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de la morale dans leur caractère privé, ils n'écoutent que leurs passions; mais ils n'ont

sont pas les superstitions que vous craignez. Vous les accueillez avec bienveillance, quand vous pouvez les enrégimenter. Vous ne les haïssez qu'indisciplinées et indépendantes, et c'est pourtant alors qu'elles sont nonseulement innocentes, mais souvent bienfaisantes et consolatrices. Quoi de plus doux et de plus inoffensif que cette pensée que les prières des vivants peuvent abréger les peines des morts? Ce n'est qu'en transformant cette espérance en obligation formelle, qu'on en a fait au XVe siècle une source de corruption pour les croyants, et de persécution pour les incrédules. Abandonnée au sentiment individuel, elle n'aurait été qu'une pieuse correspondance, entre des ames amies qu'un sort rigoureux a séparées. Quoi de plus naturel que le désir de se réfugier dans quelque asyle, pour y échapper au tumulte du monde, éviter les tentations du vice, et se préparer, par une vie sans tache, à une mort sans effroi? Mais quand vous hérissez de murailles ces religieuses retraites, quand l'autorité oppose ses verroux et ses grilles aux regrets excusables qui voudraient moins de perfection et plus de jouissances, vous transformez ces retraites en cachots. Quoi de plus touchant que le besoin d'avouer ses fautes, de confier à un guide révéré le secret de ses faiblesses, et de solliciter même des pénitences pour les expier? Mais en imposant le devoir, vous nuiscz au mérite: vous forcez ce qui devrait être volontaire, vous ouvrez une porte à des vexations barbares. La confession spontanée

le

de rapports avec les hommes que dans leur caractère public (1). C'est à ce dernier que sentiment religieux s'attache exclusivement : comme il se plait à respecter et à estimer ce qu'il adore, il jette un voile sur tout ce qui porterait atteinte à son estime et à son respect.

Mais quand il se sépare de la forme qu'il épurait ainsi par son action puissante, bien

consolait le vivant coupable: la confession forcée devient le supplice des agonisants.

Ne vous défiez pas tant de la nature de l'homme. Vous le dites, elle est l'ouvrage de Dieu. Elle a pu décheoir: tant de causes travaillent chaque jour à la dégrader ! Mais elle n'a pas perdu toutes les traces de sa filiation divine. Le sentiment lui reste. Ne l'étouffez point par des lois minutieuses. Ne le poursuivez pas de foudroyants anathèmes. L'homme n'est pas ce que vous prétendez. Il n'est pas vrai « que le mal lui plaise. » Il n'est pas vrai « que né pour le ciel, il cherche l'enfer, comme un voyageur égaré cherche sa patrie (tome IV, page 37). »

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(1) Faute d'avoir senti cette vérité, l'on s'est trompé sans cesse sur les effets que devait avoir la mythologie licencieuse des peuples anciens. A voir ce qu'on a écrit sur cette mythologie, on dirait que les dieux approuvaient dans les mortels toutes les actions qu'ils commettaient euxmêmes.

qu'inaperçue, tout change. Les traditions corruptrices qu'il reléguait dans le lointain, ou qu'il interprétait de manière à en éluder les conséquences, reparaissent et viennent porter l'appui de leur lettre morte à la dépravation, qui dès lors se prévaut de l'exemple; et l'on dirait que, par une combinaison singulière, moins l'homme croit à ses dieux, plus il les

imite.

CHAPITRE IV.

Que cette distinction explique seule pourquoi plusieurs formes religieuses paraissent ennemies de la liberté, tandis que le sentiment religieux lui est toujours favorable.

Il est un autre problême plus difficile à résoudre encore, et sur lequel néanmoins l'erreur est d'un extrême danger.

Prenez à la lettre les préceptes fondamentaux de toutes les religions, vous les trouverez toujours d'accord avec les principes de liberté les plus étendus, on pourrait dire avec des principes de liberté tellement étendus, que, jusqu'à ce jour, l'application en a paru impossible dans nos associations politiques.

Mais parcourez l'histoire des religions, vous trouverez souvent l'autorité qu'elles ont créée, travaillant de concert avec les autorités de la terre à l'anéantissement de la liberté. L'Inde,

F'Éthiopie, l'Égypte, nous montrent l'espèce humaine asservie, décimée, et, pour ainsi dire, parquée par les prêtres. Quelques époques de nos temps modernes nous présentent, sous des traits plus doux, un spectacle peu différent; et naguère le despotisme le plus complet que nous ayons connu, s'était emparé de la religion comme d'un auxiliaire complaisant et zèlé. Durant quatorze ans de servitude, la religion n'a plus été cette puissance divine descendant du ciel pour étonner ou réformer la terre humble dépendante, organe timide, elle s'est prosternée aux genoux du pouvoir, demandant ses ordres, observant ses gestes, offrant la flatterie en échange du mépris; elle n'osait faire retentir les voûtes antiques des accents du courage et de la conscience; elle bégayait, au pied de ses autels asservis, des paroles mutilées, et loin d'entretenir les grands de ce monde du dieu sévère qui juge les rois, elle cherchait avec terreur dans les regards hautains de son maître, comment elle devait parler de son dieu; heureuse encore si elle n'eût été contrainte de commander, au nom d'une doctrine de paix, les invasions et les guerres, de tra

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