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mun des hommes, vous êtes plus esclaves de la raison, et la vertu acquiert autant d'empire sur vous que la fortune en a perdu.

Vous marchez dans une route élevée, mais environnée de précipices, et la carrière où vous courez est marquée par les chutes illustres de ceux qu'un sordide intérêt, un amour déréglé de leur indépendance a précipités du comble de la gloire à laquelle ils étaient parvenus.

Les uns, indignes du nom d'orateur, ont fait de l'éloquence un art mercenaire; et, se réduisant les premiers en servitude, ils ont rendu le plus célèbre de tous les états esclave de la plus servile de toutes les passions.

Le public a méprisé ces âmes vénales, et la perte de leur fortune a été la juste punition de ceux qui avaient sacrifié toute leur gloire à l'avarice.

D'autres, insensibles à l'amour des richesses, n'ont pu être maîtres d'eux-mêmes. Leur esprit, incapable de discipline, n'a jamais pu plier sous le joug de la règle et de l'autorité. Non contens de mériter l'estime, ils ont voulu l'enlever.

Flattés par la grandeur de leurs premiers succès, ils se sont aisément persuadés que la force de leur éloquence pouvait être supérieure à l'autorité de la loi.

Singuliers dans leurs décisions, pleins de jalousie contre leurs confrères, de dureté pour leurs cliens, de mépris pour tous les hommes, ils ont fait acheter leur voix et leurs conseils au prix de toute la bizarrerie d'un esprit qui ne connaît point d'autres règles que les mouvemens inégaux de son humeur, et les saillies déréglées de son imagination.

Quelque grande réputation qu'ils aient acquise par leurs talens extraordinaires, la gloire la plus solide a manqué à leurs travaux ; s'ils ont pu dominer sur les esprits, ils n'ont jamais pu se rendre maîtres des cœurs. Le public admirait leur éloquence, mais il craignait leur caprice; et tout ce que l'on peut dire de plus favorable pour eux, c'est qu'ils ont eu de grandes qualités, mais qu'ils n'ont pas été de grands hommes.

Craignez ces exemples fameux, et ne vous flattez pas de

pouvoir jouir de cette véritable indépendance à laquelle vous aspirez, si vous ne méritez ce bonheur par le parfait accomplissement de vos devoirs.

Vous êtes placés, pour le bien du public, entre le tumulte des passions humaines et le trône de la justice; vous portez à ses pieds les voeux et les prières des peuples; c'est par vous qu'ils reçoivent ses décisions et ses oracles; vous êtes également redevables et aux juges et à vos parties, et ce double engagement est le double principe de toutes vos obligations.

Respectez l'empire de la loi, ne la faites jamais servir par des couleurs plus ingénieuses que solides aux intérêts de vos cliens; soyez prêts de lui sacrifier, non-seulement vos biens et votre fortune, mais ce que vous avez de plus précieux, votre gloire et votre réputation.

Apportez aux fonctions du barreau un amour de la justice digne des plus grands magistrats; consacrez à son service toute la grandeur de votre ministère; n'approchez jamais de ce tribunal auguste, le plus noble séjour qu'elle ait sur la terre, qu'avec un saint respect, qui vous inspire des pensées et des sentimens aussi proportionnés à la dignité des juges qui vous écoutent qu'à l'importance des sujets que vous y traitez.

N'ayez pas moins de vénération pour les ministres de la justice que pour la justice même ; travaillez à mériter leur estime, considérez-les comme les véritables distributeurs de cette gloire parfaite qui est l'objet de vos désirs, et regardez leur approbation comme la plus solide récompense de vos travaux.

Egalement élevés au-dessus des passions et des préjugés, ils sont accoutumés à ne donner leur suffrage qu'à la raison, et ils ne forment leurs jugemens que sur la lumière toujours pure de la simple vérité.

S'ils sont encore susceptibles de quelque prévention, c'est de ce préjugé avantageux que la probité reconnue de l'avocat fait naître en faveur de sa partie servez-vous de cet innccent artifice pour concilier leur attention et attirer leur confiance.

:

Ne vous flattez jamais du malheureux honneur d'avoir obscurci la vérité; et, plus sensibles aux intérêts de la justice qu'au désir d'une vaine réputation, cherchez plutôt à faire paraître la bonté de votre cause que la grandeur de votre esprit.

Que le zèle que vous apporterez à la défense de vos cliens ne soit pas capable de vous rendre esclaves de leurs passions; ne devenez jamais les ministres de leur ressentiment et les organes de leur malignité secrète, qui aime mieux nuire aux autres que d'être utile à soi-même, et qui est plus occupée du désir de se venger que du soin de se défendre.

Quel caractère peut être plus indigne de la gloire d'un ordre qui met tout son bonheur dans son indépendance que celui d'un homme qui est toujours agité par les mouvemens empruntés d'une passion étrangère, qui s'apaise et s'irrite au gré de sa partie, et dont l'éloquence est esclave d'une expression satirique, qui le rend toujours odieux et souvent méprisable à ceux-mêmes qui lui applaudissent?

Refusez à vos parties, refusez-vous à vous-mêmes l'inhumain plaisir d'une déclamation injurieuse; bien loin de vous servir des armes du mensonge et de la calomnie, que votre délicatesse aille jusqu'à supprimer même les reproches véritables, lorsqu'ils ne font que blesser vos adversaires, sans être utiles à vos parties; et si leur intérêt vous force à les expliquer, que la retenue avec laquelle vous les proposerez soit une preuve de leur vérité, et qu'il paraisse au public que la nécessité de votre devoir vous arrache avec peine ce que la modération de votre esprit souhaiterait de dissimuler.

Ne soyez pas moins éloignés de la basse timidité d'un silence pernicieux à vos parties que de la licence aveugle d'une satire criminelle, que votre caractère soit celui d'une généreuse et sage liberté.

Que les faibles et les malheureux trouvent dans votre voix un asile asuré contre l'oppression et la violence; et dans ces occasions dangereuses, où la fortune veut éprouver ses forces contre votre vertu, montrez-lui que vous êtes affranchis de son pouvoir et supérieurs à sa domination.

Quand, après avoir passé par les orages et les agitations du barreau, vous arrivez enfin à ce port heureux, où, supérieurs à l'envie, vous jouissez en sûreté de toute votre réputation, c'est le temps où votre liberté reçoit un nouvel accroissement, et où vous devez en faire un nouveau sacrifice au bien public.

Arbitres de toutes les familles, juges volontaires des plus célèbres différens, tremblez à la vue d'un si saint ministère; et craignez de vous en rendre indignes, en conservant encore ce zèle trop ardent, cet esprit de parti, cette prévention autrefois si nécessaire pour la défense de vos cliens.

Laissez, en quittant le barreau, ces armes qui ont remporté tant de victoires dans la carrière de l'éloquence; oubliez cette ardeur qui vous animait, lorsqu'il s'agissait de combattre, et non pas de décider du prix ; et quoique votre autorité ne soit fondée que sur un choix purement volontaire, croyez pas que votre suffrage soit dû à celui qui vous a choisi, et soyez persuadés que votre ministère n'est distingué de celui des juges, que par le caractère, et non par les obligations.

ne

Sacrifiez à de si nobles fonctions tous les momens de votre vie : vous êtes comptables envers la patrie de tous les talens qu'elle admire en vous, et que vos forces peuvent vous permettre. C'est une espèce d'impiété que de refuser à vos concitoyens un secours aussi utile pour eux, qu'il est glorieux pour vous.

Enfin, si dans une extrême vieillesse votre santé affaiblie par les efforts qu'elle a faits pour le public ne souffre pas que vous lui consacriez le reste de vos jours, vous goûterez alors ce repos durable, cette paix intérieure, qui est la marque de l'innocence, et le prix de la sagesse.

Vous jouirez de la gloire de l'orateur et de la tranquillité du philosophe; et si vous êtes attentifs à observer les progrès de votre élévation, vous trouverez que l'indépendance de la fortune vous a élevés au-dessus des autres hommes, et que la dépendance de la vertu vous a élevés au-dessus de vousmêmes.

LETTRE A M***,

OU L'ON EXAMINE SI LES JUGES QUI PRÉSIDENT AUX AUDIENCES PEUVENT LÉGITIMEMENT INTERROMPRE LES AVOCATS LORSQU'ILS PLAIDENT.

Admonere voluimus, non mordere :
Prodesse, non lædere. ERASME.

à mes

MONSIEUR, comme la question sur laquelle vous me faites l'honneur de me demander quelque éclaircissement intéresse également et les juges et l'Ordre des avocats et le public, puisqu'il s'agit de savoir si les juges qui président aux audiences peuvent légitimement interrompre les avocats, lorsqu'ils défendent une partie; trouvez bon, s'il vous plaît, que, pour satisfaire votre curiosité, je ne m'en rapporte pas faibles lumières; je ferai sans doute bien plus d'impression. sur votre esprit, en réunissant ici sous un seul point de vue les différens traits qui sont dispersés là-dessus dans plusieurs livres, tant anciens que modernes. Et pour entrer d'abord en matière, Mornac interprétant la loi 9 au Digeste de Officio Proconsulis, avoue que si quelque avocat était capable de débiter des faussetés évidentes, ou des choses contraires à l'état, à la religion et aux bonnes mœurs, le juge qui présiderait pourrait l'interrompre, avec dignité néanmoins et bienséance, tamen cum ingenio et servatá semper dignitate judicis.

Mais comme je puis avancer hardiment, à l'honneur de la profession d'avocat, que ceux qui l'exercent n'oublient pas leur devoir jusqu'à ce point, il est inutile de m'étendre davantage sur les interruptions dont je viens de parler; tout mon dessein consiste à vous entretenir de ces interruptions que, dans quelque parlement, on fait de temps en temps aux avocats durant le cours de leur plaidoirie, pour les avertir de finir bientôt; et principalement de ces interrup

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