Page images
PDF
EPUB

la nécessité, et relever l'empire des vieux usages. Il ne reste donc plus qu'à comparer les dispositions de l'ordonnance à celles du décret, et à rappeler les anciennes traditions de l'Ordre; et si nous rencontrons dans l'ordonnance les mêmes et peut-être de plus dures entraves que dans le décret; si nous y trouvons dénaturées ou remplacées par des dispositions d'un effet tout contraire les traditions du barreau, il sera démontré que le nouveau règlement ne remplit nullement les conditions dont la nécessité est officiellement reconnue, et que, dès lors, c'est à bon droit les avocats en demandent l'abrogation.

C'est le but du présent écrit.

que

ww

CHAPITRE II.

DE L'ORDRE DES AVOCATS SUIVANT L'ORDONNANCE.

AVANT la révolution, tous les avocats inscrits au tableau composaient l'ordre des avocats, s'assemblant, sur la convocation du chef de l'ordre, pour délibérer sur tous les intérêts communs. Le premier de ces intérêts était l'élection annuelle du bâtonnier, qui s'opérait directement à la majorité des suffrages, sans être subordonnée à l'agrément du premier président ou du procureur général. Le bâtonnier n'avait besoin de prendre l'autorisation de personne pour convoquer ses confrères, toutes les fois qu'il croyait récessaire de soumettre un objet quelconque à leur délibération.

Le tableau était arrêté chaque année par l'ordre ou par ses commissaires (1), et déposé au greffe par le bâtonnier les magistrats n'y avaient aucun droit de regard.

Lorsqu'il s'agissait d'infliger quelque peine de discipline,

(1) Au parlement de Rouen, le bâtonnier nommait chaque année six commissaires pour la révision du tableau, ils faisaient leur rapport en assemblée générale, et c'était l'Ordre entier qui statuait sur toutes les difficultés.

tous les anciens de l'Ordre étaient convoqués. En Normandie, les jeunes même étaient admis à délibérer; c'est-à-dire, que Finscription sur le tableau, après le stage terminé, était la seale condition requise pour prendre part aux délibérations.

A Paris, le grand nombre des avocats rendant la solennité d'une assemblée générale gênante dans une infinité de cas, on avait, en 1662, pris le parti de diviser le tableau par bancs, et chaque banc nommait deux députés qui, réunis au bâtonnier en exercice et aux anciens qui avaient été revêtus de ce titre, réglaient le courant des affaires, soit qu'il s'agit de l'admission au stage, de l'inscription au tableau, ou de prononcer des peines de discipline.

Mais les parties intéressées pouvaient toujours appeler à l'ordre entier des décisions prises par les députés des bancs. Le bâtonnier était obligé de convoquer l'ordre toutes les fois qu'il y avait réclamation contre les décisions de la députation, et ces décisions ne devenaient définitives qu'autant qu'elles avaient été approuvées dans une assemblée générale.

En 1777, Ducastel, depuis si célèbre au barreau de Normandie, voulait se faire recevoir avocat à Paris; mais comme il avait plaidé, après la suppression des parlemens, devant le conseil supérieur de Bayeux, cette circonstance lui fit éprouver un refus de la part de la députation il réclama

l'assemblée générale de l'Ordre.

De même lorsqu'il s'agissait des peines de discipline. Témoin Linguet, qui, ayant été rayé du tableau par la députation, en appela d'abord à l'Ordre, et puis, l'Ordre ayant confirmé la radiation, au parlement.

Telle était, sous l'ancien régime, l'organisation intérieure de l'ordre des avocats.

L'ordonnance de 1822 a rétabli la division des avocats en bancs ou colonnes, mais, sauf cette répartition matérielle, il n'existe aucune analogie entre les dispositions de l'ordonnance et les anciens usages du barreau de Paris, puisque les chefs de colonne ne sont plus les députés de l'Ordre renouvelé chaque année par voie d'élection, mais des commissaires qui se recrutent eux-mêmes.

D'après l'ordonnance, la première répartition en colonnes a été faite par les conseils de discipline en exercice au mois de novembre 1822 (et à Paris, par un conseil de discipline indûment prorogé dans ses fonctions par l'arrêté de M. Bellart du 24 août 1822), c'est-à-dire, qu'en même temps que le rapport s'indigne contre le décret qui avait attribué aux chefs des cours et tribunaux la première formation des tableaux, elle n'en a pas moins attribué le droit de former les colonnes aux élus des parquets.

En voyant tant préconisée dans l'arrêté de M. Bellart, et dans le rapport, «< cette désignation si naturelle et si respectable qui, sous l'empire des vieux usages résultait de l'ancienneté, »> on devait s'attendre à voir les avocats classés sur les colonnes d'après leur ordre de réception : mais, dans cette répartition, tout a été laissé à l'arbitraire.

Il n'est pas de puissance plus impartiale que le temps: il pourrait livrer les premiers rangs des colonnes à des hommes qu'on n'y veut pas voir. Aussi l'ordre de réception ne sera pas suivi. Aucune règle n'est tracée pour la répartition : elle aura lieu suivant le bon plaisir des bâtonniers et des conseils de discipline nommés par les procureurs généreaux. Or, comme ce qui s'est passé en 1822, à l'occasion des élections du barreau de Paris, prouve assez dans quel esprit certains procureurs généraux faisaient choix des bâtonniers et des membres du conseil, la répartition faite d'après l'ordonnance a dû différer de bien peu de celle qu'auraient pu faire les procureurs généraux, d'autant plus que les membres des conseils alors en exercice, ne pouvant se déclarer eux-mêmes indignes d'occuper la tête des colonnes, étaient dans une sorte de nécessité de s'y placer. Les résultats de cette première répartition ont donc dù se trouver aussi conformes aux vues du pouvoir qu'en 1810, à la première formation des tableaux.

Ce n'était pas encore assez : il serait possible que les décès, les promotions et les retraites, dégarnissant les sommités des colonnes, vinssent déranger les calculs de la première répartition, et que l'on vit ainsi parvenir dans le conseil de l'ordre des membres importuns aux mains desquels on ne

veut pas abandonner le droit de le représenter. En conséquence, l'art. 4, mobilisant les colonnes, réserve aux procureurs généraux et aux conseils de discipline la faculté de demander, après trois ans, une nouvelle répartition qui, sur leur demande, pourra être ordonnée par les cours royales. L'ordonnance a donc enlevé aux avocats toute influence directe ou indirecte sur la nomination des chefs de colonne, et les plus anciens ont été mis à cet égard sur le même niveau que les plus jeunes. Ces chefs n'étant plus les élus de leurs confrères ne composent véritablement qu'une commission imposée à l'Ordre et non déléguée de lui, laquelle a la faculté de se recomposer avec la permission du procureur général. La faculté d'appeler à l'ordre entier des décisions de cette commission aurait compensé le vice de sa composition; cet appel devenait plus nécessaire encore, plus légitime qu'autrefois, puisque les chefs de colonne ne sont plus les députés de leurs confrères; mais l'ordonnance ne permet de porter l'appel que devant les cours royales: la juridiction des chefs de colonne et des bâtonniers a absorbé tous les pouvoirs qui appartenaient si essentiellement à l'Ordre des avocats (1). L'Ordre lui-même n'a réellement plus aucune existence, puisque les avocats ne peuvent se réunir en aucun cas, et que toute compétence leur a été enlevée. Ils ne forment plus qu'un vain cadre où il ne reste plus pour la volonté générale et pour les intérêts communs aucun moyen possible de manifestation.

CHAPITRE III.

DE LA COMPOSITION DU CONSEIL DE DISCIPLINE.

§ 1. Sous l'empire du décret de 1810, tous les avocats inscrits au tableau arrêtaient annuellement en assemblée géné

(1) Voyez l'écrit de Target, intitulé la Censure; un très-long extrait de cet écrit se trouve dans le Répertoire, au mot Radiation.

rale une liste double de candidats, sur laquelle le procureur général choisissait le bâtonnier et les membres du conseil. Ce patronage du chef du parquet était sans doute contraire à la constitution d'un ordre essentielle nent indépendant. Talon, si jaloux du titre de chef des avocats, Seguier, qui disait: on m'appelle avocat général parce que je suis le général des avocats, n'avaient jamais revendiqué de tels priviléges, et il était sans doute assez étrange de refuser aux avocats l'élection directe de leurs conseils de discipline, lorqu'on l'accordait aux notaires, aux avoués et aux huissiers.

Mais enfin, dans cette délibération solennelle de l'assemblée générale, l'Ordre entier pouvait se manifester par l'expression du scrutin. Les avocats avaient un moyen de témoigner leur affection et leur estime à ceux de leurs confrères qui avaient bien mérité, et leur union pouvait même forcer le procureur général à ne former que des choix ratifiés d'avance par la majorité.

Quoique l'élection du conseil de discipline puisse scule lui conférer la sanction morale indispensable à une autorité toute d'opinion, l'ordonnance a mis l'Ordre entièrement à l'écart. Elle compose les conseils de discipline des avocats qui ont déjà exercé les fonctions de bâtonnier, des deux plus anciens de chaque colonne et d'un secrétaire choisi indistinctement parmi ceux qui seront âgés de 30 ans accomplis et qui auront au moins dix ans d'exercice.

Le bâtonnier et le secrétaire sont élus annuellement à la majorité des suffrages par les conseils de discipline.

Concentrer ainsi le droit d'élection dans les mains des anciens bâtonniers et des conseils de discipline, créatures des procureurs généraux, n'était-ce pas manifester de nouveau ces défiances dout on semblait reconnaître et proclamer l'injustice?

Quel meilleur juge que l'Ordre entier des droits de ses membres à l'honneur de le représenter? Qui peut mieux que lui concilier les droits de l'ancienneté avec ceux du talent et du courage civil, et satisfaire toutes les convenances.

« PreviousContinue »