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chine, affirment ce fait de la manière la plus positive. C'est à ce moment que le mécanicien Durand est venu prendre sa machine pour la conduire en tête du train. Comme je l'ai dit plus haut, le trajet à parcourir était de sept cents mètres, 350 mètres pour aller jusqu'à l'aiguille d'accès du dépôt et autant pour revenir. Cette distance a sans doute été franchie rapidement avec le souffleur ouvert et l'échappement serré. La pression a donc dû monter très-vite, et à 3,38 elle était selon toute probabilité aux environs de 8 atmosphères, c'est-à-dire à la limite normale, la machine étant timbrée pour cette pression. Quelques jours avant sa mort, le mécanicien Durand a dit que le manomètre était près d'atteindre 8 atmosphères; il a juré sur son lit de douleur que les soupapes n'étaient pas calées. Comme d'ailleurs le garde-poseur Leriche, l'aiguilleur Dufour et l'homme d'équipe Morizot, affirment qu'au moment de l'accident, les soupapes ne soufflaient pas et que le souffleur était fermé, il faut que l'explosion se soit produite lorsque la pression allait atteindre 8 atmosphères.

Toutes les assertions relatives à la pression n'ont de valeur que si l'on peut être certain de l'exactitude des indications données par le manomètre. Cet instrument, du système Desbordes, était adapté à la plaque d'arrière qui a été renversée; aussi le cadran en émail et le verre qui le recouvre étaient-ils brisés; mais la lame d'acier faisant ressort, l'engrenage et le pignon étaient restés intacts. J'ai donc pu comparer la marche de l'instrument, tel qu'il devait fonctionner avant d'être avarié, à celle des manomètres du même système. J'ai reconnu ainsi qu'il fonctionnait convenablement le ressort agissait jusqu'à une pression maximum de 13 atmosphères, au delà de laquelle la lame d'acier s'appuyait sur le pivot de l'engrenage, et les indications de l'aiguille s'arrêtaient; celle-ci marquait alors 3 atmosphères, après avoir fait un premier tour complet du cadran. Lors donc que les mécaniciens Durand et Bardot et l'allu

meur Charrière ont observé que le manomètre indiquait. 6 atmosphères, telle était bien la pression intérieure de la chaudière.

L'explosion s'est donc produite sous la pression normale de 8 atmosphères; elle ne peut, en conséquence, être attribuée qu'à l'usure de la chaudière, ou à un vice de construction.

La machine 0,135 a été construite en 1856 par MM. André Koechlin et Cie, à Mulhouse. Le 11 juin de cette même année, elle a subi au moyen de la presse hydraulique l'épreuve réglementaire, double de la pression de marche. Le 27 juin suivant, c'est-à-dire huit ans jour pour jour avant l'explosion, elle était livrée à la compagnie de l'Est. Pendant cette période de 8 ans elle a parcouru 236.948 kilomètres. Ce travail est loin de représenter celui que peut et doit faire une machine bien construite et bien entretenue. Les soins apportés à l'entretien n'ont pas manqué. La machine 0,135 a subi en décembre 1862 une réparation complète aux ateliers d'Epernay; depuis qu'elle en était sortie elle n'a parcouru que 55.000 kilomètres.

La chaudière se compose d'un corps cylindrique comprenant 157 tubes, avec boîte à feu et boîte à fumée. La partie supérieure de l'enveloppe de la boîte à feu est le prolongement du corps cylindrique. La feuille de tôle qui représente cette partie est rivée sur les deux longs côtés aux feuilles latérales et sur les deux petits côtés, d'une part aux autres feuilles du corps cylindrique, et d'autre part à la plaque d'arrière emboutie à cet effet. Les rivets ont 22mm,5 de diamètre et sont distants de 50 milli-mètres, d'axe en axe.

Comme le diamètre de la chaudière est de 1,25, l'effort supporté par la tôle qui tendrait à s'ouvrir suivant une des génératrices du cylindre sous une pression absolue de huit atmosphères est de 45. 194 kilogrammes par mètre courant. Mais la tôle a 13 millimètres d'épaisseur; elle supporte donc dans les parties pleines 3,476 par millimètre quarré; TOME VII, 1865.

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à la rivure, il faut faire une réduction de 45 pour 100 sur la résistance de la tôle, ou ce qui revient au même sur la quantité de métal; l'effort supporté est alors de 6,098 par millimètre quarré. Il s'agit donc de savoir si la tôle pouvait supporter sans danger un pareil effort. Pour éclairer ce point j'ai fait de nombreuses expériences sur les différentes tôles employées dans la construction de la chaudière. Les tableaux annexés au présent rapport font connaître le résultat de ces essais qui ont porté sur dix-huit échantillons dont dix de la tôle supérieure, deux de la tôle du côté droit, deux de la tôle du côté gauche, deux de la plaque d'arrière, une d'une tôle neuve au bois no 1 d'Audincourt, une d'une tôle neuve au coke du Creusot.

En général la résistance à la rupture a été très-grande, assez uniforme, et de beaucoup supérieure à l'effort calculé ci-dessus; mais si l'on considère la colonne des allongements, on trouve des différences considérables entre les différents échantillons.

La plaque d'arrière a été évidemment construite avec une tôle au bois d'excellente qualité, tandis que la feuille supérieure et les feuilles latérales sont en tôle peu malléable. Cependant l'aigreur du métal aurait pu provenir en partie au moins du travail auquel il avait été soumis, et surtout de la déformation brusque due à l'explosion. Une circonstance paraissait même donner quelque vraisemblance à cette supposition.

L'échantillon n° 16 de la tôle d'arrière n'avait présenté qu'un allongement de rupture de 4,779 pour 100, tandis que le n° 15, de la même tôle, qui avait été préalablement réchauffé, et pouvait ainsi avoir acquis à nouveau la malléabilité perdue par la déformation, avait donné 21,304 pour 100. Deux échantillons, no 9 et n° 10, de la tôle supérieure ont été aussi réchauffés et n'ont pas donné de meilleurs résultats que les autres. On ne peut donc conserver aucun doute sur la conclusion formulée ci-dessus que les

tôles de l'enveloppe du foyer, à l'exception de celle d'arrière, étaient fort peu malléables, même avant leur emploi. C'est évidemment à ce défaut de ductilité qu'il faut attribuer la première cause de l'explosion du 27 juin. Mais on peut objecter, non sans raison, que le défaut de ductilité aurait dû, depuis longtemps, amener des accidents avant l'explosion du 27 juin, que rien ne pouvait faire prévoir. Il y a évidemment ici une cause consécutive à rechercher; car il résulte de l'examen scrupuleux des tôles qu'aucune déchirure n'existait avant l'accident. Je n'ai pu remarquer aucune trace de fuite; le métal était sain dans toutes les parties mises à nu. Les pailles dont il est question dans les tableaux d'expériences provenaient de défauts de soudures très-fréquents, même dans les meilleures tôles; mais aucune de ces pailles n'a paru vers les rivets et n'a pu, par conséquent, altérer le métal dans les points dangereux.

Je pense que c'est dans le travail même de la machine 0,135 qu'il faut rechercher la cause consécutive dont je viens de parler. Cette machine, comme toutes celles qui font le même service, devait remorquer les trains de marchandises ordinaires et le train mixte (40) 86. Or celui-ci marche à une vitesse de 38 kilomètres à l'heure sur une section à profil accidenté, dont une partie assez longue est en rampe de 6 millimètres. Le travail de la machine pour un train de 250 tonnes correspond à 351 chevaux et à une consommation de 17,50 par kilomètre. Dans des conditions atmosphériques favorables, la machine peut remorquer le train sans difficultés exceptionnelles; mais par le vent. et la pluie, les mécaniciens ont une tendance naturelle à augmenter la tension de la vapeur et calent leurs soupapes. La pression s'élève alors à des proportions qu'il n'est pas possible d'apprécier. La limite d'élasticite de la tôle est alors dépassée, surtout vers les lignes de rivets, et la déchirure devient imminente.

L'examen de la machine a donné une preuve de cette

fréquente exagération de pression. Un grand nombre d'entretoises indiquées sur les fig. 2 et 3 étaient rompues avant l'explosion. La place où se trouvaient ces entretoises ne permet pas d'attribuer à leur rupture une cause immédiate de l'accident; mais elles indiquent suffisamment que la machine a été surmenée.

La machine 0,155 avait donc sans doute été soumise antérieurement au 27 juin à des pressions exagérées qui avaient préparé l'explosion. Ce jour-là, dans un espace de temps assez court, la pression a été poussée de quatre à huit atmosphères. Lorsque cette limite a été atteinte, une ligne de rivure a cédé et a amené la rupture.

Telles sont donc à mes yeux les causes de l'explosion du 27 juin :

1° Cause primordiale: vice dans la qualité des tôles au point de vue de la malléabilité;

2o Cause consécutive: exagération fréquente de la pres

sion;

3° Cause déterminante: élévation rapide de la pression quelques instants avant l'explosion.

Il importe, en présence des faits qui viennent d'être signalés, d'indiquer les moyens de prévenir le retour d'un accident aussi fatal qui, à la suite de l'explosion en 1857 de la machine la Turquie, faisant partie de la même série, et ayant été fournie par le même constructeur, a jeté une profonde émotion parmi les mécaniciens et autres agents de la compagnie des chemins de fer de l'Est.

Déjà cette compagnie a décidé certaines mesures qui me paraissent complétement remplir le but que doit se proposer l'administration.

1° Toutes les machines de la série vont être l'objet d'un examen minutieux surtout suivant les lignes de rivure longitudinales, tant du corps cylindrique que de son prolongement appartenant à la boîte à feu. Des têtes de rivets seront coupées sur chacune de ces lignes, pour constater

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