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que l'était monsieur votre père sur les interruptions; car de grands personnages ne commettent ordinairement des fautes que parce qu'ils croient que ce ne sont pas des fautes; mais, dès que la vérité s'offre à leurs yeux, ils font bientôt céder leurs propres préjugés à leur devoir.

Je suis, etc.

DU POUVOIR DISCIPLINAIRE,

SON CARACTÈRE ET SES LIMITES.

M DUPIN JEUNE.

(Extrait de sa Consultation pour Me. Pierre Grand, novembre 1829.) (1)

En tout ce qui ne tient pas à la fonction qui les distingue, les avocats ne sont que citoyens ; en tout ce qui interesse cette fonction, ils sont soumis à la discipline de l'ordre.

TARGET, Lettre sur la censure.

La qualité d'avocat n'exclut pas l'exercice des droits de citoyen, et au nombre de ces droits est celui de publier librement sa pensée.

DAVIEL, Examen de l'ordonnance de 1822.

Incompétence du conseil de discipline pour connaître d'un fait étranger à la profession d'avocat.

QU'EST-CE donc qu'un avocat, dans l'ordre actuel de la

société ?

Ce n'est ni un magistrat, ni un fonctionnaire public; il n'occupe aucune place, n'exerce aucune autorité, ne reçoit aucun traitement; c'est un simple citoyen qui se dévoue au patronage des autres citoyens. C'est un homme privé, qui, consacrant ses veilles à l'immense étude des lois, se charge d'éclairer les autres hommes sur leurs droits de défendre leur fortune contre les envahissemens de la fraude, leur liberté contre les entreprises du pouvoir, leur vie contre les

(1) Me. Pierre Grand avait cru devoir prononcer un discours sur la tombe d'un conventionnel qui avait voté la mort du roi. Cité pour ce fait devant le conseil de discipline, il fut suspendu pendant un an ; mais il se pourvut contre cette décision par appel devant la cour royale de Paris. Me. Dupin jeune rédigea, à l'appui de cet appel, une consultation qui fut signée par un grand nombre d'avocats de divers barreaux de France: Il y établit, entre autres points, que le conseil de discipline est incompétent pour connaître d'un fait extérieur, entièrement étranger à la profession, et qui tient à la liberté des citoyens. C'est cette partie de la consultation que nous rapportons ici.

piéges de la haine et les dangers de la prévention. Placé pour le bien public, suivant l'expression de d'Aguesseau, entre le tumulte des passions humaines et le trône de la justice, il porte au pied de ce trône les vœux et les prières des peuples. C'est la voix de celui qui souffre, le tuteur de celui qu'on opprime. Noble mission qu'aucune obligation n'impose, qu'aucun pouvoir ne commande, que l'avocat tient de lui seul, et qui perdrait son principal mérite le jour où elle cesserait d'être essentiellement volontaire et libre !

Pour prix de ce dévouement, pour prix des travaux et des sacrifices qu'il s'impose, l'avocat ne réclame ni pouvoir ni honneurs; il ne demande qu'une honorable indépendance, et il la demande moins encore dans son intérêt personnel que dans l'intérêt de ceux qui ont besoin de son ministère : car, ainsi que le disait, dans une cause célèbre, le désenseur de la duchesse d'Olonne : « La liberté est inséparable d'un état qui sans elle n'aurait point d'objet, ou plutôt en aurait un >> tout contraire à son institution. Sans la liberté, au lieu » d'être les appuis de la vérité, nous ne serions bientôt plus » que les ministres du mensonge; sans la liberté, les mains à qui l'indépendance qui nous caractérise assurent le droit de » protéger l'innocence, n'auraient plus d'autre privilége que » de devenir les instrumens de son oppression.

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Toutefois, nous le reconnaissons, cette indépendance a ses limites.

Et d'abord, elle s'arrête devant les prohibitions de la loi, à laquelle tout citoyen doit obéissance.

Elle est aussi restreinte par certaines règles particulières à la profession.

Les infractions à la loi sont punies par les tribunaux ordinaires, à l'égard des avocats comme à l'égard des autres citoyens. Pour les infractions aux règles de leur profession, les avocats sont jugés par leurs pairs.

Or, c'est ici le lieu de s'expliquer sur la nature et l'étendue du pouvoir disciplinaire.

On vient de voir que l'avocat n'est pas un fonctionnaire public, mais un simple citoyen.

Aussi, dans une lettre du 6 janvier 1750, le chancelier

d'Aguesseau s'exprime-t-il en ces termes : « Les avocats ne » forment point un corps ou une société qui mérite vérita»blement ce nom; ils ne sont liés entre eux que par l'exer»cice d'un méme ministère ; ce sont plusieurs sujets qui se destinent également à la défense des plaideurs, plutôt que » des membres d'un seul corps, si l'on prend ce mot dans la signification la plus exacte; le nom de profession ou d'Or»dre est celui qui exprime le mieux la condition ou l'état des » avocats.» (Tome 10, page 515.)

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D'après cette définition parfaitement exacte il semblerait que les avocats, séparés ou réunis, ne devraient pas avoir plus de droits sur leurs confrères que n'en ont les médecins ou les négocians sur les personnes exerçant la même profession qu'eux. Mais à l'égard d'un Ordre dépositaire des plus grands intérêts, des titres les plus précieux, des secrets les plus importans pour les familles ; à l'égard d'un ordre dont les membres sont dans une relation continuelle et obligée; où des rapports de tous les jours établissent un abandon et une confiance réciproques, des confidences nécessaires, des remises de pièces sans récépisé, où le devoir est d'embrasser chaudement les intérêts des autres, sans toutefois s'abandonner à leurs emportemens; de s'attaquer sans faiblesse, mais sans animosité; de se ménager sans prévarication; de nourrir une concorde mutuelle au sein de combats journaliers et de luttes sans cesse renaissantes; d'être toujours rivaux, jamais ennemis; on a senti la nécessité de former un lien commun, de tracer de certaines règles de conduite qui missent hors d'atteinte la dignité de la profession, et pussent concilier deux choses qui semblent sinon s'exclure, du moins se contrarier, savoir: l'honneur solidaire du corps et l'indépendance individuelle de ceux qui le composent. C'est un frein salutaire que les avocats se sont imposé à eux-mêmes. L'illustre magistrat que nous avons cité le dit encore: «S'il y a une espèce de discipline entre eux pour l'honneur et la réputation » de cet Ordre, elle n'est que l'effet d'une convention volon» taire, plutôt que l'ouvrage de l'autorité publique. » (Ibid.)

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Du reste, cette discipline était sans danger pour les individus; car, dans le principe, elle s'exerçait par l'ordre tout

entier, et si, plus tard, elle fut remise aux députés ou chefs de colonnes, ces députés, élus par l'Ordre en assemblée générale, étaient ses représentans de fait comme de droit. D'ailleurs, l'avocat inculpé pouvait toujours réclamer l'assemblée générale de ses pairs. Enfin l'appel au parlement lui offrait un dernier refuge.

Ainsi exercé dans l'intérêt commun, d'après les idées et les principes généraux de l'Ordre, il n'était pas à craindre que ce pouvoir disciplinaire fût pour quelques-uns un moyen de faire prédominer les principes et les idées, les sympathies ou les désaffections qui leur étaient particulières.

Par le décret du 14 décembre 1810, destiné à impérialiser la discipline du barreau, l'Ordre fut déshérité du pouvoir disciplinaire qui résidait en lui; ce pouvoir fut concentré aux mains des chefs de colonne; les avocats ne conservèrent pas même le droit d'élire ceux qui devaient les représenter; ils n'eurent que le droit de désigner des candidats parmi lesquels le procureur-général choisirait le bâtonnier et les membres du conseil : c'était une quasi élection. Mais, par une contradiction remarquable entre le rapport qui la précède et les dispositions qu'elle renferme, l'ordonnance du 20 novembre 1822 leur enleva ce reste de leurs anciennes prérogatives, sous l'étrange prétexte de les leur rendre!

Hâtons-nous de le dire : ces réflexions et ces faits n'ont pour objet ni de secouer le joug des règlemens, ni moins encore d'attaquer les personnes.

Sans doute nous ne craindrons pas de déposer dans le sein des magistrats qui ont toujours honoré notre Ordre d'une tutélaire bienveillance, des voeux pour que notre discipline reçoive des améliorations sollicitées de toutes parts, pour qu'on ne nous refuse point ce qui a été accordé aux moindres corporations d'officiers ministériels, et pour que notre profession repose sur la garantie des lois plutôt que sur la base fragile et mouvante des ordonnances (1).

(1) Une pétition, dépositaire de ces vœux, avait été remise à l'un des derniers gardes des sceaux, et les signatures qu'elle porte sont garantes des principes qui l'avaient dictée. On y voit celle de notre

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