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Il faut que les accusés puissent, sans danger pour autrui, faire à leurs conseils les confidences propres à les diriger dans la conduite des débats, de manière à combiner les moyens de défense qui peuvent servir à l'un des co-accusés sans compromettre la sûreté des autres. Ces communications, impossibles si un tiers aposté peut en partager le mystère, sont quelquefois indispensables au salut de l'accusé. Nous en citerons un exemple : dans une affaire d'infanticide, les charges qui pesaient sur la mère étaient si graves, qu'elle eût été inévitablement condamnée. Son défenseur soupçonna qu'elle lui cachait le véritable coupable: c'était son père qu'elle ne voulait pas dénoncer à la justice. L'avocat, dans le secret de ses entretiens avec elle, lui arracha cet aveu, à condition toutefois de n'en pas faire usage devant les jurés. L'habile défenseur tint sa promesse il sut diriger les débats de manière à obtenir la justification de sa cliente sans trahir son secret; elle fut acquittée. S'il n'eût fait que l'assister aux débats, victime de son dévouement filial, elle était condamnée (1).

Tous ceux qui ont rempli le ministère de la défense savent que c'est dans la libre communication avec l'accusé qu'en réside la partie la plus essentielle. Les plus intimes confidences peuvent seules établir entre le défenseur et le client cette communauté de sentimens, cette sympathie si nécessaire. Séparez-les, paralysez leurs relations, la confiance de l'un s'éteint faute d'aliment le zèle de l'autre se glace faute de savoir si l'accusé mérite intérêt.

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C'était là un des principaux vices de la procédure de l'inquisition les défenseurs, sans communication libre avec les accusés, épousaient presque toujours les préventions de l'accusation, dans l'impuissance où ils étaient réduits de s'assurer par eux-mêmes du caractère et du personnel de leurs cliens (2).

Comme il est toujours possible de concilier les précautions

(1) Voyez Requête en cassat. du général B..........., Denn. 22, page 415. (2) Lorente, Histoire de l'inquisition, tome 1, page 311.

nécessaires pour la garde du prisonnier, la garde du prisonnier, avec le secret des communications, aucune considération re peut autoriser la violation de ce secret, essentiellement inhérent au droit de la défense. L'assistance d'un défenseur n'est pas un privilége concédé par la loi et qu'elle puisse restreindre à son gré, c'est un droit naturel inviolable, et, sans liberté absolue de communication, le ministère du défenseur est quasi inutile (1).

Il faut que ces principes soient ancrés bien profondément au cœur de tous les hommes, puisque dans deux procès où l'on s'inquiéta peu d'équité et de justice, on n'osa pourtant les enfreindre.

La Convention avait décrété que les conseils de Louis XVI communiqueraient librement avec lui. Cependant le conseil général de la commune prit un arrêté portant que : « Les conseils que la Convention pourra donner à Louis ne communiqueront qu'avec lui et toujours en présence des officiers municipaux, attendu la complicité présumée de toute sa famille en conséquence, au moment où les conseils de Louis seront introduits, le valet de chambre se retirera et les seuls officiers municipaux resteront, l'assemblée s'en rapportant à leur discrétion sur l'attention de ne pas gêner la confiance du prisonnier dans les confidences qu'il pourrait avoir à faire, et à leur prudence pour ne pas compromettre la sûreté des prisonniers. » Cet arrêté fut dénoncé à la Convention, qui « en » accueillit la lecture par les plus violens murmures. De toutes » parts on demande qu'il soit cassé. Bazire appelle ces mesures » vexatoires et tortionnaires; il demande qu'on les casse et qu'on improuve le conseil général. L'assemblée passe à » l'ordre du jour, motivé sur son décret précédent qui porte

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(1) Sur l'art. 8 du tit. 14 de l'ordonnance criminelle de 1670, le président de Lamoignon disait que le conseil qu'on a accoutumé de donner aux accusés n'est pas un privilége accordé par les ordonnances, ni par les lois; que c'était une liberté acquise par le droit naturel qui est plus ancien que toutes les lois humaines; que la nature enseignait à l'homme d'avoir recours aux lumières des autres quand il n'en avait pas assez pour se conduire et d'emprunter des secours quand il ne se sentait pas assez fort pour se défendre.

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De même, lors du procès de la reine, les communications de l'auguste accusée avec ses conseils furent entièrement libres; ce ne fut qu'après le jugement qu'on mit momentanément en arrestation les deux citoyens courageux qui avaient accompli un noble et sacré ministère, pour obtenir d'eux les révélations, importantes pour l'état, que la reine aurait pu faire à ses défenseurs (2). Cette mesure était attentatoire sans doute à la liberté de l'avocat, mais elle n'attentait pas à la liberté de la défense. A ce moment, la connaissance des secrets de la prisonnière ne pouvait plus influer sur son sort, et il n'est aucun avocat qui ne fit volontiers le sacrifice de sa propre liberté pour assurer à son client l'avantage d'une libre et entière défense.

Comment, depuis la restauration, un procureur général du roi a-t-il pu prescrire des mesures devant lesquelles la Convention avait reculé? Et comment, puisqu'il s'agit d'une simple attribution de police et d'ordre intérieur dans les prisons, le garde des sceaux n'a-t-il pas encore publié une circulaire qui rassure sur le retour de tels abus d'autorité ?

En attendant, nous répéterons toujours avec le vieux lieutenant-criminel que nous avons déjà cité : « Qu'ôter la défense, c'est chose exorbitante; que la donner, mais non pas libre, c'est tyrannie; » tyrannie qui s'exerce sur l'accusé et sur l'avocat.

(1) Moniteur du 16 décembre 1792.

(2) Pendant l'instruction du procès de la veuve Capet, les comités de surveillance et de sûreté générale de la Convention déterminèrent que les défenseurs officieux de cette femme seraient, à l'expiration de leur ministère, arrêtés, conduits au Luxembourg et interrogés séparément. Cette mesure avait pour objet de savoir si Marie-Antoinette ne leur avait pas confié des papiers ou révélé des faits qu'il importât de connaître. Cet arrêté s'exécute: des commissaires interrogent les défenseurs au surplus, on les traite avec des égards infinis. » (Gazette des Tribunaux, tome vIII, page 476.)

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CHAPITRE X.

DROITS ET DEVOIRS DES AVOCATS.

Au premier abord, on voit dans l'art. 45 de l'ordonnance une grande et notable réparation : « Le décret du 14 décembre 1810 est abrogé. » Mais l'article ajoute immédiatement : « Les usages observés dans le barreau, relativement aux droits et aux devoirs des avocats dans l'exercice de leur profession sont maintenus. »>

Or, il y avait dans le décret un titre particulier : Des droits et des devoirs des avocats. C'est là que se trouvait la disposition qui interdisait à l'Ordre de se réunir sans l'agrément du procureur général, sous les peines portées contre les réunions et associations illicites. C'est dans ce titre qu'on lit que si tous ou quelques-uns des avocats d'un siége se coalisent pour déclarer, sous quelque prétexte que ce soit, qu'ils n'exerceront plus leur ministère, ils seront rayés du tableau et ne pourront plus y être rétablis. C'est enfin dans ce titre qu'on voit reproduit cet art. 111 de l'ordonnance de Blois. contre lequel les avocats avaient réclamé de tous temps : les avocats feront mention de leurs honoraires au bas de leurs consultations, mémoires et autres écritures : ils donneront un reçu de leurs honoraires pour leurs plaidoiries.

D'après l'esprit qui avait présidé à l'ordonnance il était à craindre sans doute qu'en se donnant ainsi le mérite apparent d'abroger le décret, on n'en maintint effectivement ces odieuses dispositions comme usages observés dans le barreau relativement aux droits et aux devoirs des avocats. Le ministre avait fait sans doute cette réserve in petto, et certains membres des parquets ont bien su tirer parti depuis de ce rapprochement.

Mais un arrêt récent, rendu par la cour de Poitiers dans l'affaire du barreau de Melle, a dissipé les justes inquiétudes

que l'équivoque rédaction de l'ordonnance pouvait laisser au barreau.

Il s'agissait de l'application de l'art. 34 du décret qui punit d'une interdiction absolue et sans retour les avocats qui, sous quelque prétexte que ce soit, se coaliseraient pour déclarer qu'ils n'entendent plus exercer leur ministère près d'un tribunal. Les avocats de Melle, exposés de la part du président aux avanies les plus imméritées, n'avaient trouvé d'autre moyen de s'en préserver que de cesser de paraître aux audiences, et ils avaient été condamnés, en vertu du décret, par le tribunal faisant les fonctions de conseil de discipline. Sur leur appel, la cour de Poitiers décida que, d'après les circonstances de la cause, leur conduite était irréprochable et les déchargea de toutes poursuites.

La plupart des barreaux de France avaient délibéré dans cette affaire des consultations où chacun avait rapporté les exemples domestiques de semblables cessations d'exercice, toutes les fois que la dignité de la profession y semblait intéressée (1). C'est, en effet, dans ces traditions, et non dans

(1) L'histoire atteste que l'Ordre des avocats a souvent usé de ce droit pour faire cause commune avec la magistrature dans la défense des libertés publiques, désertant le palais lorsque le pouvoir absolu en avait chassé les véritables magistrats et n'y rentrant qu'à leur suite. Plus d'une fois les parlemens ont manifesté leur reconnaissance pour ces généreuses résolutions, et, chose remarquable, jamais les magistrats intrus n'essayerent de les punir. (Exemples lors de l'exil des parlemens, en 1753, 1771 et 1788.) Les gens du roi ont aussi reçu de cette manière les preuves de l'attachement du barreau, etc. Talon ayant été exilé par Mazarin pour avoir résisté à l'enregistrement de quelqu'édit bursal, tous les avocats se retirérent du palais, et, par la suspension des affaires, forcèrent le ministre à révoquer son ordre. - En dehors de ces coalitions politiques qui montrent quelle force tire la magistrature de son alliance avec le barreau, et lorsqu'il ne s'agissait que du maintien de leurs prérogatives, la retraite des avocats du palais a souvent été pour eux un moyen, reconnu légitime, d'obtenir le redressement de leurs griefs. (Exemples en 1602 relativement à l'ordonnance de Blois, sur le règlement des honoraires; en 1730 pour la suppression d'une consultation sur les libertés de l'Église

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