Page images
PDF
EPUB

négociations et de fixer l'état de la question belge. Voilà quatre ans que la maison de Nassau a cessé de régner sur nous: espace immense, presque équivalent au tiers de la Restauration, à la moitié de l'Empire; la question belge est encore sans solution définitive par rapport à la Hollande, mais elle est à l'abri des évènemens qui pourraient en compromettre l'issue; c'est sans inquiétude que la Belgique peut célébrer le quatrième anniversaire de la conquête de son indépendance.

Le gouvernement représentatif, surtout lorsqu'il est aux prises avec une révolution, fait une grande consommation d'hommes; si l'auteur a eu le rare privilége de rester depuis 1830 au centre, pour ainsi dire, de l'action diplomatique, c'est que les positions secondaires, quelque voisines qu'elles puissent être des sommités, usent moins vite. Cette espèce d'inamovibilité tenait, d'ailleurs, à l'unité du système politique, unité qu'il était de son honneur de faire

ressortir.

Ce système est aujourd'hui jugé. Il n'était pas l'œuvre d'un individu, mais de la force des choses. Ce n'est pas que l'auteur veuille, comme on le lui a reproché, transporter la fatalité dans l'histoire; tout en faisant la part, et une part très large, à la volonté de l'homme, il tient compte des circonstances dont l'appréciation est librement abandonnée à l'intelligence humaine. La Belgique n'était point une oasis au milieu d'un désert. Les nécessités qui dominaient

la révolution n'ont pu être perdues une seule fois de vue; elles saisissaient d'une manière irrésistible quiconque montait au pouvoir, éclairant les uns, épouvantant les autres. Le même homme, descendu du pouvoir, était moins frappé de ces nécessités, qui, à ses yeux, s'affaiblissaient de jour en jour. Il est des choses qu'on aperçoit à peine du pied de la montagne, et qu'au sommet on découvre sans effort.

Les esprits qui aiment à sonder les hypothèses peuvent aujourd'hui faire subir à ce système une épreuve décisive, en se demandant ce qui serait advenu si la révolution avait suivi une autre marche, si, dans chacune des grandes journées du Congrès ou des Chambres, elle avait reçu l'impulsion de la minorité. On peut distinguer cinq de ces journées où la question d'étre ou ne pas étre a été débattue.

31 mai 1831 adoption du système de l'élection immédiate du chef de l'État;

4 juin 1831

9 juillet 1831

:

élection du prince Léopold;
vote des 18 articles;

1er novembre 1831: vote des 24 articles;

27 novembre 1832 adhésion à l'exécution du traité du 15 novembre par l'intervention anglo-française.

Sur chacune de ces questions, déplacez la majorité, et l'indépendance belge devient une impossibilité. Ces cinq propositions se tiennent; expression du même système, elles n'étaient susceptibles que

d'une solution uniforme, soit affirmative, soit négative.

Ce système, le voici réduit aux termes les plus simples:

La Belgique, n'étant qu'une nation de quatre millions d'hommes, ne pouvait faire la loi à l'Europe. Elle devait profiter des circonstances extraordinaires où se trouvait l'Europe, pour transiger avec elle.

Cette transaction n'était possible qu'aux conditions suivantes :

Interdiction de toute hostilité, propre à troubler la paix générale;

Maintien du but des traités de 1815, c'est-àdire du principe de l'indépendance belge;

Renonciation à toute conquête, c'est-à-dire, reconnaissance des anciens droits territoriaux de la Hollande;

Enfin, adoption du système monarchique, et solution de la question dynastique dans un sens européen. Ces données, contre lesquelles les déclamations, les sophismes, les injures ont dû échouer, expliquent et justifient tout ce qui s'est fait depuis novembre 1830. Si la révolution les avait méconnues, elle se serait perdue; en dehors de l'ordre d'idées où elle s'est placée, il y avait la guerre avec tous ses maux, et, à la suite de ces maux, l'anéantissement du nom belge, les malédictions du monde et l'éternelle impopularité de l'avenir.

L'ajournement du choix du chef de l'État, la non-élection du prince Léopold, le rejet des 18 articles, qui rendait son avènement impossible, eussent laissé la Belgique sans représentant en face de l'Europe pacifique et monarchique; trois mois se seraient écoulés en stériles négociations; au bruit de la chute de Varsovie, la Belgique eût subi la restauration ou le partage, essayant, mais en vain, par ses dernières convulsions, d'entraîner la France dans une guerre continentale.

Rejeter les 24 articles, c'était repousser les conditions de l'indépendance belge, les seules conditions possibles après les désastres du mois d'août; vaincue, la Belgique était restée seule sur le bord de l'abîme où s'étaient englouties l'Italie et la Pologne; elle a saisi les 24 articles pour ne pas tomber dans le même abîme.

La non-adhésion à l'intervention anglo-française eût laissé le traité du 15 novembre sans commencement d'exécution, et empêché l'alliance de la France et de la Grande-Bretagne; la Belgique eût été dans l'alternative de se consumer dans un provisoire sans aucune garantie de durée et de bien-être matériel, ou de se ruer sur la Hollande, en compromettant son existence et le repos général.

Le système politique n'a pas non plus été l'œuvre d'un jour; les évènemens en ont successivement mis en relief chacune des parties; ce n'est qu'aujourd'hui qu'il nous apparaît dans son ensemble. Pour le bien

:

comprendre, il faut encore tenir compte des antécédens révolutionnaires et de la France et de la Belgique, deux pays vieux dans cette carrière; jamais l'histoire n'aura été plus utile. Il y a quarante ans que les deux peuples avaient essayé d'une révolution essai malheureux, souvenir d'épouvante pour les générations à venir. Il fallait que la révolution belge de 1830 ne ressemblât pas à la révolution belge de 1788, que la révolution française de 1830 ne ressemblât pas à la révolution française de 1790. Le but était le même; pour la France, la monarchie constitutionnelle; pour la Belgique, l'indépendance nationale; c'est par d'autres moyens que ce but devait être atteint. L'histoire était là qui nous disait: n'imitez point vos pères; n'allez pas vous briser aux mêmes écueils.

Toutefois, la position de la Belgique n'a point été exceptionnelle en Europe; la révolution n'a fait que se placer dans le droit commun. S'il était permis de se citer soi-même, l'auteur rappellerait ce qu'il a dit dès 1831 : « aucune nation n'a d'existence absolue; chaque peuple s'ordonne par rapport aux autres peuples, comme chaque homme par rapport aux autres hommes; il n'y a de liberté individuelle absolue pour les peuples ni pour l'homme; il y a des lois et pour les sociétés considérées dans leur ensemble, et pour chaque société considérée par rapport aux membres qui la composent. » L'Europe, en consentant à transiger avec la révolution belge, de même

ni

« PreviousContinue »