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murs sont couverts par les reproductions épiques de leurs guerres et de leurs triomphes. Plus tard, cette splendeur décline, les derniers des Ramsès ne méritent plus d'être confondus avec Sésostris : on dirait les pâles descendans de Charlemagne. Alors, une famille de prêtres thébains se glisse sur le trône des Pharaons. Le titre royal, clandestinement usurpé sur les murs du temple de Khons, révèle les progrès tortueux de cette dynastie sacerdotale; mais elle dure peu, le génie guerrier se ranime dans une famille de conquérans qui lutte avec l'empire d'Assyrie. Un roi d'Égypte emmène captif un roi de Juda, et cette page historique de la Bible se retrouve écrite sur un mur de Karnac. La suite des événemens ultérieurs de l'histoire d'Egypte est représentée à Karnac au moins par quelques vestiges. On y a trouvé le nom d'Amyrtée, qui défendit son royaume contre les Perses; le nom de Nectanebo, qu'une légende, enfantée par l'orgueil égyptien, faisait père d'Alexandre, comme une légende née de la vanité persane faisait d'Alexandre un frère de Darius; enfin, le frère d'Alexandre a gravé son nom, qu'un autre a fait si grand, sur le granit des antiques constructions qui datent des premiers Thoutmosis; puis sont venus les Ptolémées, et si l'on reconnaît comme toujours, au goût de la sculpture et au dessin des hiéroglyphes, une époque de décadence, l'architecture a un air de grandeur digne des Pharaons. C'est par un pylône élevé sous Épiphane qu'on entre dans la salle aux colonnes, et cette entrée ne la dépare point. Ce sont les Ptolémées qui ont dressé les trois grands pylônes du nord, du sud et de l'est. Le nom de Tibère, accolé à celui de Ramsès-leGrand, complète cette série de siècles, représentés par les différens monumens dont se compose ce monde de ruines et de souvenirs, que, du nom d'un humble village situé à son ombre, on appelle Karnac. Enfin, ce sont ces magnifiques débris que nos soldats, qui étaient des héros, mais point des antiquaires, ont salués de leurs applaudissemens. Le canon y a retenti dans une fête nationale célébrée par le général Béliard en l'honneur de la république française, cette dernière puissance qui vient clore la liste de toutes les puissances tombées dont ce lieu retrace le souvenir, et qui, elle aussi, fait partie de leur glorieux passé.

>>

J.-J. AMPERE.

Polémique Philosophique.

NOUVELLE EXPLICATION

DE L'ORAISON DOMINICALE

PAR LES FOURIERISTES.

Nous ne cessons de répéter dans nos Annales que la grande hérésie de l'époque actuelle, hérésie qui fait tous les jours plus de progrès et qui menace d'engloutir la Révélation divine, réelle, traditionnelle, extérieure, historique, c'est un Christianisme humain, c'est-à-dire un christianisme nouveau provenant d'une révélation prétendue directe de Dieu à l'homme, révélation intérieure, particulière, livrée à l'interprétation humaine. Or, voici que les principaux organes du Christianisme commencent à s'appercevoir de cette tendance, mais malheureusement aucun, ou peu, savent voir le mal dans ses principes et y appliquer le remède propice. Bien plus, la plupart ne s'apperçoivent pas que ces contrefacteurs audacieux du Christianisme ne font qu'appliquer les principes posés par les maladroits défenseurs du Christianisme véritable. Nous allons voir ce spectacle renouvelé par un journal protestant de réputation, le Semeur. Voici son article que nous approuvons pour le fond mais que nous faisons suivre de quelques ob

servations:

<< Il existe de nos jours une manie fort étrange et en même tems fort répandue: c'est de vouloir à toute force, quoi qu'il en coûte au bon sens, et peut-être à la bonne foi, porter le nom de chrétien.

» Les pantheistes les plus déterminés, les sceptiques les plus complets ne s'en font pas faute. Après avoir exposé des opinions absolument contraires aux principes du Christianisme, ils invoquent l'autorité du Christ. A les entendre, jamais Pères de l'Église, jamais docteurs de Sorbonne ou pasteurs de Genève n'ont compris l'Evangile comme eux. Cela est vrai, effectivement, mais dans un tout autre sens que celui qu'ils imaginent.

»Si quelque pamphlétaire invente une politique monstrueuse, et s'emporte jusqu'à demander de sanglantes hécatombes, c'est le Christ qu'il rend responsable de ses cruelles utopies.

>> Si quelque ouvrier mal guidé par son esprit, et plus mal dirigé par sa conscience, rêve le partage des biens, et au besoin le vol à main armée, c'est encore sur la parole du Christ qu'il prétend appuyer ses abjectes passions.

>> Qui est-ce qui n'est pas chrétien, dans ce tems-ci? Vous verrez qu'on finira par n'en refuser le nom qu'à ceux qui en acceptent les données fondamentales. Les véritables chrétiens, ceux qui cherchent leur foi dans les Écritures, et qui reçoivent humblement la doctrine révélée, seront qualifiés de païens ou de quelque titre analogue, et le certificat de chrétien sera réservé aux hommes qui font du Christianisme la plus indigne parodie.

>> Tout le monde ne sait pas quelle est l'intrépidité d'interprétation qui devient à la mode aujourd'hui. Sous les termes les plus clairs et les plus simples de l'Evangile on découvre les dernières profondeurs du Socialisme. Le Fils de l'homme, en parcourant les plaines et les montagnes de la Judée, annonçait aux Israélites tout ce qu'enseigne, à l'heure qu'il est, tel orateur de club ou tel faiseur de libelles communistes. En voici un spécimen que nous citons pour l'instruction de nos lecteurs: c'est l'explication la plus nouvelle de l'Oraison domininicale; on la trouve dans la Démocratie pacifique du 2 octobre.

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>> Lorsque Jésus-Christ, sur la montagne, parla pour la première fois au peuple assemblé, il enseigna aux prolétaires, à tous les opprimés, cette prière sublime : Notre Père, qui êtes aux cieux, » que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre » comme au ciel, — ne nous laissez pas succomber à la tentation, » mais délivrez-nous du mal.

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Que votre règne arrive! Ou cette phrase est menteuse comme ⚫une Charte, ou elle veut dire : Vienne le règne de la vérité, de la » liberté et de la justice! - Que votre volonté soit faite sur la terre! »c'est-à-dire Périssent l'erreur, la misère, l'oppression, l'exploita» tion de l'homme par l'homme; viennent la fraternité, la solidarité, » l'association, l'harmonie ! Ne nous laissez pas succomber à la » tentation ! c'est à dire : Loin de nous l'indigence qui pousse au vol,

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» à la prostitution, à la guerre civile !

Délivrez-nous du mal! » oui, délivrez-nous du travail répugnant, insalubre, mal rétribué, >> mal garanti; aidez-nous à sortir des limbes sociales, pour entrer » dans une société plus conforme à la dignité humaine comme à la » bonté de la Providence! »

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Respirons un peu après cette tirade. On s'est souvent moqué des tours de force des commentateurs, mais ceci dépasse la mesure de ce. qu'on peut permettre, même aux plus excentriques, et les bonnes intentions de l'interprète ne l'excusent nullement.

» Observez d'abord qu'il suppose, par une hypothèse gratuite, que Jésus-Christ ne s'adressait qu'à des prolétaires et à des opprimés. Le Sauveur du monde parlait à tous, grands et petits, prêtres et membres de la synagogue, docteurs de la loi et simples femmes. Et s'il dit quelque part que l'Evangile est annoncé aux pauvres, cette parole indiquait, non qu'il s'était exclusivement tourné vers eux, mais que les pauvres se montraient généralement plus attentifs à sa parole. Quant aux opprimés, il est remarquable que l'Evangile tout entier ne contient pas un seul mot qui provoque la résistance à l'oppression civile. On aura beau faire le Christianisme est en dehors et au-dessus des querelles politiques dont nous sommes agités.

» Il faut noter ensuite que le commentateur mutile la prière dominicale. Pourquoi supprimer la première demande : Que votre nom soit sanctifie! et celle-ci Donnez-nous notre pain quotidien! et encore: Pardonnez-nous offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ? Le docteur de la Démocratie pacifique a-t-il craint de ne pouvoir pas renfermer ces requêtes dans la théorie phalanstérienne? En vérité, il est trop modeste; avec son système d'interprétation, cette partie de l'Oraison dominicale ne devait pas l'embarrasser plus que le reste.

» Nous n'avons aucune envie de réfuter point par point le commentaire que nous avons cité. Deux choses seulement y doivent être signalées.

» La première, c'est que l'auteur paraît être complètement étranger à la notion du mal, selon l'esprit de l'Evangile. Pour notre socialiste, le mal est synonyme de misère matérielle, de travail répugnant et incertain, d'indigence ou d'infériorité sociale, et le bien n'est autre

chose, dès lors, que l'état d'aisance, le travail attrayant, le droit au travail, l'égalité dans les jouissances du monde. Qu'il y ait là un certain mal et un certain bien, soit; mais ce n'est que la moindre partie de l'un et de l'autre. Le mal, dans la langue du Christianisme, est incomparablement plus vaste et plus profond ; il comprend tout ce qui dégrade l'homme, tout ce qui est opposé aux lois de la conscience et à la volonté de Dieu. Ce mal peut se rencontrer, et se rencontre en effet chez le riche non moins que chez le pauvre, et quelquefois à un plus haut degré. De même pour l'idée du bien. Le commentateur fouriériste descend dans ses explications fort au-dessous, non seulement de la philosophie antique, mais de la religion païenne; il s'abaisse jusqu'aux élémentaires conceptions de l'homme sauvage.

» La seconde observation à indiquer, et qui est semblable à la première, c'est que le nouvel interprète de l'Oraison dominicale semble ne tenir aucun compte de la vie à venir. Tout pour lui est dans le présent. Que l'homme soit bien nourri, bien vêtu, bien diverti sur cette terre, et cela lui suffit. Son idéal ne s'élève pas plus haut; son espérance ne va pas au-delà. Que la vie actuelle doive entrer en ligne de compte nous y souscrivons. Il ne faut rien outrer, et les mystiques qui traitent les choses terrestres comme absolument indignes de nous occuper, font, nous en avons peur, un système bon pour l'école, non pour la réalité. Mais l'erreur inverse est plus forte encore, et si le rédacteur de la Démocratie pacifique avait bien voulu lire une seule fois le Nouveau-Testament, il aurait vu partout que la vie éternelle est présentée comme le but, et la vie d'ici-bas comme un simple moyen. Malheureusement, on ne se donne guère aujourd'hui la peine d'étudier les matières dont on parle, et pour la science comme pour les actes, on veut être chrétien au meilleur marché possible. Nous n'en félicitons pas notre époque.

Que le Semeur nous permette de lui faire les observations suivantes: 1° Quant les fouriéristes interprètent ainsi l'Oraison dominicale et y trouvent leurs propres théories et leurs propres pensées, que fontils autre chose que ce qu'a fait Luther, et tous les protestans après lui? Chacun d'eux n'a-t-il pas trouvé quelque explication nouvelle de

Le Semeur, no 41, 1848.

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