Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE XII.

DES AVOCATS PLAIDANS.

་་་་་་་་་་་་་་

On a vu, dans le chapitre précédent, que le temps au bout duquel un avocat peut commencer à plaider, n'est pas limité; qu'un avocat peut plaider aussitôt qu'il est reçu, de sorte que l'on est admis à plaider, même avant d'être sur le tableau, et quoiqu'on n'ait pas encore le temps de palais nécessaire pour y être inscrit.

Mais ceux que l'on a refusé d'inscrire sur le tableau pour quelque cause autre que le défaut du temps nécessaire, ou qui ayant été mis sur le tableau en ont été depuis rayés, ne sont point admis à plaider, et les avocats faisant la profession ne fraternisent point avec eux.

Les avocats ne doivent plaider qu'au barreau, et non à la barre du tribunal, qui est la place des procureurs.

Ils conservent leur place ordinaire au barreau, lorsqu'ils plaident devant les chambres assemblées, ainsi qu'on l'a vu en plusieurs occasions, et notamment dans la cause de M. de Berule, premier président du parlement de Grenoble, plaidée en 1729.

Ils ont aussi l'honneur de conserver la même place dans les lits de justice, lorsqu'ils y sont appelés pour plaider quelque cause, comme le fut Claude Gaultier, au lit de justice du 10 décembre 1635, où il conserva sa place au barreau.

L'avocat qui plaide doit être debout en plaidant, mais il peut s'asseoir pendant que son confrère plaide contre lui. Les avocats ne doivent paraître au barreau qu'en robe et en bonnet.

Lorsqu'ils plaident en la grand'chambre du parlement, ils doivent avoir le chaperon herminé aux jours de grande plaidoirie; aux autres audiences, ils peuvent porter le chaperon

simple, sans fourrure, comme cela s'observait autrefois, et comme quelques-uns le portent encore habituellement.

Il est d'usage que les avocats, en plaidant, ne doivent avoir que la main gauche gantée, et non la main droite; ils peuvent seulement tenir à la main l'autre gant, ainsi que je l'ai vu encore pratiquer par quelques anciens, lorsque je commençais à suivre le barreau.

J'ai même ouï dire à quelques anciens que la main droite pourrait être gantée, pourvu qu'il y eût deux doigts du gant coupés; ce qui ferait croire que l'usage de ne point mettre de gant à la main droite a été établi pour la commodité des avocats, et afin qu'en plaidant ils puissent feuilleter plus aisément les pièces de leur dossier; et c'est aussi pour cette raison qu'ordinairement les avocats n'ont point du tout de gants, ni à la main droite, ni à la gauche.

On peut néanmoins présumer que l'usage observé par les avocats, d'avoir la main droite découverte, peut avoir été établi à l'instar de ce qui s'observe pour ceux qui prêtent serment en justice; la main droite qu'ils lèvent doit être nue. L'on sait qu'anciennement les avocats prêtaient, au commencement de chaque cause, le serment appelé juramentum calumniæ, au lieu duquel ils prêtent présentement un serment général à la rentrée des audiences; et comme le principal geste des avocats, en plaidant, se fait de la main droite, et que cette main semble toujours levée pour attester à la justice la vérité de ce qui se dit en plaidant, c'est sans doute ce qui introduire que les avocats eussent la main droite découverte en plaidant.

a pu

Autrefois les avocats ne prenaient point eux-mêmes à l'audience les conclusions, et n'y faisaient point la lecture des pièces ; c'était le procureur qui les assistait à l'audience, qui lisait la demande et les conclusions des requêtes, et faisait la lecture des pièces, lorsqu'elle était nécessaire : l'avocat expliquait seulement les faits et les moyens.

Mais comme le procureur ne pouvait quelquefois assister à l'audience, pour faciliter l'expédition des causes, l'usage a introduit que les avocats prennent eux-mêmes les conclusions

et lisent les pièces. On voit en plusieurs endroits des plaidoyers de Patru, que l'avocat demandait permission de faire la lecture des pièces, et que le président prononçait : Lisez.

Comme en cette partie les avocats suppléent le procureur absent, et que les procureurs doivent toujours être décou verts en parlant devant le juge, c'est la raison pour laquelle les avocats se tiennent découverts en lisant les pièces et en prenant conclusions, tant au commencement de la cause qu'à la fin, lorsqu'on les leur fait reprendre.

Du reste, les avocats doivent toujours être couverts (1), soit en plaidant ou en répliquant, même en faisant la lecture des lois, ordonnances, édits, déclarations, coutumes, commentateurs et autres textes et autorités.

Quelques magistrats, ignorant la différence que l'on doit faire entre ces sortes de lecture et celle des pièces, ont voulu en divers temps obliger les avocats de se découvrir en lisant

(1) Le décret du 14 décembre 1810, en a une disposition expresse. Malgré cela, dans l'affaire du maréchal Ney, plaidée devant la Chambre des pairs, M. le chancelier ne permit pas aux avocats de se couvrir : en cela il eut tort, car le couvrez-vous des anciens premiers présidens ne veut pas dire, mettez-vous à votre aise; mais parlez librement. Ce n'aurait donc pas été manquer de respect aux pairs que de se couvrir devant eax, comme cela se pratiquait autrefois devant le parlement qui était aussi cour des pairs. Voyez à ce sujet un passage curieux d'Omer Talon, appuyé sur l'autorité de Lhopital, dans les Maximes du droit public français, tome 2, p. 41. C'est ce que M. le chancelier Dambray ne voulut pas comprendre alors dans l'affaire Ney; il avait oublié son parlement: et, de fait, dans l'affaire Ney, à quoi bon dire parlez librement, puisque la défense n'a été ni libre ni entière, et qu'on a empêché de plaider un moyen capital et décisif, celui résultant de la capitulation de Paris (Voy. le vote de M. de Lanjuinais); et cela, en vertu d'un arrêt préjudiciel rendu pendant la suspension de la séance, sans que l'incident eût été plaidé, et lors duquel les voix furent prises, mais ne furent pas comptées. (Je tiens le fait de M. Daligre, après la mort de M. Dambray.) Ajoutons que, depuis, dans l'affaire dite de la conspiration du mois d'août 1821, la cour des pairs, sans doute éclairée par nos plaintes, a permis aux avocats de plaider couverts.

les textes et autorités; mais ces difficultés ont toujours été décidées à l'avantage des avocats.

Il est d'usage au parlement qu'un avocat qui plaide pour lui en son nom, supplie d'abord la cour de le dispenser, ce qui lui est aussitôt accordé, et en ce cas il doit être découvert pendant tout le temps qu'il parle.

Dans les tribunaux inférieurs, et notamment au Châtelet de Paris, les avocats peuvent plaider pour eux, en leur nom, sans être assujettis à se tenir debout en plaidant.

Il est prudent, en général, à un avocat qui a une cause en son nom, de ne pas la plaider lui-même, soit parce qu'il peut y mêler trop de passion, soit parce que l'on est sujet à se prévenir dans ses propres affaires.

A la grand'chambre du parlement, l'avocat de l'appelant se met ordinairement du côté des conseillers laïcs, et celui de l'intimé du côté des conseillers clercs. Néanmoins, l'avocat qui plaide pour un duc et pair se met toujours in loco majorum, qui est du côté de l'appelant, soit que sa partie soit appelant ou demandeur, ou qu'il soit intimé ou défendeur.

Cette place est réputée la plus honorable, parce que c'est la place ordinaire de l'appelant ou du demandeur, qui saisit la cour, ou plutôt parce qu'elle est en face de MM. les présidens, et qu'elle forme le commencement d'une séance opposée à celle de messieurs.

Les avocats doivent éviter de s'interrompre les uns les autres en plaidant; car toutes ces sortes d'interruptions en général sont fâcheuses pour celui qui parle; elles blessent la dignité de l'audience, ôtent et diminuent beaucoup le feu de l'action dans les grandes causes. On ne doit donc point en faire sans nécessité.

Ceux qui plaident ne doivent pas non plus continuer à parler tout haut pendant que les juges sont aux opinions. Ces discussions, qui dégénèrent ordinairement en criailleries, loin de servir à l'instruction de la cause, ne font que troubler les juges qui opinent, et sont aussi peu décentes pour l'avocat que pour le tribunal.

Les avocats doivent être debout et découverts pendant que

i

le juge prononce, et ne doivent point l'interrompre dans sa prononciation, sous quelque prétexte que ce soit : ils doivent attendre qu'il ait achevé de prononcer, pour faire leurs représentations sur ce qui leur paraît devoir être ajouté ou réformé dans le jugement.

CHAPITRE XIII.

mw

DES CAUSES GRASSES, ET COMMENT L'USAGE EN A ÉTÉ ABOLI.

C'ÉTAIT autrefois la coutume, dans la plupart des tribunaux du royaume, de faire plaider, le jour du mardi-gras, une cause dont la matière fût propre à s'égayer, telle qu'une accusation d'adultère ou d'impuissance, une question d'état, une demande en paiement de frais de gésine, et autres semblables questions, que l'on appelait causes grasses, soit à cause du jour auquel elles étaient plaidées, qui est le plus solennel de ceux qu'on appelle vulgairement jours gras, soit pour faire allusion au sujet de ces sortes de causes, et à la manière dont elles étaient plaidées.

Le jour destiné à la plaidoirie de la cause grasse semblant autoriser la licence, les avocats ne manquaient pas de s'éténdre en propos folâtres, qui passaient bien souvent les bornes de la modestie, ce qui attirait un concours extraordinaire de peuple, toujours plus avide de ces facéties ridicules, que d'un discours modeste et sensé.

Cet usage scandaleux s'était introduit jusque dans quelques cours supérieures.

En effet, M. Expilly, qui fut d'abord avocat-général au parlement de Dauphiné, et ensuite premier président du même parlement, porta la parole en qualité d'avocat-général, dans une de ces causes grasses qui fut plaidée le jour du mardi-gras de l'an 1605, et qui est rapportée dans ses plaidoyers. (Plaid. VIII, intitulé Cause grasse.)

« PreviousContinue »