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gouvernante a découvert depuis long-temps qu'elle était à elle seule une nation, et sans distinguer les langues, les mœurs, ou le pays, les potentats se sont appelés frères; les peuples n'ont pas vu que, par une raison pareille, il y avait aussi fraternité entre eux; ét l'espèce humaine pour chaque nation a fini aux bornes de son langage, au bord de ses derniers fleuves, au pied de ses dernières montagnes. Un peuple a vu souvent enrôlés sous les drapeaux de ses oppresseurs les maîtres des peuples voisins; un peuple presque jamais n'a vu se joindre à lui d'autres peuples contre ses maîtres. La confédération du pouvoir a été permanente en Europe; il ne s'est pas écoulé un seul quart de siècle sans rassemblemens sans délibérations communes, sans congrès, sans traités, sans alliances de rois. La confédération de la liberté n'a jamais paru; les hommes, qui devaient s'aider mutuellement, n'ont vécu que pour être la matière des complots qui se tramaient contre eux.

Charles II, suivant le conseil que lui avait donné Clifford, pensait qu'il était plus honorable pour lui d'être le valet soldé d'un homme puissant et généreux de sa caste, que d'être soumis au contrôle de cinq cents des hommes

subjugués par ses aïcux (1). Il paraît que, vers le commencement de cette année, Louis XIV resta en arrière de ses engagemens, et différa de payer les quartiers de la pension convenue (2). Charles ne voulut pas souffrir ce manque de foi; et, quoique son intérêt fût de ne point convoquer un parlement, et que Louis XIV le gratifiât pour une chose à laquelle il avait tenté d'arriver pour lui-même, et qui avait été l'objet de ses devanciers, voulant menacer son allié, il manifesta le dessein de faire procéder à de nouvelles élections (5). Cette opinion de Charles II, qu'il forcerait ainsi Louis XIV à tenir sa promesse, est un témoignage frappant de ce que valent pour l'Europe les assemblées représentatives.

Aucun préparatif n'était fait encore pour réaliser le projet apparent du roi (4). Sans doute il lui eût suffi que la nouvelle en parvint à son débiteur. Sur ces entrefaites une maladie le surprit, et après six jours elle mit fit à sa

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(3) Fox, Histoire de Jacques II, tome I, page 127. (4) Idem.

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vie et à son commandement. Dans son lit de mort il communia à la manière des catholiques, de la main d'un prêtre catholique (1). Cette complaisance lui fut arrachée par son frère et par ceux qui l'avaient servi; il leur semblait que ce dernier acte du général décédé devait établir une autorité de fait en faveur de la religion de son successeur. Charles II, durant toute sa vie, n'avait jamais eu de préférence pour les hommes à cause de leur religion; il avait accueilli toutes les sectes qui avaient voulu l'aider dans ses desseins; les catholiques s'étaient présentés en plus grand nombre; il les avait accueillis comme des serviteurs, il avait aimé leur religion comme la cause de leur bassesse. Elle n'était à ses yeux qu'une bonne arme; il l'avait maniée à 'sa guise, sans s'y asservir ou se gêner pour elle (2). A. THIERRY.

N. B. Cette histoire sera continuée dans l'un des prochains volumes.

(1) Hume, ch. LXIX, p. 501.-Dalrymple's App. (2) Voyez les portraits de Charles II, par Burnet et le comte de Mulgrave; et, dans le tome VIII, la 3. partie de cette Histoire.

DE L'INFLUENCE

Qu'exercent sur le gouvernement les salaires attachés à l'exercice des fonctions publiques.

On a beaucoup parlé des tributs que nous payons au gouvernement sous le rapport des privations qu'ils nous imposent, des effets qu'ils ont ativement à notre aisance, à notre prospérité, au progrès de la richesse nationale; mais on ne paraît pas avoir fait la même attention à l'influence qu'ils exercent sur le gouvernement lui-même. Notre dessein ici est de les considérer sous ce point de vue spécial. Nous nous proposons de rechercher quel est, relativement au gouvernement, l'effet des salaires que nous payons aux hommes qui gouvernent. Nous voulons examiner si l'on peut, sans péril pour la liberté, faire du service public une profession lucrative; si l'on peut salarier le gouvernement sans le rendre ennemi des intérêts que son devoir est de garantir; s'il est possible d'en faire une industrie sans qu'il dégénère en exploitation, en despotisme.

Il est des pays où nul ne peut s'enrichir que dans l'exercice des professions privées, où le service public est une charge pour tous et n'est

un bénéfice pour personne, où le pouvoir ne rapporte à ceux qui l'exercent que de la considération et des fatigues, où les places, loin d'être un fonds à exploiter, n'offrent pas même en général des moyens d'existence, si ce n'est aux employés subalternes et pour ainsi dire aux manoeuvres de l'administration. Nous pouvons citer en exemple quelques cantons de la Suisse ; nous pouvons citer encore les États-Unis. Il est fort peu de commis dans la république de Genève qui ne soient mieux payés que les fonctionnaires les plus éminens. La république n'accorde annuellement à son premier magistrat que quatre-vingts louis; elle n'en donne pas plus de soixante à ses fonctionnaires du second ordre. Dans d'autres états de la confédération helvétiles salaires attachés aux premiers emplois sont encore plus exigus. Ils ne le sont pas moins, proportion gardée, aux États-Unis d'Amérique. La liste civile du président des vingtdeux états n'égale pas, à beaucoup près, le traitement d'un de nos ministres : il ne reçoit annuellement que 25,000 dollars, environ 125,000 francs. Les ministres n'ont que 4.500 dollars, environ 22,500 francs. La dépense du président des chambres et des divers services de l'intérieur, moins la guerre et la marine,

que

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