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CHAPITRE XI.

DU DEVOIR DES JEUNES AVOCATS.

ON compte l'ancienneté des avocats par celle de leur matricule, et non pas par celle de leur âge; de sorte que celui qui est le moins âgé se trouve quelquefois l'ancien.

Cette profession est si difficile, que ceux qui s'y destinent ne peuvent la commencer trop tôt.

Les avocats nouvellement reçus ont toujours été distingués des anciens, non-seulement par rapport à la différence d'âge qui se trouve ordinairement entre eux, et la date de leur matricule; mais aussi par rapport au rang qu'ils doivent tenir entre eux, et pour l'exercice de la profession, qui appartient plus pleinement aux anciens avocats qu'aux jeunes.

L'ordonnance du parlement, du 11 mars 1344, distingue trois classes d'avocats. La première est celle des anciens avocats ou avocats consultans, qu'elle appelle advocati consiliarii, avocats-conseillers, parce que la cour leur demandait quelquefois conseil sur les affaires difficiles. La seconde classe est celle des avocats plaidans, que l'ordonnance appelle proponantes, parce qu'ils proposent le fait et la question qui est à juger. La troisième classe est celle des avocats nouvellement reçus, qui sont aussi appelés ailleurs avocats écoutans, audientes.

Il est dit par rapport à ces derniers, que comme l'expérience de fait et la pratique du style de la cour sert beaucoup dans l'exercice de la profession d'avocat, ceux qui sont nouvellement reçus en cette qualité ne doivent point s'ingérer témérairement de faire aussitôt les fonctions d'avocat ; qu'ils doivent s'en abstenir pour leur honneur, et pour ne pas exposer les parties à quelque dommage qui pourrait leur arriver par la négligence de tels avocats; qu'ils doivent pendant un temps suffisant écouter avec attention les anciens avocats qui sont expérimentés, afin qu'en s'instruisant ainsi

du style de la cour et de la manière d'exercer leurs fonctions, ils puissent un jour les remplir avec éloge et utilement pour le public.

Cette même ordonnance ajoute que les avocats nouvellement reçus doivent déférer aux anciens, tant pour l'ordre de la séance qu'en toute autre chose; qu'ils ne doivent point se placer sur le premier banc, où les gens du roi, les baillifs et sénéchaux, les personnes de considération, et les nobles ont contume de s'asseoir.

On voit, par cette ordonnance, que le premier banc du barreau, qui est couvert de fleurs de lis, était pour les gens du roi et les anciens avocats, le second banc pour les avocats plaidans; et le troisième pour les jeunes avocats écoutans : ce qui s'observe encore présentement, en ce que le premier banc, couvert de fleurs de lis, est la séance marquée que les anciens avocats ont aux grandes audiences; les avocats plaidans se placent derrière ce premier banç, et les autres avocats occupent le surplus des autres bancs.

Le 18 janvier 1607, M. Godefroi, ancien avocat, entrant au matin en l'audience, et voulant prendre place sur le premier banc des avocats, qui est couvert de fleurs de lis, il trouva le siége rempli de jeunes avocats qui ne voulurent point lui faire place. M. l'avocat général Servin en fit sa remontrance à la cour, qui fit défense aux jeunes avocats de prendre séance sur les fleurs de lis.

Le 28 avril 1699, en la remontrance que fit M. Le Bret, avocat général, et après lui M. le président de Harlay, aux avocats et procureurs, chacun d'eux fit mention d'un ancien arrêt de 1523, qui défend aux jeunes avocats de s'asseoir au barreau et bancs des anciens, et des avocats plaidans, enjoint aux huissiers d'y tenir la main. Ces faits sont rapportés par Bouchel, en sa Bibliothèque du Droit français, au mot Séance. Cet ordre est présentement mal observé, soit parce que la cour n'est plus dans l'usage de nommer ceux qui doivent siéger sur les fleurs de lis, soit à cause du grand nombre des avocats, et que les anciens viennent rarement aux audiences.

Néanmoins il y a des exemples que dans les causes majeures, le bâtonnier et les anciens sont venus en corps occuper les places qu'ils ont dans l'enceinte du parquet, sur les bas siéges couverts de fleurs de lis (1). Je l'ai vu pratiquer entre autres en 1728, dans la cause de M. le duc de Luxembourg, contre M. le comte d'Evreux, au sujet du retrait de la terre de Tancarville.

Le temps au bout duquel un avocat peut commencer à plaider n'est point limité; de sorte qu'un avocat peut plaider aussitôt qu'il est reçu; mais la prudence veut qu'il s'en abstienne pendant quelque temps, jusqu'à ce qu'il soit un peu instruit des usages du barreau.

Le docte Pasquier, dans ses Recherches, liv. IV, chap. 27, loue la discrétion de Jacques Mangot, l'un des plus célèbres avocats au parlement, lequel, après le retour des Universités, se voua, pour ainsi dire, au silence, pendant quatre années entières, employant ce temps à s'instruire par un travail assidu, puis tout à coup parut au barreau avec éclat, et y fit reluire en lui le feu d'une jeunesse admirable.

Pierre Pithou, non moins célèbre que le premier, est loué de la même chose par Loisel, dans ses Opuscules. Étant revenu à Paris, dit Loisel, il se mit au palais vers le commencement de l'an 1560; mais d'une autre façon que le commun; car au lieu que les autres Cruda adhuc studia in forum deferunt, se jetant incontinent au barreau; celui-ci au contraire, continuant ses études, se commandait comme un silence pythagorique, se rendant assidu aux audiences, remarquant soigneusement les arrêts qui s'y donnaient, et prenant garde aux plus petites particularités et formalités.

Il y aurait aussi quelquefois de l'inconvénient d'attendre

(1) Cela se voit encore aux audiences solennelles des lundis et samedis. L'appelant plaide dans la place qu'occupe l'avocat général aux petites audiences, et toute cette banquette fleurdelisée, ainsi que trois autres banquettes de l'enceinte, sont occupées par les avocats, la quatrième est réservée aux gens du roi, et la cour se place sur les hauts-siéges.

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trop long-temps sans commencer à s'exercer à la plaidoirie. Il faut s'accoutumer de bonne heure à parler en public, de peur de contracter une certaine timidité qui augmente ordinairement avec l'âge. On écoute un jeune homme avec plus d'indulgence, et l'on n'exige pas de lui qu'il soit aussi parfait qu'un avocat déjà avancé en âge, et qui doit avoir plus d'expérience.

On ne peut donc pas blâmer un jeune homme, lorsqu'après avoir fréquenté pendant quelque temps le barreau, il profite d'une occasion favorable qui se présente pour essayer ses forces, et commencer à se faire connaître des magistrats, de ses confrères et du public.

Ce serait une grande présomption et une témérité bien dangereuse pour un jeune homme, qui va se présenter au barreau pour la première fois, si, se confiant en ses propres idées, il hasardait de produire au jour ses premiers essais, sans les avoir auparavant soumis à la critique de quelque ancien, homme judicieux et expérimenté. Il est bien plus doux pour lui d'être ainsi instruit en particulier, que de s'exposer à la censure et quelquefois à la risée du public. Il doit donc recevoir avec docilité les avis qu'un ancien voudra lui donner; et réformer, sans hésiter, tout ce qui aura paru puérile ou déplacé, et les autres défauts dans lesquels on tombe communément, faute d'expérience.

Il serait flatteur pour un jeune homme de commencer par quelqu'une de ces causes d'éclat qui excitent la curiosité du public; mais l'entreprise serait bien délicate et bien périlleuse : ces causes brillantes demandent d'autant plus de talens, qu'elles sont plus difficiles à traiter, et que le grand concours qu'elles attirent fait faire plus d'attention au plaidoyer de l'avocat.

Un jeune homme qui n'est point encore familiarisé avec le public, peut être intimidé par la majesté de l'audience, par l'affluence et le murmure des auditeurs, qui ont tous les yeux fixés sur lui. Ses premiers essais peuvent être trop faibles pour des sujets qui demandent beaucoup d'érudition et d'éloquence. S'il se trouble dans cette première action, ou si son

plaidoyer n'est pas goûté du public, ce mauvais succès peut influer sur la suite de sa carrière ; car beaucoup de gens jugent souvent des talens de l'orateur par le succès de ses commencemens, quoique le bon ou le mauvais succès d'une première action ne décide pas toujours des talens d'un avocat.

Il est donc plus convenable pour les intérêts d'un jeune homme, et afin de ne pas compromettre la réputation qu'il cherche à acquérir, de commencer par quelque cause légère. Que ce soit, s'il se peut, une question intéressante par ellemême, mais qu'elle soit simple, et non pas chargée de faits ni de procédures.

Il ne convient pas non plus à un jeune homme qui arrive au barreau d'y débuter par des causes graves, qui attaquent l'honneur des personnes puissantes: son ministère chancelant n'imposerait point assez dans ces matières :-il faut, pour les traiter, avoir déjà la confiance des magistrats et du public, et une certaine autorité que donne cette confiance, qui ne s'acquiert qu'avec l'âge et l'expérience.

Un jeune homme doit cependant se présenter avec une honnête assurance, et plaider avec fermeté; mais que son maintien et son discours soient modestes.

Que son exorde soit noble, mais simple et sans emphase: qu'il n'affecte point de reprendre les choses de trop loin: il ne doit point s'écarter de son objet.

S'il demande aux juges une attention favorable, que ce soit toujours avec dignité, et non pas d'un ton rampant : il ne doit ni s'humilier trop, ni s'élever; et le moins qu'il puisse parler de lui-même est toujours le mieux.

Si la mémoire lui manque en quelque endroit de son plaidoyer, quoique son amour-propre en souffre, il ne doit pas pour cela se décourager; il en peut arriver autant aux plus grands hommes : il ne faut pour cela qu'une distraction causée par l'objet le plus léger : c'est une faute excusable, pourvu qu'on évite d'y retomber. Un jeune homme doit donc redoubler d'application, pour être plus sûr de sa mémoire.

Mais quand il lui échapperait quelque chose dans le style. ou dans le fond du discours qui donnerait lieu à la critique,

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