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PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

Le public vit au jour la journée; bien que rien d'important ne lui reste inconnu, l'enchaînement des faits lui échappe. Et cependant tout se tient dans les choses humaines, tout est alternativement cause et effet. Dans ce long drame auquel nous assistons depuis 1830, qu'il s'agisse d'expliquer un succès ou un revers, il nous faut remonter, d'évènement en évènement, au premier jour de la révolution belge, et arrivés là, pour comprendre la révolution elle-même, nous sommes obligés de nous reporter au premier jour de l'existence du royaume-uni des Pays-Bas.

Les hommes qui ont su coordonner les évènemens dans leur esprit ne sont pas en grand nombre; trop souvent les passions politiques sont venues rompre la suite des idées, et obscurcir la série des faits.

L'auteur de cet ouvrage a été placé dans une situation qui ne lui a point permis de manquer de mémoire; il est convaincu que pour éclaircir bien des questions, il suffit de remettre les faits à leur date, et d'en constater, en quelque sorte, la généalogie.

Il n'hésite point à croire que, par ce procédé, il lui sera facile de réhabiliter la révolution belge dans ses causes et dans ses résultats; il soutient que cette révolution a été légitime dans son origine, glorieuse dans son dénouement; homme de la révolution, il a ramassé ce que deux années d'une existence laborieuse lui ont laissé de force et de courage, pour livrer un dernier assaut aux contre-révolutionnaires et aux ultra-révolutionnaires.

Il n'a pas eu la prétention d'écrire une histoire; il a dû supposer beaucoup de choses connues; il en est d'autres qu'il a jugé inutile de faire connaître. Plus de détails auraient nécessairement nui à l'unité d'intention.

Il n'a pas considéré la révolution comme un évènement purement intérieur; il l'a rattachée dans sa pensée aux destinées de l'humanité; et son horizon s'est alors élevé et agrandi. L'histoire de la Belgique est, depuis 1830, celle de l'Europe. Dans le lointain des révolutions de juillet et de septembre, il n'apparaîtra qu'une grande question, à savoir comment on a pu maintenir la paix de l'Europe, et donner à la France une dynastie constitutionnelle, à l'Angleterre, la réforme électorale, à la Belgique, l'indépendance. Il s'est tacitement formé une association qui, appelée à résoudre ce problème, a rempli une des plus belles missions qui puissent être dévolues à des hommes: cette association a eu pour chefs en France, Louis-Philippe, Talleyrand, Périer, Guizot, Broglie, Thiers; en Angleterre, Grey, Palmerston, Durham, Brougham; en Belgique, Léopold, ceux qui ont amené la royauté de ce prince, ceux qui l'ont soutenue; à ces noms l'histoire en ajoutera d'autres que la cause de la civilisation ne répudiera point, elle nommera ce roi qui, placé entre la France et la Grande-Bretagne, l'Autriche et la Russie, s'est, comme homme d'état, montré digne de porter la couronne du grand Frédéric. Vus de

cette distance, les évènemens prendront leurs véritables proportions, et les intérêts secondaires s'effaceront devant ces immenses résultats.

Si l'on avait moins souvent perdu de vue l'ensemble des faits et des rapports, si l'on n'avait point isolé chaque évènement de ceux qui l'ont précédé et suivi, et la Belgique de l'Europe qui l'entoure, bien des erreurs ne seraient pas parvenues à s'accréditer, bien des nécessités auraient été plus généralement senties. La Hollande s'étant, en 1814, adjoint une population double de la sienne, l'antipathie devait amener la lutte, le nombre décider de la victoire; la révolution advenue, il n'y avait pour la Belgique de salut que dans une indépendance et une monarchie avouées par l'Europe. Ces divers évènemens ont été pour ainsi dire obligés : appelez cela système, fatalité, Providence, n'importe; pour le moment bornons-nous à constater que ce n'est pas d'accident en accident que la Belgique est tombée dans une situation qui ne serait que précaire, mais qu'elle est parvenue, à travers une succession nécessaire de faits, à un ordre de choses qui a son principe de vie et de durée. Ce n'est pas à dire que la révolution ait, dès le premier jour, compris sa mission et aperçu son but entrée comme par instinct dans la voie qui l'a sauvée, elle y est demeurée est demeurée par réflexion. L'auteur n'est point de ceux qui désespèrent de la civilisation, parce que tout n'a pu se faire en un jour : à chaque génération sa tâche; le travail des siècles s'accomplit lentement; il nous suffit, à nous, d'avoir fourni notre contingent. Nous n'avions trouvé que l'emplacement d'un peuple : par un concours unique de circonstances, il nous a été donné de fonder une nation. Plus heureux que nos pères, nous aurons assisté au triomphe d'une cause dont ils avaient tant de fois désespéré.

L'auteur, n'eût-il point eu l'intention de publier son

écrit, ne se serait pas moins livré à ce travail; il aurait voulu se rendre compte du temps où il a vécu, pour se bien persuader à lui-même qu'il a fait son devoir et qu'il peut être en paix avec sa conscience. Il a eu ses jours de doute et de découragement; ce n'est qu'après avoir acquis l'intelligence des conditions auxquelles étaient subordonnés le sort de sa patrie et celui de l'Europe, qu'il s'est senti soulagé, et qu'il a été plein de foi dans l'avenir. Citoyen d'une province dont l'existence était contestée, sa position individuelle était difficile; il pense avoir accordé aux affections locales tout ce qu'elles pouvaient exiger de lui; homme, belge, luxembourgeois, il n'a pas osé croire qu'on pût sacrifier la Belgique à une partie de province, ni l'Europe à la Belgique; il désirait qu'on parvint à concilier ces intérêts divers, et s'il s'est trompé, c'est de bonne foi; il avoue que ses amis et lui n'ont pas fait dériver leurs devoirs politiques de ce sentiment étroit qui se renferme dans une localité, mais d'un ordre supérieur d'idées auquel se rattachent l'indépendance de la Belgique et la paix du monde.

L'auteur en est à son premier culte, à son premier serment politique, le seul peut-être que l'on fasse sincère et solennel; il est deux choses dont il est également fier : c'est d'avoir, avant septembre 1830, fait de l'opposition contre le pouvoir, et d'avoir, depuis, fait du pouvoir contre l'anarchie. Qu'on lui permette de rappeler qu'un des premiers en Belgique, au sujet d'un acte fameux', il a contesté la légitimité des droits d'une maison alors toute-puissante; il peut, sans lâcheté, respecter une dynastie aujourd'hui malheureuse : il aurait même désiré garder le silence sur la conduite de la Hollande et de son roi; si, forcé dans

I

Message du 11 décembre 1829. 1829 et du 16 janvier 1830.

Courrier des Pays-Bas du 18 décembre

le cours de son ouvrage de parler de cette conduite, il l'a jugée avec sévérité, il éprouve le besoin de déclarer ici qu'il n'en a pas moins voué une haute admiration à la patrie de Guillaume-le-Taciturne, d'Oldenbarneveld et du grand pensionnaire De Witt, et qu'il plaint sincèrement le peuple qui, infidèle à ses traditions, s'est associé de nos jours à la cause de l'absolutisme.

Qu'on ne cherche point dans cet écrit un libelle : ce serait se méprendre sur le caractère de l'auteur et de son travail, et l'auteur serait désolé de cette méprise. Habitué à dire sa pensée, et n'aimant point les ouvrages anonymes, il a signé cet écrit; il attend la même franchise de ses adversaires. Il a patiemment, avec ses amis, traversé les saturnales de la presse et de la tribune, et ce n'est pas au moment qu'elles semblent toucher à leur terme, qu'il se jettera dans la mêlée, un pamphlet à la main; il n'aspire point au succès malheureux de quelques productions qui ont fini par ôter à la calomnie toute sa puissance et tous ses dangers; plus d'une fois il a rencontré sur son passage, au coin d'une rue, « cette grande prostituée qui offre ses >>> faveurs au premier venu; » il a repoussé la popularité du jour; il ose revendiquer pour ses amis et lui la popularité de l'avenir.

Mêlé à toutes les affaires politiques de la révolution, ayant vu de près tous les hommes qui se sont succédé au pouvoir, il n'a point abusé de confidences personnelles, il n'a violé aucun secret. Il fera toujours une large part à l'oubli; car, à la suite d'une si longue tourmente, quel est celui qui n'a pas besoin d'oubli? Sans inconséquence et sans déshonneur, il a pu rester constamment au poste où l'ont porté les circonstances dans les premiers mois de la révolution; à travers toutes les mutations ministérielles le système politique est demeuré le même : les hommes avaient beau entrer et sortir, aucun d'eux n'a pu emporter

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