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ordinaires. Mais jusqu'à ce que ce pouvoir soit exercé d'une manière qui n'admette pas de doute, le souverain ne doit pas être regardé comme ayant conféré à ses tribunaux une juridiction qu'il ne peut exercer sans une violation de la foi publique. Les lois civiles qui donnent à un individu qui a été privé de ses biens par la violence, le droit de les réclamer devant les tribunaux de son pays, ne doivent donc pas être interprétées comme leur accordant une juridiction dans un cas où le pouvoir souverain a tacitement consenti à ne pas l'exercer.

Jurisprudence

française

quant à

La cour a donc conclu que le bâtiment en question étant un bâtiment armé au service d'un souverain étranger, avec lequel les États-Unis étaient en paix, et étant entré dans un de leurs ports sous les mêmes conditions qui sont généralement accordées aux bâtiments de guerre étrangers dans les ports d'un autre État, devait être considéré comme étant entré dans les limites du territoire américain, en vertu de la convention tacite, que pendant son séjour il serait exempté de la juridiction du pays 1. La jurisprudence maritime reconnue en France par rapport aux bâtiments marchands étrangers entrant dans les ports français ne paraît pas s'accorder avec les prin- l'exemption cipes établis par l'arrêt de la cour suprême des États-Unis que nous venons de citer, ou, pour parler plus correcte- juridiction ment, la législation française, en exemptant ces bâtiments. de l'exercice de la juridiction du pays, leur accorde de plus grandes immunités que celles exigées par les principes généraux du droit international. Comme il dépend de la volonté d'une nation de faire telle condition qu'elle juge convenable à l'admission des bâtiments étrangers dans ses ports, de même elle peut étendre aussi loin qu'elle le juge convenable les immunités accordées à ces bâtiments entrant dans ses ports en vertu d'un consentement

1 CRANCH'S Reports, vol. II, p. 138-147.

bâtiments marchands de la

du pays.

tacite, d'après le droit des gens et l'usage général des nations.

La jurisprudence française établit, quant aux faits qui se passent à bord des navires de commerce, dans un port ou dans une rade en pays étranger, une distinction entre: 1o d'une part, les actes de pure discipline intérieure du navire, de même les crimes ou délits commis par un homme de l'équipage contre un autre homme du même équipage, lorsque la tranquillité du port n'en est pas compromise; et 2o, d'autre part, les crimes ou délits commis même à bord, contre des personnes étrangères à l'équipage ou par tout autre que par un homme de l'équipage, ou même ceux commis par les gens de l'équipage entre eux, si la tranquillité du port en est compromise.

A l'égard des faits de la première classe, la jurisprudence française déclare que les droits de la puissance à laquelle appartient le navire doivent être respectés; que l'autorité locale, par conséquent, ne doit pas s'ingérer dans ces faits, à moins que son secours ne soit réclamé. Ces faits restent donc sous la police et sous la juridiction de l'État auquel appartient le navire.

Quant aux faits de la seconde classe, la jurisprudence française pose le principe, que la protection accordée aux navires marchands étrangers dans les ports ne saurait dessaisir la juridiction territoriale pour tout ce qui touche aux intérêts de l'État; qu'ainsi le navire admis dans un port de l'État est de plein droit soumis aux lois de police du lieu où il est reçu; et que les gens de son équipage sont justiciables des tribunaux du pays pour les délits commis même à bord contre des personnes étrangères à l'équipage, ainsi que pour les conventions civiles qu'ils pourraient faire avec elles; en un mot que la juridiction. territoriale, pour cette seconde classe de faits, est hors de doute.

C'est d'après ces prineipes que les autorités et les juri

dictions se conduisent en France, à l'égard des navires marchands étrangers, mouillés dans ses eaux.

Ainsi, en 1806, un navire de commerce américain le Newton étant dans le port d'Anvers, une rixe eut lieu dans un canot de ce navire, entre deux matelots de son équipage, rixe au sujet de laquelle un conflit de juridiction s'éleva entre les autorités judiciaires du lieu et le consul américain, qui en réclama la connaissance exclusive. Un fait semblable qui se passa, à la même époque, dans le port de Marseille, au sujet d'un autre navire américain, la Sally, donna lieu à une réclamation pareille de la part du consul américain. Il s'agissait, dans cette seconde affaire, d'une blessure grave, faite par le capitaine en second de la Sally, à l'un de ses matelots, qui avait disposé du canot sans son ordre. Le conseil d'État, chargé de se prononcer sur la manière de régler ce conflit, rendit un avis portant qu'il y avait lieu d'accueillir la réclamation des consuls, et d'interdire aux tribunaux français la connaissance de ces deux affaires.

Voici les termes de cet avis:

« Considérant qu'un vaisseau neutre ne peut être indéfiniment considéré comme lieu neutre, et que la protection qui lui est accordée dans les ports français ne saurait dessaisir la juridiction territoriale, pour tout ce qui touche aux intérêts de l'État; qu'ainsi le vaisseau neutre admis dans un port de l'Etat, est de plein droit soumis aux lois de police qui régissent le lieu où il est reçu; que les gens de son équipage sont également justiciables des tribunaux du pays pour les délits qu'ils y commettraient, même à bord, envers des personnes étrangères à l'équipage, ainsi que pour les conventions civiles qu'ils pourraient faire avec elles; mais que si jusque-là, la juridiction territoriale est hors de doute, il n'en est pas ainsi à l'égard des délits qui se commettent à bord du vaisseau neutre, de la part d'un homme de l'équipage neutre envers un autre homme

L'exemption des bâtiments

étrangers de la juridiction

s'étend pas

des actes

contre l'E at.

du même équipage; qu'en ce cas, les droits de la puissance neutre doivent être respectés, comme s'agissant de la discipline intérieure du vaisseau, dans laquelle l'autorité locale ne doit pas s'ingérer, toutes les fois que son secours n'est pas réclamé, ou que la tranquillité du port n'est pas compromise;

«Est d'avis que cette distinction, indiquée par le rapportdu grand-juge, et conforme à l'usage, est la seule règle qu'il convient de suivre en cette matière; et appliquant cette doctrine aux deux espèces particulières pour lesquelles les consuls des États-Unis ont réclamé; considérant que dans l'une de ces affaires il s'agit d'une rixe passée dans le canot du navire américain le Newton, entre deux matelots du même navire, et dans l'autre d'une blessure grave, faite par le capitaine en second du navire la Sally, à l'un de ses matelots, pour avoir fait usage du canot sans son ordre;

«Est d'avis qu'il y a lieu d'accueillir la réclamation et d'interdire aux tribunaux français la connaissance des deux affaires précitées 1.»>

Quelle que soit la nature et l'étendue de l'exemption des bâtiments étrangers de la juridiction du pays dont ils d'un pays ne occupent une partie des eaux territoriales, il est évià justifier dent que cette exemption ne peut être invoquée qu'en d'agression faveur des navires observant et respectant eux-mêmes le droit des gens. Car si un navire, soit de guerre, soit de commerce, venait, dans le port, dans la rade ou dans la mer territoriale d'un État étranger, commettre lui-même des actes d'hostilité contre cet État ou de violence publique contre ses habitants, il s'agirait, non plus de juridiction, mais bien de défense légitime, et l'État attaqué aurait le droit de prendre toutes les mesures nécessaires à cette défense.

'ORTOLAN, Règles internationales de la mer, t. I, p. 293-298; Appendice, annexe H, p. 441.

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Ce principe juste et salutaire a été reconnu par la cour de cassation à Paris, en statuant sur l'affaire du Carlo Alberto, navire de commerce sarde, qui était venu en 1832 débarquer clandestinement, sur la plage de Marseille, la duchesse de Berri et plusieurs de ses partisans, pour l'exécution d'un complot de guerre civile formé par eux. Un des considérants de cet arrêt est ainsi conçu: «< Attendu que le privilége établi par le droit des gens en faveur des navires amis ou neutres, cesse dès que ces navires, au mépris de l'alliance ou de la neutralité du pavillon qu'ils portent, commettent des actes d'hostilité; que, dans ce cas, ils deviennent ennemis, et doivent subir toutes les conséquences de l'acte d'agression dans lequel ils se sont placés 1. »

L'exemption des navires de guerre étrangers, entrant dans les ports d'un État neutre, de la juridiction de cet État, ne doit pas s'étendre aux marchandises ou bâtiments saisis par ces navires en violation des droit souverains de cet État neutre.

Tel fut l'arrêt de la cour suprême des États-Unis d'Amérique dans le cas du bâtiment espagnol la Santissima-Trinidad, dont la cargaison avait été saisie en mer par des navires illégalement armés dans les ports des États-Unis, et faisant la course sous le pavillon de la république de Buenos-Ayres. La permission tacite en vertu de laquelle les navires de guerre d'une puissance amie sont exemptés de la juridiction du pays, ne pouvait pas être interprétée de manière à les autoriser à violer les droits de souveraineté de l'État, en commettant des actes d'hostilité contre les autres nations, avec un armement équipé dans les ports où ils ont cherché un asile. Conformément à ce principe, la cour a ordonné la restitution des marchan

1 SIREY, Recueil général de jurisprudence, t. XXXII, part. I,

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