoir parlé de l'illustre malheureux avec trop peu de ménagement; elles attribuent à la passion les vérités sévères qu'elle a dites, et ne peuvent pas lui pardonner d'avoir mis à nu le restaurateur d'un régime sémi-féodal. Pour nous, que les malheurs des tyrans ne touchent guère et que tant de sensibilité n'aveugle pas, nous croyons, au contraire, que madame de Staël a rendu à la nation française un véritable service en lui présentant le tableau d'un régime sur lequel quelques personnes pouvaient encore être abusées; nous croyons aussi que, loin d'en avoir exagéré les vices, elle a laissé beaucoup à dire, et que, si la liberté triomphe, la postérité fera descendre Bonaparte et les hommes qui ont concouru à établir son système politique, bien au-dessous du point où elle les a placés.

M. Bailleul assure que, dans sa réfutation, il ne s'est attaché qu'aux erreurs les plus essen

tielles, qu'autrement il aurait fait des volumes. Nous pouvons assurer aussi que, si nous avions voulu combattre toutes les erreurs ou tous les faux principes qu'il défend, nous aurions fait un ouvrage plus volumineux que le sien. Il est peu de pages de son livre où l'on ne trouve quelque critique fausse ou puérile. On dirait qu'il n'a entendu l'écrit dont il a entrepris pas la réfutation; et ce n'est qu'aux dépens de son jugement qu'on peut faire l'éloge de sa bonne foi. Il prétend que madame de Staël a présenté les faits de la manière qui pourrait être la plus avantageuse pour M. Necker; si cela était, ce serait un tort sans doute. Mais que serait-ce donc si elle avait défendu de faux principes pour justifier des opinions injustifiables qu'elle aurait émises dans d'autres temps? C'est cependant ce que paraît avoir fait M. Bailleul; son écrit n'est, à proprement parler, que l'apologie de la conduite qu'il a tenue dans sa carrière législative on voit que les mesures qu'il dé: fend dans son ouvrage, et celles qu'il a soutenues ou provoquées, soit dans le sein de la convention, soit au conseil des cinq-cents, sont exactement les mêmes.

Il ne faut pas croire cependant que tout soit erreur dans son livre. La position dans laquelle

il s'est trouvé lui a permis de voir certains faits ou de connaître certaines personnes mieux que madame de Staël, qui était plus éloignée que lui du lieu de la scène (1): mais c'est une faible compensation des faux principes qu'il défend. Si la forme de l'ouvrage était aussi séduisante que le fond en est mauvais, nous n'hé siterions point à dire que c'est un livre trèsdangereux : mais les vices du style et la faiblesse des raisonnemens lui ôtent toute espèce de dangers; les esprits les plus faciles à der peuvent le lire sans crainte d'être séduits, sinon par l'exposition d'un petit nombre de faits, au moins par les principes.

persua

(1) Madame de Staël, en rendant compte de ce qui s'est passé au corps législatif en 1813, a commis une erreur qui se trouve dans un de nos volumes, et que M. Bailleul n'a point relevée. - Voyez, à la fin de ce volume, la lettre d'un ancien membre du corps législatif.

TROISIÈME PARTIE.

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ACTES DE GOUVERNEMENT.

RENOUVELLEMENT DU MINISTÈRE.

Le dernier ministère venait de perdre, par l'effet des élections, la majorité qu'il avait dans la chambre des députés. Sur cinquante et quelques députés que les colléges électoraux devaient élire, il n'avait pu faire choisir que vingt-deux des présidens envoyés par la cour, et un petit nombre de fonctionnaires publics arbitrairement destituables. Plusieurs candidats, en faveur desquels il avait épuisé tous ses moyens d'influence, n'avaient point été élus. D'autres, contre lesquels il avait déployé tout un code d'intrigues et de manœuvres, avaient au contraire été choisis. Il se trouvait, par le résultat de la bataille électorale que le nombre de ses représentans dans la chambre était réduit de près du quart. Celui des défenseurs du parti ultra royaliste l'était à peu près

d'un cinquième ; le côté gauche seul s'était recruté. On jugeait, par aperçu, que les forces de l'extrême et de la moyenne droite, seraient encore de soixante-dix à quatre-vingts députés; celles du centre d'un peu plus de quatre-vingts, et celles du côté gauche, en y comprenant les doctrinaires, d'environ soixante-quinze. Il paraissait donc évident que le ministère n'avait plus à lui seul la majorité dans la chambre, et que, pour pouvoir se soutenir, il serait dans l'obligation d'incliner vers la droite ou vers la gauche, et de s'appuyer sur les libéraux ou sur les ultra.

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La faction des hommes monarchiques ne tarda pas à juger que cet instant était décisif pour elle. Elle sentit que c'en était fait de son influence dans les affaires, si, dans l'embarras ou se trouvaient les ministres, elle ne parvenait à leur faire accepter ses secours et à obtenir, pour prix de son alliance, une loi d'élection à la faveur de laquelle elle pût espérer de recouvrer un jour la majorité. Le ministère, battu par celle qu'il avait établie, devait naturellement être peu disposé à la défendre. Il devait également, et pour plus d'une raison, se sentir peu de penchant à favoriser le parti auquel cette loi portait la majorité. La faction comprit très

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