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pheriez de tous les ennemis extérieurs, que l'ennemi intérieur serait invincible.

Les institutions sont de vaines formes, lorsque nul ne veut se sacrifier pour les institutions. Quand c'est l'égoïsme qui renverse la tyrannie, il ne sait que se partager les dépouilles des tyrans.

Déja une fois l'espèce humaine semblait plongée dans l'abyme. Alors aussi une longue civilisation l'avait énervée (1). L'intelligence qui avait

(1) Les effets de la civilisation sont de deux espèces. D'une part, elle ajoute aux découvertes, et chaque découverte est une puissance. Par là elle augmente la masse de moyens à l'aide desquels l'espèce humaine se perfectionne. D'une autre part, elle rend les jouissances plus faciles, plus variées, et l'habitude que l'homme contracte de ces jouissances lui en fait un besoin qui le détourne de

tout analysé, avait semé le doute sur les vérités et sur les erreurs.

toutes les pensées élevées et nobles. En conséquence, chaque fois que le genre humain arrive à une civilisation exclusive, il paraît dégradé durant quelques générations. Ensuite il se relève de cette dégradation passagère, et se remettant, pour ainsi dire, en marche, avec les nouvelles découvertes dont il s'est enrichi, il parvient à un plus haut degré de perfectionnement. Ainsi nous sommes, proportion gardée, peut-être aussi corrompus que les Romains du temps de Dioclétien; mais notre corruption est moins révoltante, nos mœurs plus douces, nos vices plus voilés, parce qu'il y a de moins le polythéisme devenu licencieux, et l'esclavage toujours horrible. En même temps, nous avons fait des découvertes immenses. Des générations plus heureuses que nous profiteront et de la destruction des abus dont nous sommes délivrés, et des avantages que nous avons conquis. Mais pour que ces générations puissent avancer dans la route qui leur est ouverte, il leur faudra ce qui nous manque, et ce qui doit nous quer, la conviction, l'enthousiasme et la puissance de sacrifier l'intérêt à l'opinion.

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L'intérêt et le calcul réunissaient sous leur bannière les classes éclairées. Un joug de fer tenait immobiles les classes laborieuses. Aussi que d'efforts inutiles! que de victimes dans cette minorité déja si peu nombreuse qui se rappelait un passé moins abject, et dont le cœur s'élançait vers un avenir moins misérable! Tout fut infructueux : les succès même furent stériles. Après

Il résulte de ceci que ce n'est point la civilisation qu'il faut proscrire, et qu'on ne doit ni ne peut l'arrêter. Ce serait vouloir empêcher l'enfant de croître, parce que la même cause qui le fait croître le fera vieillir. Mais il faut apprécier l'époque où l'on vit, voir ce qui est possible, et, en secondant le bien partiel qui peut encore se faire, travailler surtout à jeter les bases d'un bien avenir, qui rencontrera d'autant moins d'obstacles et sera payé d'autant moins cher qu'il aura mieux été préparé.

Caligula, après Néron, bien plus tard encore, sous les règnes de Galba, de Probus, de Tacite, de généreux citoyens crurent un instant que la liberté pouvait renaître. Mais la liberté frappée de mort voyait ses défenseurs tomber avec elle. Le siècle ne les comprenait pas. L'intérêt bien entendu les abandonnait (1). Le monde était peuplé d'esclaves, exploitant la servitude ou la subissant. Les chrétiens parurent ils placèrent leur point d'appui hors de l'égoïsme. Ils, ne disputèrent point l'univers matériel, que la force matérielle tenait enchaîné.

(1) Il est remarquable qu'à cette époque toute la classe éclairée, sauf les nouveaux platoniciens d'une part, et les chrétiens de l'autre, professait la philosophie épicurienne, qui n'était au fond que la doctrine de l'intérêt bien entendu.

Ils ne tuèrent point, ils moururent, et ce fut en mourant qu'ils triomphèrent.

Amis de la liberté, proscrits tour à tour par Marius et par Sylla, soyez les premiers chrétiens d'un nouveau Bas-Empire. La liberté se nourrit de sacrifices. Rendez la puissance du sacrifice à la race énervée qui l'a perdue. La liberté veut toujours des citoyens, quelquefois des héros. N'éteignez pas les convictions qui servent de base aux vertus des citoyens, et qui créent les héros, en leur donnant la force d'être des martyrs.

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