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CHAPITRE PREMIER

Signes précurseurs de la guerre

On ne peut expliquer et apprécier exactement les premières opérations de la campagne de 1805 sans recourir souvent à l'histoire politique des deux années précédentes. Quand, par exemple, on voit l'ordre de marche initial de la Grande Armée profondément modifié dans l'espace de quelques jours, on se demande depuis com

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CHAPITRE PREMIER

Signes précurseurs de la guerre

On ne peut expliquer et apprécier exactement les premières opérations de la campagne de 1805 sans recourir souvent à l'histoire politique des deux années précédentes. Quand, par exemple, on voit l'ordre de marche initial de la Grande Armée profondément modifié dans l'espace de quelques jours, on se demande depuis combien de temps Napoléon a pu prévoir cette guerre et préparer son plan de campagne; on rencontre alors dans la correspondance diplomatique l'idée maîtresse de ce plan exprimée à diverses reprises dans des lettres qu'on serait inexcusable de ne pas citer. Puis c'est le choix de la route d'Anspach pour le 1er corps, l'arrivée de troupes autrichiennes en Souabe par le Tyrol, qui ramènent encore aux considérations politiques. Il ne faut donc procéder à l'étude militaire proprement dite de la campagne qu'après avoir exposé minutieusement, avec pièces à l'appui, certaines parties de l'histoire générale des années 1803 et 1804.

Qu'on ne cherche pas ici, toutefois, une relation complète des faits et des négociations qui se sont succédé pendant cette période : il a fallu se borner aux quelques points reconnus indispensables pour la compréhension des faits militaires.

Avant tout, il y a dans la politique européenne un élé

ment essentiel qu'on ne doit jamais perdre de vue si l'on veut se retrouver à travers les contradictions apparentes de la diplomatie et concevoir clairement l'objet et la nature de cette guerre : c'est la haine intransigeante qui sépare l'Europe monarchique et féodale de la France. révolutionnaire.

La République n'est plus, mais Napoléon incarne la Révolution en face des monarques de droit divin, aux yeux de qui son usurpation est l'acte le plus détestable et le plus révolutionnaire de la France nouvelle.

Des intérêts momentanés, une horreur sincère de la guerre, porteront quelquefois le roi de Prusse à traiter favorablement le gouvernement français; en réalité, il n'y a pas de sympathie possible, et si l'on salue très bas l'empereur Napoléon, par derrière on l'appelle Buonaparte, et on le déteste. Si l'on croit utile d'entamer des négociations avec lui, on rassure bien vite la Russie, et on lui garantit que, vis-à-vis de l'usurpateur, on s'en tiendra toujours à des promesses. Les émigrés forment à travers l'Europe monarchique une association secrète, dirigée contre leur ancienne patrie : « Je ne suis plus rien à la France », dit leur maître espion d'Antraigues; «< je n'en veux plus rien et je n'en parle pas (1) ». Les gouvernements les plus enclins à une attitude conciliante sont enveloppés d'une atmosphère haineuse dont ils ne peuvent se dégager. Il ne faut pas espérer que l'on ajournera indéfiniment la guerre avec l'un quelconque d'entre eux elle est inévitable avec tous. Les monarchistes demeurés en France, ou ceux qui, rappelés de l'exil par Bonaparte, se hâtent de conspirer contre lui, étendent sur son empire la trame du complot européen : dans les campagnes, ils s'efforcent de détourner les jeunes gens du service, d'accroître le nombre des réfrac

(1) L. Pingaud: Un agent secret sous la Révolution et l'Empire, p. 302.

taires; ils emploient toutes leurs ressources à corrompre les fonctionnaires civils et militaires, et la justice même, pour favoriser les fraudes et encourager la désertion (1). La trahison est surtout active dans l'entourage de Napoléon, parmi les dames d'honneur de Joséphine et parmi les grands personnages qui, approchant l'Empereur d'aussi près que possible, sont initiés à ses projets et assistent, comme l'ami de d'Antraigues, aux scènes les plus graves (2). «< Ils trahissaient en paroles en attendant mieux (3). »

L'exécution du duc d'Enghien a exaspéré plus qu'elle n'a effrayé les ennemis de la France: il faudra les coups de foudre d'Ulm et d'Austerlitz pour épouvanter les traîtres, les éblouir ou les satisfaire (4). Ils se tairont alors jusqu'aux jours de défaite.

Il ne faut pas manquer de tenir compte de cette situation irrémédiable avant de juger ou même d'interpréter les actes politiques de Napoléon. Son caractère l'a porté

(1) Voir ci-après les chapitres consacrés à la conscription et à la Grande Armée en 1805.

(2) Napoléon se faisait, d'ailleurs, peu d'illusions à ce sujet, si l'on en croit l'anecdote contée par Krettly: quelques jours avant Friedland, comme Talleyrand s'étonnait brusquement d'une récente trahison, Napoléon lui frappa sur l'épaule en disant : « Ce n'est rien que cela, Talleyrand; si je n'étais trahi que quinze fois par jour, cela ne m'empêcherait pas de marcher en avant ». Cette boutade jeta un tel froid que la conversation cessa brusquement. (Souvenirs historiques du capitaine Krettly, ancien trompette-major des guides, etc.)

(3) L. Pingaud, p. 258. « Cet homme si habile à masquer son jeu, dit-il aussi p. 203, en parlant de « l'ami » de d'Antraigues, faisait partie d'un groupe de mécontents en conspiration permanente contre le gouvernement, et en relations également permanentes avec l'étranger; ils avaient des complices dans les administrations et les états-majors, et leurs rapports avec Londres semblent continuer ceux dont Faucon avait été l'intermédiaire. »

(4) Lettre inédite de « l'ami» de d'Antraigues, relative au général S..., communiquée par M. Pingaud.

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