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et scandinave, l'espèce de concordance qui en résulte pour les annales de ces peuples, toutes ces choses ont redonné, dans ces derniers temps, une vraisemblance presque irrésistible à l'hypothèse d'un peuple primitif, source commune, tige universelle, mais anéantie, de l'espéce humaine. N'est-ce pas à ce peuple que nous devrions demander le point de départ de la religion, au lieu de le chercher chez quelques misérables hordes, auxquelles nous n'accordons qu'avec peine une nature semblable à la nôtre ?

Nous n'affirmons nullement qu'il soit impossible au travail et au génie d'arriver un jour à la connaissance de la grande vérité, du grand fait, du fait unique, qui doit servir à réunir les fragments épars de la chaîne brisée dont nous soulevons quelques anneaux. Nous aimons à rendre justice aux hommes studieux, aux voyageurs intrépides qui se proposent cette découverte. Nous admirons leur patience infatigable, et ce courage que rien ne rebute et qui brave des difficultés dont l'imagination s'épouvante. Car ce ne peut être qu'en étudiant chaque peuple dans ses plus petits détails, en comparant les usages les

plus minutieux et les traditions les plus confuses, en recueillant tous les débris des langues antiques, nous ne parlons pas de celles qui sont anciennes pour nous, mais de celles qui, mortes déja pour les hommes qui nous ont précédés sur cette terre, n'avaient laissé chez les nations les plus reculées que des traces vagues et un faible souvenir; ce ne peut être qu'en voyageant sur tout notre globe et en retournant, pour ainsi dire, les couches nombreuses accumulées l'une sur l'autre la succession des âges, qu'ils rassembleront les matériaux indispensables au succès dont la noble espérance les soutient dans tous leurs efforts.

par

Mais ce succès, précieux en lui-même, ne fera toutefois que les ramener au point où nous sommes. L'hypothèse d'un peuple primitif impose à ceux qui l'adoptent une difficulté de plus à résoudre. D'une part, reportés par ce systême au-delà de l'histoire de l'espèce humaine, ils doivent se jeter dans l'étude de celle des grandes époques de notre globe, pour rendre compte des révolutions physiques par lesquelles ce peuple primitif a été détruit; et c'est ainsi que toutes les fois

qu'on s'occupe à fond d'une question quelconque, on arrive à sentir que pour savoir complètement une chose, il faudrait ne rien ignorer. D'une autre part, la destruction du peuple primitif étant incontestable, plusieurs de ses parties se sont vues forcées de recommencer le grand œuvre de la civilisation. On peut tout au plus supposer dans quelques contrées quelques souvenirs d'une situation antérieure, quelques traditions, quelques usages. Mais ces souvenirs sont confus, ces traditions vagues, ces usages inexplicables par l'oubli de leurs motifs, et l'ensemble des conjectures devra toujours commencer à cet état de grossièreté et d'ignorance d'où nous avons cru devoir partir.

CHAPITRE IX.

Des précautions que la nature de nos recherches nous oblige de prendre.

PLUSIEURS

LUSIEURS précautions nous seront indispensables pour atteindre le but que nous nous sommes proposé dans cet ouvrage.

La première sera de distinguer les époques des diverses religions.

Une nation n'a pas, à la fin d'un siècle, la même croyance qu'au commencement; bien qu'elle adore les mêmes divinités, elle n'en conserve pas long-temps des notions uniformes.

En entrant dans la civilisation, les peuples reçoivent une impulsion qui ne s'arrête plus : mais les changements sont imperceptibles. Aucun signe visible ne les indique. L'extérieur d'une religion reste immuable, lors

même que la doctrine se modifie. Le nom seul des dieux ne varie pas et c'est une cause nouvelle d'erreur.

Dans l'esprit de beaucoup de lecteurs assez instruits, le nom de chaque mythologie retrace un ensemble d'opinions dont ils ne démêlent pas les dates. La religion d'Homère et celle de Pindare leur paraît parfaitement semblable, et retrouvant sur les bords du Tibre les mêmes acteurs célestes que sur les rives du Simoïs, ils s'imaginent encore que le chantre d'Achille et celui d'Énée ont décrit une religion à peu près pareille (1).

(1) Une erreur de ce genre, et même beaucoup plus grave, a diminué le mérite d'un ouvrage qui renferme de grandes beautés. On ne saurait trop regretter que M. de Chateaubriand ait commis, dans ses Martyrs, un anachronisme d'environ quatre mille ans. Il a présenté comme simultanées deux choses, dont l'une n'existait plus et l'autre pas encore. La première était le polythéisme d'Homère, et la seconde le catholicisme de nos jours. Certes, après Euripide, après Épicure, et presque en présence de Lucien, les vierges grecques ne demandaient pas au premier jeune homme qu'elles rencontraient : Ne seriez-vous pas un immortel? Et d'une autre part, il n'y avait encore chez les chrétiens, du temps d'Eudore et de Cymodocée,

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