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Dans l'intérêt des élus eux-mêmes, une élection en assemblée générale ne serait-elle pas bien plus flatteuse qu'une élection concentrée à huis-clos entre un petit nombre de confrères choisis sous l'influence du parquet?

Le mode de l'ordonnance eût été sans doute préférable à celui du décret si, comme autrefois, les chefs de colonne eussent été les députés de l'Ordre. Élus par leurs confrères, ils en eussent été les représentans, et la mission de nommer le bâtonnier eût pu leur être déléguée; mais la répartition des avocats sur les colonnes étant absolument arbitraire, et pouvant être dirigée dans des vues toutes spéciales, il pourrait arriver que le choix du bâtonnier fût réellement contraire au vœu du plus grand nombre, et que, dans cette lutte de l'opinion du conseil de discipline contre l'opinion de l'Ordre, l'Ordre se trouvât réduit à un complet asservis

sement.

§ 2. Lorsque le nombre des avocats portés sur le tableau n'atteint pas celui de vingt, les fonctions des conseils de discipline sont remplies, s'il s'agit d'avocats exerçant près d'une cour royale, par le tribunal de première instance de la ville où siége la cour, et, dans les autres cas, par le tribunal auquel seront attachés les avocats inscrits au tableau.

Il n'y a ici aucune innovation au décret; mais il y a innovation aux anciens usages. Dans les juridictions inférieures les avocats exerçaient par eux-mêmes leur discipline intérieure, sauf l'appel de leurs décisions aux parlemens, soit qu'il s'agît de l'admission au tableau, soit qu'il s'agît de l'application des peines. Bien loin de permettre à cet égard l'intervention des magistrats, les parlemens avaient pour principe que ces magistrats ne pouvaient rien sur l'état des avocats, et toutes les fois qu'au Châtelet ou dans les autres juridictions inférieures quelqu'avocat avait été suspendu ou interdit de ses fonctions, les procureurs généraux ne manquaient pas de se rendre eux-mêmes appelans de la sentence pour faire décider que, comme le disait l'avocat général Jolly de Fleury lors d'un arrêt du 25 mai 1748, «déposi

» taire de son état, puisque c'est d'elle que l'avocat le tient, >> la cour seule pouvait l'en priver (1). »

Ces anciens usages devaient être rétablis, puisque le préambule de l'ordonnance annonce que le gouvernement a voulu rendre à l'ordre des avocats la plénitude de l'ancienne discipline sur ses membres, ou du moins, au lieu de se contenter de l'avis écrit du bâtonnier, il fallait adjoindre au tribunal un certain nombre d'avocats pour composer le conseil de discipline.

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CHAPITRE IV.

DU TABLEAU.

La première attribution du conseil de discipline est de prononcer sur les difficultés relatives à l'inscription sur le tableau de l'Ordre. (Ordonnance, art. 12.)

Avant la révolution, comme on l'a déjà dit, la députation n'exerçait ce droit au barreau de Paris qu'à charge d'appel à l'Ordre entier. Dans les autres parlemens e'était l'assemblée générale de l'Ordre qui statuait.

Du reste les avocats étaient maîtres souverains de leur tableau. Jamais les procureurs généraux ni les parlemens n'admettaient d'appel de la part des postulans, dont la demande en admission au tableau n'avait pas été accueillie par l'Ordre des avocats. Ce principe ne souffrait exception que relativement aux avocats des jurisdictions inférieures : le parlement recevait l'appel de leurs décisions, attendu qu'elles présentaient bien moins de garanties que celles de colléges nombreux et où se trouvaient tant d'hommes honorables à l'abri de tout soupçon d'envie ou de méchanceté (2).

(1) Nouveau Denisart, au mot Avocat, § 3 et 4.

(2) Nouveau Denisart, au mot Avocat. - Consultation et arrêt dans l'affaire Roblein, rapportés dans l'Appel à la postérité, de Linguet, page 405. — Répertoire, au mot Avocat.

D'après le décret, les décisions prises en matière d'admission au tableau étaient également souveraines, et le même principe résulte de l'économie des art. 21, 22, 23 et 25 de l'ordonnance (1); mais une instruction ministérielle, qui la suivit de très-près (2), tendait à attribuer aux procureurs généraux, aux cours royales et même au garde des sceaux, un droit de contrôle sur la conduite des conseils de discipline, relativement au tableau. Il faut tenir note de cette tentative. «En cas d'admission par le conseil de discipline, >> dit cette circulaire aux procureurs généraux, « d'individus qui vous paraîtraient n'avoir pas le droit d'être inscrits au tableau, vous devez dénoncer au conseil de discipline l'irrégularité que vous auriez reconnue, et, dans le cas où l'inscription serait maintenue, vous pourvoir par appel devant la cour. L'art 5 tend, et avec raison, à écarter de l'ordre des avocats et à exclure du tableau des individus qui, pourvus du grade nécessaire et admis au serment, n'exercent pas réellement la profession d'avocat, et veulent, à l'aide d'un titre nu, sans se livrer habituellement et exclusivement aux exercices du barreau ou aux travaux du cabinet, jouir de prérogatives qui ne peuvent appartenir qu'aux hommes laborieux et véritablement dévoués à la profession qu'ils ont embrassée...... Des signatures isolées, apposées de loin en loin sur des écrits judiciaires, sans aucune démonstration de l'exercice réel de sa profession, ne suffiront pas pour constituer l'avocat et lui donner le droit d'être porté au tableau. A plus forte raison le gradué qui, placé dans ces dernières circonstances se trouvera de plus ne pas résider au chef-lieu de la cour ou du tribunal, de manière à ne pouvoir offrir aux justiciables un accès, un recours facile, ne pourra être considéré comme avocat.»> Au fond, quoi de plus étrange que la règle posée par cette circulaire?

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(1) Le droit du conseil de discipline s'exerçant à cet égard contrôle, il est de règle de ne pas délivrer aux candidats expédition des arrêtés qui prolongent le stage ou refusent l'admission au tableau. (2) Circulaire du 6 janvier 1823. Sirey, Recueil général, 23, 2, 266.

«Tout avocat inscrit au tableau est présumé exercer réellement : l'avocat a la liberté d'exercer sa profession quand il lui plaît. On ne peut pas lui faire l'injonction d'être plus ou moins studieux, plus ou moins savant. On peut aussi bien exercer la profession d'avocat par le conseil que par la plume et la parole. Enfin on ne peut obliger l'avocat à rendre compte des conseils qu'il a donnés à ses cliens (1). »

Celui qui ne manifeste pas l'intention d'abandonner sa profession est présumer l'exercé. On ne peut lui faire un crime de n'avoir pas le bonheur d'être occupé autant qu'il le désirerait. L'inscription au tableau constitue une possession d'état qu'un fait positivement incompatible peut seul détruire. Pithou, que Henri IV nomma procureur général au rétablissement du parlement de Paris, s'était, après son admission au barreau, condamné au silence jusqu'à quarante ans.

D'Aguesseau cite comme un exemple à suivre celui de Langlois, célèbre avocat de son temps, qui, suivant le conseil du premier président de Lamoignon, s'éloigna du barreau après un brillant début et dut la plus grande partie du talent qu'il déploya ensuite au salutaire retardement que son protecteur lui avait imposé..

Maître Cochin, la cour vous invite à ne plus la priver du plaisir de vous entendre, disait le premier président du parlement à ce grand avocat, qui, pendant long-temps, s'était tenu éloigné de l'audience.

Le conseil de discipline aurait-il donc dû rayer du tableau à défaut d'exercice réel Pithou, Langlois et Cochin?

Faudrait-il rayer du tableau ces vieillards respectables que l'âge ou les infirmités ont éloignés des audiences, et qui n'apposent plus que de loin en loin leurs signatures sur des écrits judiciaires, mais en qui vivent les anciennes traditions de l'Ordre et les vertus qui honorent l'avocat et qui dès lors sont si nécessaires dans le conseil de discipline?

Enfin, qui ne serait révolté des recherches inquisitoriales auxquelles donnerait lieu un tel principe appliqué dans sa

(1) Répertoire, au mot Avocat.

rigueur, appliqué surtout comme le prétendait la circulaire? car, et c'est là ce qu'elle avait de plus étrange encore, le ministre ne voulait pas qu'on s'en rapportât sur ce point au témoignage des conseils de discipline, et il prétendait porter un tel débat devant les cours royales!

Le procureur général de Grenoble, après avoir soumis au garde des sceaux le tableau de l'ordre des avocats près cette cour, invita le conseil de discipline à en éliminer dix avocats qui, suivant lui, n'exerçaient pas réellement; et comme le conseil n'avait pas jugé à propos de déférer à cette réquisition, il appela devant la cour, et il intima, non-seulement les dix avocats suspects de ne pas exercer réellement, mais encore le bâtonnier de l'Ordre. Pour appuyer cet appel sur les dispositions de l'ordonnance, il était obligé de soutenir qu'il y avait infraction de la part des avocats qui s'obstinaient à être portés au tableau quoique n'exerçant pas réellement, et de la part du conseil de discipline qui avait persisté à les y maintenir illégalement.

Mais la cour, par arrêt du 17 juillet 1823, conformément au principe que les avocats sont maîtres de leur tableau, déclara le procureur général non recevable dans son appel.

Depuis, un arrêt de la cour d'Amiens, du 28 janvier 1824, et un arrêt de la cour de cassation, du 23 juin 1828, ont consacré le même principe.

La tentative du garde des sceaux, si elle eût été couronnée de succès, devait être le dernier coup porté à l'existence de l'Ordre; car il ne peut exister, comme corps indépendant, que par le libre choix de ses membres, et, par l'appel, ce choix eût été par le fait attribué aux cours royales.

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Tel était apparemment le but principal de la circulaire de 1823 elle en avait encore un autre, c'était de décimer les listes, afin de les réduire en un plus grand nombre de ressorts, au-dessous de vingt, et d'arriver par-là à composer presque partout les conseils de discipline des membres des tri

bunaux et non d'avocats.

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