Page images
PDF
EPUB

diés, et la chambre dissoute d'un même coup. Nous leur demandons quel serait alors l'état de leur âme, et si leur conscience serait à son aise pour avoir fléchi un moment devant des noms d'hommes.

Le 31 décembre, le projet de loi sanctionné par la chambre des députés, a été présenté à la chambre des pairs, qui l'a adopté sans discussion à la majorité de 103 voix contre une. Nous n'avons pas de jugement à porter sur ce

vote.

A. THIERRY.

DU PROJET DE LOI

SUR LES POUDRES ET SALPÊTRES.

LE gouvernement avait déjà le monopole de la fabrication et de la vente des poudres. Il avait aussi le monopole de la fabrication du salpêtre indigène; mais l'importation du salpêtre exotique était permise, et tous les arts industriels qui font usage de cette matière, pouvaient la recevoir librement du commerce extérieur. Aujourd'hui, le gouvernement demande que l'industrie ne jouisse plus de cette liberté ; il demande que l'importation des salpêtres soit frappée d'un droit assez fort pour qu'on ne puisse plus en tirer du dehors; et, tandis qu'il veut qu'on interdise l'emploi du salpêtre exotique, il se réserve le privilége à peu près exclusif de la fabrication du salpêtre indigène ; il veut que les manufactures de produits chimiques, les pharmacies et les arts de toute espèce, qui consomment annuellement plus de trois cent mille quintaux de salpêtre, ne puissent plus l'acheter que de la direction des pou

dres, et au prix qu'il plaira au gouvernement de fixer.

Et quels sont les motifs sur lesquels le gouvernement appuie la demande de ce nouveau monopole? Ces motifs sont la nécessité de favoriser une production utile à l'industrie et indispensable pour la On prévoit la posguerre. sibilité d'une guerre qui fermerait nos ports et nous mettrait dans l'impossibilité de tirer des salpêtres de l'Inde. On veut que, ce cas arrivant, la production du salpêtre indigène ait fait assez de progrès pour pouvoir suffire à la fois aux besoins de l'état et à ceux de l'industrie; et c'est pour favoriser ce progrès qu'on propose de prohiber l'importation du salpêtre exotique, et de donner au gouvernement le privilége de la fabrication et de la vente du salpêtre indigène.

Vouloir s'assurer qu'en cas de guerre l'état et l'industrie ne manqueront pas d'une denrée de première nécessité, c'est assurément un projet très-louable. Mais le moyen qu'on propose pour cela était-il bien nécessaire, et ce moyen d'ailleurs va-t-il au but qu'on dit vouloir atteindre ?

Avant la révolution, on n'avait pas pris de précaution de ce genre; on ne s'était pas préparé par des lois destinées à favoriser la pro

duction du salpêtre indigène, à la guerre que la révolution a provoquée ; cependant, on ne sache pas que, pendant le cours de cette longue et vaste guerre, la France ait jamais manqué de salpêtre. Comment, après une telle expérience, peut-on dire qu'il faut favoriser la production du salpêtre pendant la paix, sous peine d'en manquer quand la guerre éclaterà?

Mais supposons qu'il fût nécessaire de s'aviser d'avance; la précaution qu'on propose est-elle la bonne, et est-ce en donnant dès à présent un grand développement à la fabrication du salpêtre indigène qu'on peut acquérir la certitude de n'en pas manquer au besoin?

Il nous semble d'abord que, quand on veut faire prendre un grand développement à une branche d'industrie, on ne commence pas par s'attribuer le privilége à peu près exclusif de l'exploiter. C'est une maxime devenue triviale, que nulle industrie ne fait de progrès qu'en raison du degré de liberté dont elle jouit, et il est assurément assez étrange de voir une administration qui prétend vouloir favoriser la fabrication du salpêtre, commencer par accaparer tous les terrains propres à en produire, et ne laisser la liberté d'en extraire que des lieux

placés hors de la circonscription des salpêtrières royales, c'est-à-dire, des lieux où elle a reconnu qu'il n'y en avait point.

Mais admettons que la meilleure manière de favoriser un genre quelconque de production soit de l'accaparer; est-ce en favorisant la fabrication du salpêtre indigène, c'està-dire, en faisant faire une extraction immense et continue, en obligeant tous les arts à ne consommer que du salpêtre tiré de notre sol, qu'on est sûr de n'en pas manquer quand la guerre arrivera ? C'est au contraire par cet expédient qu'on court le risque de n'en pas avoir assez quand on n'en pourra plus tirer d'ailleurs. Le salpêtre est une substance dont notre sol est naturellement avare. Pour en avoir avec quelque abondance et ne pas se ruiner en frais d'extraction, il faut l'attendre, il faut le laisser s'accumuler ; et plus on en veut consommer maintenant, plus on est sûr d'en manquer plus tard. Le projet, en provoquant une grande consommation actuelle du salpêtre indigène, va donc directement contre le but qu'il dit vouloir atteindre; il expose l'état et l'industrie à manquer de cette matière lorsqu'on ne pourra plus la recevoir du commerce extérieur.

« PreviousContinue »