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Le roi Guillaume s'est élevé par la suite contre la dictature européenne que se sont attribuée les cinq grandes Puissances; mais n'avait-il pas été le premier à la reconnaître, à en provoquer l'action? Les cinq Cours ne se sont pas adressées à lui pour qu'il les autorisât à s'immiscer dans les affaires de son royaume; c'est de lui qu'est venue l'initiative: considérant son royaume comme une création diplomatique, il a fait un appel à la diplomatie. Il a dit aux Puissances: Vous m'avez donné une couronne en 1814; soutenez-la sur ma tête; elle tombera si vous n'étendez votre main sur moi. Et la couronne est tombée; car les Puissances ont pensé que, pour le salut de l'Europe, il convenait de proclamer la dissolution du royaume-uni des Pays-Bas, et l'indépendance de la Belgique.

Mais si, d'un côté, les Cours avaient le droit de reconnaître l'indépendance belge, d'un autre côté, c'était un devoir pour elles de ne pas souffrir qu'il fût porté atteinte à la nationalité hollandaise. Leur premier acte fut de proposer une suspension d'armes '; car la Hollande avait demandé merci.

Ce fut le 7 novembre 1830 que les deux commissaires de la Conférence, MM. Cartwright et Bresson, arrivèrent à Bruxelles; les barricades n'avaient pas encore disparu, et ils durent en quelque sorte les franchir pour arriver au palais où siégeait le gouvernement provisoire; ils apportaient cet acte qui devait en engendrer tant d'autres, le premier anneau de cette chaîne qui devait s'étendre autour de la révolution belge et l'envelopper.

La Conférence, dans ce premier protocole, proposait la cessation des hostilités, en assignant à la Hollande, comme ligne de l'armistice, les limites qu'elle avait avant

Protocole no 1, du 4 novembre 1830, signé : Esterhazy, Talleyrand, Aberdeen, Bulow et Matuszewic.

la réunion, c'est-à-dire avant le traité de Paris du 30 mai 1814, et en s'attribuant à elle-même le droit de faciliter la solution des questions politiques.

Ce protocole consacrait donc le principe de l'intervention en faveur des cinq Puissances, et le principe du postliminii de 1790 au profit de la Hollande.

Bien qu'issu de l'insurrection, et dans les premiers transports révolutionnaires, le gouvernement provisoire comprit la position de la Belgique et de l'Europe. Il connaissait les intentions et les embarras du cabinet français. Propager le mouvement dans les anciennes provinces hollandaises, prendre Maestricht, attaquer à ce point la Hollande dans son existence de peuple, c'était violer à son égard le principe de non-intervention, c'était autoriser ses alliés, la Prusse par exemple, à invoquer le casus fœderis, et à la secourir sur son territoire; c'était mettre la France dans l'alternative ou de nous désavouer en nous abandonnant, ou de se joindre à nous en courant toutes les chances de la guerre. Tel était le langage de M. Laffitte, alors président du conseil, et de ses collègues ; de plus, les ministres français refusaient de s'expliquer catégoriquement sur la question du Luxembourg. Le gouvernement provisoire prévint une conflagration générale, en adhérant au protocole no 1 '.

Il s'exprimait en ces termes dans son acte d'adhésion: « Les membres du gouvernement provisoire se plaisent à » croire que des sentimens de sympathie bien naturels » pour les souffrances de la Belgique, ont déterminé la >> mission toute philantropique dont les plénipotentiaires » des cinq Puissances se trouvent chargés. Plein de cet espoir, le gouvernement provisoire, voulant d'ailleurs

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1 Ce premier acte, du 10 novembre 1850, est signé par MM. de Potter, comte F. de Mérode, Ch. Rogier, A. Gendebien, J. Vanderlinden, Jolly et F. de Coppin.

» concilier l'indépendance du peuple belge avec le respect » pour les droits de l'humanité, remercie les cinq Puissan» ces de l'initiative qu'elles ont prise pour arrêter l'effu»sion du sang, par une entière cessation des hostilités >> qui existent entre la Belgique et la Hollande. »

M. de Potter, en ouvrant, le 10 novembre 1830, la session du Congrès, au nom du gouvernement provisoire, s'estima heureux de pouvoir faire part à l'assemblée des communications des Puissances. Le 16 novembre, M. Van de Weyer rendit publiquement compte de sa première mission à Londres. MM. de Potter et Van de Weyer furent couverts d'applaudissemens. Telles étaient les dispositions des esprits, tels furent les encouragemens que la diplomatie reçut à son début.

Les deux commissaires, MM. Cartwright et Bresson, firent leur rapport à la Conférence, et le 19 novembre ils étaient de retour à Bruxelles, munis d'un deuxième protocole, portant la date du 17, et renfermant la proposition d'un armistice, et d'une suspension d'armes comme mesure préliminaire,

Le 21 novembre, un dimanche, à quatre heures de l'après-midi, le gouvernement provisoire consentit à la suspension d'armes '.

Le protocole no 1 portait que les troupes se retireraient réciproquement derrière la ligne qui séparait, avant l'époque du traité du 30 mai 1814, les possessions du prince souverain des Provinces -Unies, de celles qui ont été jointes à son territoire pour former le royaume des PaysBas. Ces expressions recélaient dans leur laconisme un système entier de délimitation: ce n'est que depuis, qu'on a compris que les limites de la Hollande avant le traité

L'acte est signé : F. comte de Mérode, A. Gendebien, S. Van de Weyer, Ch. Rogier, J. Vanderlinden, F. de Coppin et Jolly.

et

que

du 30 mai 1814, étaient de droit ses anciennes limites, le grand-duché de Luxembourg était considéré comme distinct du royaume des Pays-Bas, et par conséquent réputé en dehors de la suspension d'armes. Le gouvernement provisoire, dans son adhésion du 10 no

vembre, avait déclaré « qu'il entendait par la ligne proposée les limites qui, conformément à l'art. 2 de la loi fondamentale des Pays-Bas, séparaient les provinces septentrionales des provinces méridionales, y compris la rive gauche de l'Escaut. » Dans leur rapport à la Conférence, les deux commissaires s'exprimèrent en ces termes sur cette réserve: Il a été bien entendu entre M. Tielemans (délégué du gouvernement provisoire ), et nous, que nous n'admettions ce paragraphe que comme simple observation et comme l'expression d'une manière de voir sur une démarcation qui, suivant lui, était toujours restée incertaine. » En conséquence, dans son protocole no 2, la Conférence considéra l'adhésion comme pleine et sans réserve; et le gouvernement provisoire ne protesta point dans sa deuxième adhésion contre cette manière d'interpréter ses engagemens.

Nous avons beaucoup insisté sur les actes du 10 et du 21 novembre, parce qu'ils sont d'une grande portée; ce sont nos premiers pas dans la voie diplomatique; il nous était libre d'y entrer ou non; mais une fois engagés envers les Puissances, il nous devenait impossible de rétrograder. Il faut avoir l'intelligence de ces premiers faits, pour comprendre la marche de la révolution, qui, le 10 novembre, a quitté la rue et le champ de bataille pour passer dans le cabinet.

Jusque-là il n'avait pas existé de département spécial des affaires étrangères '; le gouvernement provisoire avait

1 Le gouvernement provisoire avait, dès les premiers jours de son institu

délégué M. Tielemans pour traiter avec les commissaires de la Conférence sur l'acceptation du premier protocole; un arrêté du 20 novembre 1830 institua un comité diplomatique, composé de MM. Van de Weyer, président', comte de Celles, comte d'Arschot, Destriveaux et Nothomb. Par arrêté en date du 28 décembre, M. Le Hon fut adjoint au comité. Au commencement de janvier M. Destriveaux se retira.

Les hostilités avaient cessé par la suspension d'armes qui autorisait les troupes belges et hollandaises à conserver respectivement les positions qu'elles avaient au 21 novembre, à quatre heures de l'après-midi; cet état provisoire devait être remplacé par l'armistice, dont les conditions furent longuement discutées, et qui ne fut accepté que le 15 décembre '.

La suspension d'armes du 21 novembre stipulait la cessation entière des hostilités, et notamment le rétablissement de la liberté de communication par terre et par mer, et la levée du blocus des ports et des côtes. Le roi Guillaume révoqua immédiatement toutes les mesures hostiles qu'il avait prises, à l'exception du blocus de l'Escaut, qu'il ne voulut point considérer comme un acte d'hostilité proprement dite, mais comme le résultat des anciens droits que la Hollande avait exercés même en

tion, organisé des départemens ministériels, mais dont les chefs n'avaient ni responsabilité ni contre-scing.

I

Intérieur, M. Nicolaï, puis, M. Tielemans,
Finances, M. Coghen, 27 septembre 1830,

M. Ch. de Brouckere à partir du 28 décembre,

Guerre, M. Joly, puis, M. Goblet,

Sûreté publique, M. Isidore Plaisant,

avec le titre de commissaires.

Justice, un comité composé de MM. Al. Gendebien, Blargnies, Barbanson,

Kockaert et Claes.

L'acceptation de l'armistice est signée par MM. S. Van de Weyer, Ch. Rogier, Jolly, de Coppin, Vanderlinden et F. de Mérode. - M. Gendebien refusa de signer cet acte.

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