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LIBRAIRIE JACQUES LECOFFRE
ANCIENNE MAISON PERISSE FRERES DE PARIS

LECOFFRE FILS ET CIE, SUCCESSEURS

90, RUE BONAPARTE

1870

VIE

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R. P. LACORDAIRE

CHAPITRE XII

Réaction en France contre les Ordres religieux discours de M. Isambert; démarche des députés de la Gironde; question de la liberté de l'habit monastique. Mort de Piel. Lacordaire établit son quartier général à Bosco. Euvre dominicaine. Station du Père à Bordeaux. Ses allocutions à Tours et à Paris; réclamations qu'elles soulèvent; profession de foi politique de Lacordaire. Séjour en Italie; six mois à Bosco. - Station de Nancy: M. de SaintBeaussant; premier couvent dominicain. Incident au collège de Nancy. Lacordaire remonte dans la chaire de Notre-Dame de Paris (hiver de 1843-1844). Son attitude et celle de M. Affre dans la lutte pour la liberté de l'enseignement. M. de Montalembert en 1844.

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Chose digne de remarque! Au moment même où le P. Lacordaire, à Rome, était à quelques égards mis en interdit comme suspect de visées révolutionnaires, à Paris il était dénoncé comme la contre-révolution en personne. En effet, c'est le 5 mai 1841 que défense fut faite, à Rome, à Lacordaire, d'exercer aucune direction sur ses compagnons. Or c'est le 3 mai de cette même année qu'à Paris, aux longues acclamations de la Gauche, un

LACORDAIRE. 11.

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DENONCIATION ISAMBERT.

membre de la chambre des Députés et de la cour suprême de magistrature du royaume, M. Isambert, déclara solennellement à la tribune que les institutions modernes étaient en péril. Pourquoi? Parce qu'il s'agissait de rétablir en France un ordre monastique (et l'un des plus dangereux qui eussent jamais existé), un ordre aussi remuant, aussi ambitieux que celui des Jésuites, l'Ordre, en un mot, qui a organisé l'Inquisition. Et l'honorable magistrat ne manqua pas d'ajouter que, bientôt, Lacordaire ferait l'éloge de la Saint-Barthélemy. Il faut bien le reconnaître, la majorité des Français qui savait lire en était là. Sous le règne de Louis-Philippe, au moment où le principal Ministre était un protestant, M. Guizot, ils avaient peur de l'Inquisition et de la Saint-Barthélemy. Et le grand conseil de la nation ne riait pas de cette fantasmagorie déclamatoire. Qu'on le sache bien, ce n'était pas l'opposition seulement, c'étaient les préfets, les procureurs généraux, les magistrats de tous les ordres, les députés de la majorité surtout qui, depuis trois mois, ne cessaient de persécuter le Ministre pour qu'il arrêtât les empiétements de l'Église. Au premier bruit d'une station qui devait être prêchée par le Père à Bordeaux et de l'offre qui lui était faite d'une maison située dans ce diocèse, les dix députés de la Gironde, ministériels tous les dix, se présentèrent en corps à la Chancellerie : ils venaient déclarer au Garde des sceaux que, si le Gouvernement n'empêchait pas l'introduction, dans leur département, de l'Ordre de Saint-Dominique, ils dénonceraient à la Chambre, pour ce seul fait, le Ministre de la justice, dès le début de la prochaine session législa

REACTION ANTI-CLERICALE.

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tive 1. Il faut avoir ouï des paroles semblables, avoir vu avec quel sérieux elles étaient dites, pour comprendre combien l'entreprise de Lacordaire était hasardeuse, combien elle était osée, et quel désespéré service il a rendu à l'Église en triomphant de pareils obstacles.

Pendant que ces choses se passaient à Paris, le Père était rentré de Saint-Clément à la Minerve, où son temps s'écoulait avec rapidité, partagé entre l'étude de saint Thomas, dont il songea un moment à écrire la vie, et la préparation de ses conférences. Le passage de l'activité à la contemplation, de la vie de famille à la solitude, écrivait-il, m'est moins pénible qu'à tout autre, grâce à l'habitude que j'ai depuis longtemps de cette alternative. Sans cette flexibilité il y a longtemps que je serais mort. J'ai passé des années sans voir personne et sans être mêlé à rien, et je m'en souviens aujourd'hui avec une sorte d'effroi 2.

C'est dans la paix de cette retraite que vinrent le trouver les nouvelles parlementaires de France. Il n'en apprécia pas d'abord toute la gravité, qui, à ne considérer que la séance législative du 3 mai, échappa au premier moment à M. de Montalembert lui-même 3. Mais la démarche collective des dix députés de la Gironde, venant à la suite de tous les rapports des hauts fonctionnaires dont j'ai parlé, à la suite d'une recrudescence très-accentuée dans la jurisprudence anti-cléricale du

1 Lettre de M. de Montalembert à Lacordaire, à la suite d'un entretien avec M. Dessauret, directeur des cultes, 11 juillet 1841. 2 A Mm Swetchine, 5 juin 1841.

3 Lettre de lui au P. Lacordaire, du 27 mai 1841.

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