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Il s'agissait de savoir si un enfant né six mois après le mariage consommé, étant viable, est tenu pour légitime.

M. Expilly observe que ce fut une cause grasse, où les avocats s'étendirent assez avant selon le sujet et la saison, et un peu trop licencieusement.

Lorsqu'il reprit sur eux la parole, il dit qu'en quelque part, en quelque temps, et pour quelque sujet que cette honnête licence de plaider des causes grasses eût été premièrement introduite, on n'en pouvait blâmer l'invention et la coutume; que, pourvu que l'on ne s'échappe pas au delà de la modestie, il est raisonnable de choisir quelquefois des sujets joyeux et agréables, d'autant que les procès étant ordinairement ennuyeux pour les juges et pour les parties, il paraît à propos de donner de temps en temps à l'esprit quelque délassement ; ce qu'il appuie de l'exemple des plus grands hommes de l'antiquité, même des philosophes les plus sévères, qui prenaient quelquefois plaisir aux choses les plus folâtres, pour se délasser des fatigues du travail.

Il présume que ces sortes d'audiences, destinées aux causes grasses, pouvaient avoir pris leur origine des bacchanales; que, quoique ces fêtes eussent été défendues par arrêt du sénat, il en était resté plusieurs vestiges, tels que de donner des festins, d'aller en masques, et de faire plusieurs contes joyeux; que ces bacchanales avaient été changées en notre Carnaval; que de là pouvaient être venues les audiences grasses, ou bien des jeux floraux, durant lesquels il était permis de parler avec toute licence, ou bien encore des saturnales, qui étaient aussi un temps de liberté, ou enfin de l'ancienne comédie, dans laquelle, à l'ombre de quelque sujet ridicule, on désignait ceux dont on voulait reprendre les vices.

M. Expilly observe que, de tout temps, il a été permis aux orateurs de dire quelque chose pour récréer les auditeurs, et que souvent ces propos ont eu plus d'effet que des raisonpemens sérieux; mais qu'il faut, comme dit Quintilien, en user à propos et avec beaucoup de ménagement et de modestie, surtout devant une cour de parlement, en laquelle il

semble qu'il ne soit pas permis de rire, non plus qu'en l'aréopage d'Athènes.

Enfin, il ajoute que les avocats qui entreprenaient de plaider de telles causes, devaient suivre le conseil de Quintilien, garder l'honneur et le respect qui étaient dus à cet auguste tribunal, et faire en sorte que l'on ne jugeât pas des mœurs par les paroles, et qu'à l'avenir on devrait retrancher des causes grasses toutes ces paroles trop licencieuses, plus dignes d'un théâtre ou d'un cabaret que du temple de la justice.

On trouve encore une de ces causes grasses au nombre des plaidoyers faits par le célèbre M. Henrys, en qualité d'avocat du roi au bailliage de Forez. C'est le plaidoyer VI.

Il s'agissait de l'état des enfans nés d'une femme qui, sous prétexte de l'impuissance de son mari, s'était fait séparer de lui, étant même alors enceinte.

M. Henrys, dans son plaidoyer, compare le sujet de l'affaire avec le jeu de tric-trac; toute l'affaire y est traitée dans ce goût d'une manière allégorique, et désignée par les termes qui sont propres au jeu de tric-trac.

M. Bretonnier, en ses Observations sur ce plaidoyer, dit que, quoiqu'il soit rempli d'esprit, il n'est pas du goût de ce temps, que c'est avec raison que l'on a aboli l'usage des causes grasses ; que cela n'était point convenable à la sainteté des lois, ni à l'honnêteté qui doit régner au barreau.

Il ne paraît pas que cet usage ait jamais été observé dans le barreau du parlement de Paris, mais seulement à la Basoche, qui est la juridiction des clercs de procureurs du même parlement, qui tiennent leur audience dans la chambre de la tournelle criminelle, appelée communément la chambre de saint Louis. On y plaide les causes au sujet des différens qui s'élèvent entre les clercs; ils en plaident aussi de feintes et supposées, pour s'exercer à parler en public. L'on y plaidait tous les ans, le mardi-gras, une cause de cette espèce, qu'ils avaient soin d'égayer par des équivoques et des obscénités, M. le premier président de Verdun, qui fut à la tête du parlement, depuis 1611 jusqu'en 1627, ne put souffrir un usage si contraire à la pureté de nos mœurs et au respect

qui doit être gardé dans le temple de la justice. Il abolit l'usage des causes grasses, ainsi que le remarque Mornac sur la Joi pénultième, au Code ex quibus causis infamia irrogatur. M. Husson, dans son Traité de Advocato, donne à ce sujet de grands éloges à la mémoire de M. de Verdun; mais il remarque avec douleur, que l'abus des causes grasses s'était renouvelé peu à peu à la Basoche. Il exhorte les magistrats à renouveler les défenses qui avaient déjà été faites; ce qui est arrivé quelque temps après, sous M. le premier président de Lamoignon.

On plaide néanmoins encore à la Basoche (1), au commencement du carême une cause feinte et singulière; mais les choses se passent avec plus de retenue que dans les causes grasses qui s'y plaidaient autrefois.

Il est encore fait mention de cet ancien usage et de son abolition dans les Opuscules de Me. Le Mée, procureur au parlement, et dans les notes de M. Le Mée, son fils, avocat au parlement, sur les Opuscules de son père.

CHAPITRE XIV.

DE LA COMMUNICATION QUE LES AVOCATS SE FONT DE LEURS SACS ENTRE EUX.

Les avocats ne donnent jamais aucun récépissé des pièces qu'on leur remet pour les consultations, causes ou procès, quoiqu'ils soient tous les jours dépositaires de pièces importantes, desquelles dépendent l'honneur et la fortune des familles.

Il a toujours été d'usage au parlement de Paris, que les avocats qui sont chargés de quelque affaire l'un contre l'autre, se communiquent mutuellement leurs sacs, sans aucun récépissé ni inventaire : ce qui ne se pratique pas de même en bien d'autres tribunaux.

(1) Il n'y a plus de Basoche.

Cette facilité que l'on a de confier aux avocats toutes sortes de pièces sans récépissé, et qu'ils ont pareillement pour se les communiquer entre eux, est fondée sur leur droiture et leur exactitude qui sont connues, et il n'y a pas d'exemple qu'il en soit jamais arrivé aucun inconvénient.

La cour, bien convaincue des sentimens d'honneur avec lesquels les avocats se conduisent à cet égard, les a toujours soutenus, lorsque quelqu'un a eu la témérité de vouloir rendre leur fidélité suspecte. On en trouve un exemple célèbre dans l'arrêt du 3 juillet 1638, rendu en faveur de M. Richer, avocat, contre le Prieur de Regny, qui avait accusé faussement ledit Me. Richer d'avoir soustrait une pièce importante de son sac lors de la communication. La cour, faisant droit sur la plainte de M. Richer, pour l'insolence commise par ledit Prieur, présent à l'audience, contre Me. Richer, le condamne à 400 liv. parisis, applicables au pain des prisonniers, et en 100 liv. de réparation envers Me. Richer.

'L'avocat qui donne en communication son sac à son confrère, ne doit point user de ruse; il doit y mettre toutes les pièces dont il entend se servir en plaidant: et quand une fois elles ont été ainsi communiquées, on ne peut plus les retirer du sac; car la communication des sacs de même que la signification et la production, rend toutes les pièces communes aux deux parties, pour en tirer chacune de leur part telles inductions que bon leur semble.

Pour ce qui est du sac de la partie adverse, l'avocat qui l'a en communication, doit non-seulement le garder avec fidélité, mais aussi avec grand soin, pour empêcher qu'aucune pièce ne s'égare, et ne soit endommagée : il ne doit retirer aucune pièce du sac, ni y faire aucune rature ou apostille; en un mot, rien qui puisse altérer ou changer l'état des pièces.

Mais s'il croit utile à sa partie de se procurer une copie authentique de quelques pièces, il peut les faire compulser entre les mains de son clerc.

Il n'est pas d'usage que les avocats communiquent leurs sacs aux procureurs, ni à aucune autre personne, lors même le que procureur se présente pour plaider la cause contre un

avocat. Si le procureur veut avoir communication des pièces, il doit prendre le sac des mains de son confrère, qui le lui donne sous son récipissé, ou bien il doit charger un avocat, et alors les deux avocats se communiquent leurs sacs en la manière ordinaire.

CHAPITRE XV.

DE LA COMMUNICATION AU PARQUET.

Le parquet est le lieu où MM. les gens du roi s'assemblent pour délibérer entre eux des affaires publiques, et pour recevoir les communications qui leur sont faites.

Avant qu'il y eût des avocats du roi en titre au parlement, et lorsque l'on choisissait entre les avocats celui que M. le procureur-général chargeait de la cause du roi ou du public, il n'y avait point de parquet particulier pour MM. les gens du roi. MM. les avocats du roi, que l'on n'appelait point encore avocats-généraux, recevaient les communications en se promenant dans la grande salle.

M. le procureur-général avait sa place marquée dans le parquet des huissiers : ce qui n'a été détruit que depuis peu de temps, lorsque l'on a reconstruit ce parquet. Il y venait de grand matin en hiver avec sa lanterne, et pointait les conseillers qui arrivaient tard à l'audience de sept.

Les anciennes ordonnances ne font point mention d'un parquet pour les gens du roi.

Ce ne fut que dans le siècle précédent que l'on construisit le bâtiment où est présentement le parquet. L'entrée en était toujours ouverte aux avocats, et la tradition du palais est qu'il n'y avait point de serrure, mais simplement un loquet. Les avocats vont à ce parquet, pour y plaider les causes dont MM. les gens du roi sont juges telles que les appellations comme de juge incompétent et déni de renvoi ; les demandes en nullité et autres incidens sur la procédure,

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