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du temps écoulé, et que l'on nomme prescription, peut avoir lieu entre les nations; mais l'usage constant et approuvé des nations montre que, quel que soit le nom que l'on donne à ce droit, la possession non interrompue par un État d'un territoire ou de tout autre bien pendant un certain laps de temps exclut les droits de tout autre État à cet égard, de même que le droit naturel et civil de toutes les nations civilisées, assure à un particulier la propriété exclusive d'un bien qu'il a possédé pendant un certain temps sans que personne ait prétendu y avoir des droits. Cette règle est fondée sur la supposition, confirmée par l'expérience, que toute personne cherche à jouir de ce qui lui appartient, et que du silence de cette personne on peut naturellement conclure que ses titres à la propriété étaient peu valides, ou bien qu'elle y a renoncé1.

Les titres de presque toutes les nations européennes aux territoires possédés par elles en Europe sont tirés, dans l'origine, des conquêtes postérieurement confirmées par une longue possession, et par des relations internationales auxquelles toutes les nations européennes ont successivement pris part. Leurs droits sur les biens possédés par elles dans le Nouveau-Monde découvert par Christophe Colomb et d'autres aventuriers, et aux territoires qu'ils occupent en Asie et en Afrique, furent originairement tirés de la découverte, de la conquête ou de la colonisation, et ont été depuis confirmés par des contrats positifs. Indépendamment de ces sources du droit de propriété, le consentement général des hommes a établi le principe qu'une possession longue et non interrompue d'un terri

1 GROTIUS, de Jure belli ac pacis, tib. II, cap. IV. PUFFENDORF, de Jure naturæ et gentium, lib. IV. cap. XII. VATTEL, Droit des gens, t. I, liv. II, chap. xi. RUTHERFORTH's Institutions of national law, vol. I, chap. vi; vol. II, chap. 1x, § 3, 6.

Sic qui rem suam ab alio teneri scit, nec quicquam contradicit multo tempore, is nisi causa alia manifeste appareat, non videtur id alio fecisse animo, quam quod rem illam in suarum rerum numero esse nollet. (GROTIUS in loc. cit.)

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toire par une nation, exclut les droits de toute autre nation à ce territoire. Soit que l'on considère ce consentement général comme un contrat tacite ou comme un droit positif, toutes les nations n'en sont pas moins obligées de s'y conformer, puisque toutes les nations ont pris part à ce consentement, puisque aucune nation ne peut refuser de s'y conformer sans pour cela ébranler ses propres titres à la possession de ses biens, et puisque enfin il est fondé sur l'utilité réciproque des nations, et qu'il tend à avancer les intérêts généraux de l'humanité.

Les Espagnols et les Portugais se sont mis à la tête de l'Europe dans les belles découvertes maritimes qui ont été faites pendant les quinzième et seizième siècles. D'après les idées reçues en Europe à cette époque, les nations païennes qui habitaient les contrées nouvellement découvertes étaient considérées comme appartenant légitimement aux conquérants de ces contrées. Dans le cas où s'élevaient quelques disputes au sujet du droit de possession dans ces contrées, le Pape, comme chef suprême de la chrétienté, était l'arbitre souverain de ces disputes. De là, la fameuse bulle publiée en 1493 par le pape Alexandre VI, laquelle accordait aux couronnes unies de Castille et d'Arragon toutes les terres découvertes et à découvrir, au delà d'une ligne imaginaire tracée d'un pôle à l'autre à cent lieues à l'ouest des îles Açores. Ce fut en se fondant sur cette bulle que les Espagnols prétendirent jouir seuls de la propriété de toutes les terres et mers situées à l'ouest de cette ligne dans le Nouveau-Monde. Cependant cette concession du Pape n'était pas le seul appui sur lequel se fondaient les nations qui avaient des possessions dans le Nouveau-Monde; elles faisaient reposer leurs droits à la propriété de ces pays sur la priorité de découverte. L'Espagne même n'a jamais fondé tous ses droits sur la bulle d'Alexandre VI. Le Portugal prétendait faire reposer ses droits à une partie de l'Amérique du Sud sur une dé

couverte et conquête; cet État avait pourtant toujours soin de se tenir à l'est de la ligne tracée dans la bulle du Pape. Quant à l'Angleterre, la France et la Hollande, sans faire attention aux concessions faites par le Pape, elles poussèrent leurs découvertes, leurs conquêtes et même leurs colonies. jusque dans les Indes occidentales, et occasionnèrent ainsi de longues guerres avec l'Espagne et le Portugal, qui semblaient s'être partagé entre eux la terre. Il y avait cependant un point sur lequel toutes ces nations paraissaient s'entendre; à savoir sur le mépris complet des droits des peuples de ces contrées. C'est ainsi que la bulle du pape Alexandre VI accordait à l'Espagne toutes les terres ayant déjà été occupées par des nations chretiennes; et les lettres patentes données par Henri VII d'Angleterre à Jean Cabot et à ses fils les autorisaient «à chercher et à découvrir toutes les îles, pays ou provinces quelconques appartenant à des païens et à des infidèles, et d'assujettir et d'occuper ces territoires comme ses vassaux et lieutenants. » C'est ainsi que la reine Elisabeth donna également à Sir Humphrey Gilbert, l'autorisation de découvrir toutes les contrées païennes et barbares non possédées par des princes ou des peuples chrétiens, et de les occuper. Subordonner les droits des sauvages indigenes à ceux du premier conquérant chrétien, devint ainsi une maxime de politique et de droit. Dans toutes les guerres, traités et négociations auxquels les prétentions rivales des différents États de l'Europe à des territoires sur le continent américain ont donné lieu, les droits des Indiens ont été complétement laissés de côté, ou bien abandonnés au bon plaisir des États auxquels les conventions des différentes puissances européennes les avaient livrés. Leurs titres à leur propre territoire se sont ainsi trouvés presque complétement abolis par la force des armes ou bien par des contrats, à mesure que les progrès de leurs ennemis forçaient les pauvres

sauvages à se retirer de plus en plus des pays occupés par ceux-ci.

Dans les discussions qui s'élevèrent en 1790 entre la Grande-Bretagne et l'Espagne au sujet de Nostka-Sund, cette dernière puissance réclama toutes les côtes nordouest de l'Amérique jusqu'au détroit du Prince William, en se basant sur une priorité de découverte et sur une longue possession confirmées par l'article 8 du traité d'Utrecht. Le gouvernement anglais s'opposa à cette prétention, en déclarant que la terre étant l'héritage commun de tous les hommes, chaque individu et chaque nation a le droit de s'en approprier une portion en la cultivant et en l'occupant. Cette discussion se termina par une convention entre les deux puissances, dans laquelle il fut stipulé que leurs sujets respectifs pourraient librement naviguer et pêcher dans l'Océan Pacifique et dans la mer du Sud, et aborder sur les rivages de ces mers afin de faire le commerce avec les indigènes et pour s'y établir, en se soumettant toutefois aux conditions suivantes :

4o Que la navigation et la pêche des sujets de la GrandeBretagne dans ces mers ne devaient pas servir de prétexte à un commerce illicite avec les établissements espagnols, et qu'ils ne pourraient naviguer ou pêcher à une distance de moins de dix lieues marines des côtes déjà occupées par les Espagnols.

2o Que dans toutes les parties des côtes nord-ouest de l'Amérique septentrionale où l'une ou l'autre des deux puissances aurait établi des colonies à partir du mois d'avril 1789, les sujets de l'autre auraient libre accès et pourraient Y faire leur commerce en toute sûreté.

3o Qu'à l'égard des côtes est et ouest de l'Amérique méridionale, aucun établissement ne pourrait être formé par les sujets des deux États dans la partie de ces côtes située au midi des établissements déjà formés par les Espagnols; mais que les sujets respectifs des deux puis

sances continueraient à avoir le droit d'aborder sur ces côtes pour la pêche, et qu'ils auraient même le droit d'y établir des cabanes ou d'autres habitations temporaires pour les besoins de la pêche 1.

Par un ukase de l'empereur Alexandre de Russie en date du 4/16 septembre 1824, le gouvernement russe déclara avoir un droit territorial exclusif à la côte nordouest de l'Amérique, depuis le détroit de Béring jusqu'au 54 degré de latitude, et aux iles Aléoutes sur la côte orientale de la Sibérie, et dans les îles Kouriles depuis le même détroit jusqu'au cap Sud dans l'ile d'Oozoop, au 15° 51' de latitude nord. La navigation et la pêche étaient défendues à toute autre nation dans les îles et ports contenus dans les limites susdites. Il était également défendu à tout vaisseau étranger d'aborder dans les établissements russes ou d'en approcher à 100 lieues italiennes, sous peine de confiscation de leurs marchandises. Les droits de la Russie à ce territoire reposaient, selon le décret, sur les trois principes sur lesquels, d'après le droit des gens, repose tout droit de propriété, à savoir: sur la priorité de découverte; sur la priorité d'occupation, et enfin sur une possession paisible et incontestée pendant près d'un demi-siècle. Il y était de plus dit que toutes les conditions qui s'appliquent aux mers fermées, devaient s'étendre aux mers qui baignaient les possessions russes sur les continents de l'Asie et de l'Amérique, et que par suite le gouvernement russe pourrait exercer dans ces mers les droits de la souveraineté, et surtout celui de les interdire entièrement aux étrangers. Il se contenterait cependant de l'exercice de ses droits essentiels, pour empêcher la contrebande dans les limites de la compagnie russo-américaine.

Discussions entre les Etats-Unise et la Russi de la côte au sujet de nord ouest de

l'Amerique.

1 Annual Register, an. 1790; State Papers, p. 285-305; an. 1791, p. 208-214, 222-227.

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