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§ 8.

Differences

grande république des nations, établie par la nature ellemême et de laquelle toutes les nations de l'univers sont membres. Comme chaque société des hommes est gouvernée par ses propres lois adoptées par son libre consentement, de même la société générale des nations est gouvernée par ses propres lois reconnues par le libre consentement de toutes les nations qui en font partie. Il tire ces lois d'une modification du droit naturel, les adaptant à la nature particulière de l'union sociale, qui, selon lui, fait un devoir à toutes les nations de se soumettre aux règles d'après lesquelles cette union est gouvernée, de même que les individus sont obligés de se soumettre aux lois de la société séparée dont ils sont membres. Mais Wolf ne justifie pas par des preuves sa définition d'une telle union en république universelle des nations, et ne démontre pas non plus comment et quand tous les hommes sont devenus membres de cette union et citoyens de cette république. A l'égard de l'origine du droit des gens volontaire,

d'opinion de Wolf diffère de Grotius sur deux points:

Grotius et de

Wolf sur l'origine du droit des gens volontaire.

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4o Grotius a considéré ce droit comme étant d'institution positive, et a fait reposer sa force obligatoire sur le consentement général des nations manifesté par leurs usages. Wolf, au contraire, le regarde comme une loi que la nature a imposée aux hommes, comme une conséquence nécessaire de leur union sociale, loi à laquelle aucune nation ne peut refuser son assentiment.

2o Grotius confond le droit des gens volontaire avec le droit des gens coutumier. Wolf, au contraire, prétend qu'ils doivent être distingués, en ce que le droit des gens. volontaire est obligatoire pour toutes les nations, tandis que le droit des gens coutumier n'oblige que celles entre lesquelles il a été établi par l'usage et le consentement tacite. C'est dans l'ouvrage de Wolf que Vattel a puisé les matériaux de son traité du droit des gens. Cependant il est en dissentiment avec ce publiciste sur la manière

dont on doit établir les bases du droit des gens volontaire. Comme nous l'avons déjà vu, Wolf fait dériver l'obligation de ce droit de la fiction d'une grande république établie par la nature elle-même, et de laquelle toutes les nations du monde sont membres. Suivant lui, le droit des gens volontaire est pour ainsi dire le droit civil de cette grande république. Cette idée ne satisfait point Vattel. «Je ne trouve,» dit-il, «la fiction d'une pareille république ni bien juste, ni assez solide pour en déduire les règles d'un droit des gens universel et nécessairement admis entre les États souverains. Je ne reconnais d'autre société naturelle entre les nations que celle-là même que la nature a établie entre tous les hommes. Il est de l'essence de toute société que chaque membre cède une partie de ses droits au corps de la société, et qu'il y ait une autorité capable de commander à tous les membres, de leur donner des lois, de contraindre ceux qui refuseraient d'obéir. On ne peut rien concevoir ni rien supposer de semblable entre les nations. Chaque État souverain se prétend et est effectivement indépendant de tous les autres. Ils doivent tous, suivant M. Wolf lui-même, être considérés comme autant de particuliers libres, qui vivent ensemble dans l'état de nature, et ne reconnaissent d'autres lois que celle de la nature même ou de son auteur 1.»

Suivant Vattel, le droit des gens n'est autre chose, dans son origine, que le droit naturel appliqué aux nations. Ayant posé cet axiome, il le restreint de la même manière et presque dans les mêmes termes que Wolf, en disant « que le droit qui règle la conduite des individus doit nécessairement être modifié dans son application aux sociétés collectives des hommes, appelées des nations ou des États. Un État est un sujet fort différent d'un individu; de là aussi des obligations et des droits très-différents pour les deux.

1 VATTEL, Droit des gens, préface.

La même règle appliquée à deux sujets différents ne pouvant pas opérer des décisions analogues, il y a donc des cas dans lesquels la loi naturelle ne décide point entre les États comme elle déciderait entre des particuliers. C'est l'art d'en faire une application accommodée aux sujets, et fondée sur la droite raison, qui fait du droit des gens. une science particulière.»>

Cette application du droit naturel aux nations forme ce que Wolf et Vattel appellent le droit des gens nécessaire. Il est nécessaire parce que les nations sont absolument obligées de l'observer. Les préceptes de la loi naturelle ne sont pas moins obligatoires pour les États que pour les particuliers, puisque les États sont composés d'hommes, et que cette loi oblige tous les hommes, quels que soient leurs rapports entre eux. C'est ce même droit que Grotius et ses disciples appellent le droit des gens interne, parce que c'est par la voie de la conscience même qu'il agit sur les hommes. D'autres le nomment droit des gens naturel.

Le droit des gens nécessaire est immuable, puisqu'il n'est autre chose que l'application que l'on fait du droit naturel aux États, lequel est lui-même immuable, comme étant fondé sur la nature des choses et en particulier sur la nature de l'homme.

Ce droit étant immuable et l'obligation qu'il impose nécessaire et indispensable, les nations ne peuvent y apporter aucun changement par leurs conventions, ni s'en dispenser elles-mêmes ou entre elles 1.

Vattel est allé au-devant d'une des objections qu'on pouvait faire à son système, que les nations ne peuvent pas changer le droit des gens nécessaire par des conventions entre elles. Cette objection consiste à dire que la liberté et l'indépendance d'une nation ne permettraient pas aux autres nations de déterminer si sa conduite est ou

1 VATTEL, Droit des gens, prélim. § 6 à 9.

n'est pas conforme au droit des gens nécessaire. Il répond à cette objection en disant que des traités peuvent être invalides lorsqu'ils sont faits en contravention du droit des gens nécessaire ou de la loi interne, et qu'en même temps, suivant la loi externe, ils peuvent être valides. En effet puisque les États sont libres et indépendants entre eux, ils sont obligés de souffrir de la part de l'un d'eux tout acte qui, quoique illégitime d'après la loi interne, ne blesse en rien leurs droits parfaits 1.

De cette distinction de Vattel vient ce que Wolf avait appelé le droit des gens volontaire, jus gentium voluntarium, terme auquel le premier donne son assentiment, quoiqu'il soit d'un autre avis que Wolf quant à la manière d'en établir l'obligation. Cependant il est d'accord avec ce publiciste au sujet du droit des gens volontaire, qu'il regarde aussi comme une loi positive, déduite du consentement présumé ou tacite des nations de se considérer les unes les autres comme étant parfaitement libres, indépendantes et égales, chacune étant l'arbitre de ses propres actions, et n'ayant de compte à rendre à aucun autre supérieur que le gouverneur suprême de l'univers.

Outre ce droit des gens volontaire, ces publicistes parlent de deux autres sortes de droit des gens. Ce sont:

1o Le droit des gens conventionnel, qui prend son origine dans des conventions entre des États. Comme les parties contractantes sont les seules liées par de telles conventions, il est évident que le droit des gens conventionnel n'est pas un droit universel, mais un droit particulier.

2o Le droit des gens coutumier, qui prend son origine dans les usages établis entre des nations particulières. Ce droit n'est pas universel, il est obligatoire seulement pour les États qui ont adopté ces usages.

Ce sont ces trois espèces de droit international, volon–

1 VATTEL, Droit des gens, prélim., § 9.

$ 10. Systeme de Hellter.

taire, conventionnel et coutumier, qui, selon Vattel, forment l'ensemble du droit international positif. Ils prennent tous trois leur origine dans la volonté des nations, ou, pour emprunter les paroles de Wolf, le droit volontaire résulte de leur consentement présumé; le droit conventionnel, de leur consentement exprès, et le droit coutumier, de leur consentement tacite 1.

Il est peut-être inutile de faire remarquer la confusion qu'il y a dans l'énumeration que fait Vattel des diverses sortes de droit international; confusion qu'il aurait pu éviter en réservant l'expression de droit des gens volontaire pour le genus, qu'il aurait ensuite partagé en droit international conventionnel et coutumier, le premier étant établi par des traités et le second par l'usage, le premier par le consentement exprès, le second par le consentement tacite des nations entre elles.

Suivant M. Heffter, le droit des gens (jus gentium), dans son sens le plus ancien et le plus large, tel qu'il a été établi par la jurisprudence romaine, est un droit fondé sur l'usage général et le consentement tacite des nations; ce droit ne règle pas seulement les rapports des nations entre elles, mais aussi ceux des individus en ce qui concerne leurs droits et leurs devoirs respectifs, qui ont partout le même caractère et le même effet, et dont l'origine et la forme spéciale ne dérivent point des institutions positives d'un État particulier. Selon M. Heffter, ce droit renferme deux parties distinctes:

4o Les droits de l'humanité en général, et les relations que les États souverains reconnaissent parmi les individus qui ne sont pas soumis à leur autorité.

2o Les relations directes qui existent entre les nations, les États et les souverains eux-mêmes.

Dans le monde moderne, cette dernière partie a exclu

1 VATTEL, préliminaires,

t. I, p. 238 et suiv.

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WHEATON, Histoire du droit des gens,

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