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Les considérations qui font qu'aucun État ne peut s'attribuer un droit de propriété absolue sur la pleine mer ne sauraient s'appliquer aux parties de mer comprises dans l'énumération précédente.

1o Ainsi, par rapport aux ports, aux hâvres, aux baies, aux embouchures de fleuves, le droit de propriété exclusif d'un État peut être maintenu, sans que pour cela les deux principes énoncés au sujet de la liberté de la pleine mer soient ébranlés. En effet l'État dont le territoire est baigné par ces eaux a le pouvoir physique d'agir perpétuellement sur elles, et en même temps le droit d'en exclure tout autre État, deux choses qui, comme nous l'avons déjà vu, constituent la possession. Ces eaux ne peuvent être regardées comme appartenant au genre humain en général, pas plus que le territoire qui les avoisine. Tout État possède donc le droit d'exclure tout autre État de ces eaux; ce droit peut cependant être modifié par des conventions, soit tacites, soit expresses, mais son existence est fondée sur l'indépendance réciproque des nations, qui autorise chaque État à juger par lui-même de la manière dont ce droit doit être exercé.

2o Il peut sembler au premier abord que ces considérations ne s'appliquent pas également aux parties de la mer qui baignent les côtes d'un État. Le pouvoir physique d'exercer un droit de propriété exclusive dans ces limites existe dans une certaine mesure; mais le pouvoir moral semble ne s'étendre qu'à exclure l'action de tout autre État qui pourrait être nuisible à l'État auquel appartient ce droit. C'est en se fondant sur cette considération, que l'on est convenu d'exempter un État neutre, en temps de guerre, de tout acte d'hostilité dans les limites d'une lieue marine de ses côtes. On a quelquefois aussi étendu l'exercice de ce droit à l'exclusion des autres nations de l'usage de ces eaux, tant en temps de guerre qu'en temps de paix, comme par exemple pour la pêche. Cette prétention est

§ 11.

Des fleuves

qui

du territoire

d'un Etat.

consacrée tant par l'usage que par des conventions spéciales, et peut être regardé maintenant comme faisant partie du droit positif des gens 1.

3o A l'égard des détroits qui servent de voie de communication entre deux mers, le droit de propriété et de juridiction de l'État qui a des possessions sur les deux rives du détroit, peut être modifié par le droit qu'ont toutes les nations de naviguer dans les mers entre lesquelles se trouve le détroit. Ainsi, par exemple, si les deux rives du détroit de Gibraltar étaient soumises à une même puissance, la navigation de ce détroit n'en serait pas moins libre, puisqu'il sert de voie de communication entre l'Océan Atlantique et la mer Mediterranée. C'est ainsi que, comme

nous l'avons déjà vu, la navigation des Dardanelles et du Bosphore est libre à toutes nations, sauf qu'elles doivent se soumettre à certains réglements indispensables pour le maintien de la sûreté de l'empire ottoman 2.

Le territoire d'un État comprend les lacs, les mers et font partie les fleuves entièrement renfermés dans ses limites. Les rivières qui coulent à travers un État font aussi partie du territoire de cet État. Lorsqu'une rivière navigable forme la frontière entre deux États, le milieu du lit de cette rivière (Thalweg) est considéré comme la ligne de frontière des deux États, comme il est à présumer que la navigation est libre aux deux États limitrophes. Cependant cette présomption peut être détruite, s'il existe des preuves que l'un des États a exercé depuis fort longtemps des droits de souveraineté sur la rivière en question.

$ 12. Droit

de passage. innocent

des fleuves qui coulent.

Des choses dont l'usage est inépuisable, telles que la mer et l'eau courante, ne peuvent appartenir en propre à personne de manière à exclure les autres du

1 VATTEL, Droit des gens, liv. I, chap. xxII, § 287. Précis du droit des gens moderne de l'Europe, § 153.

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MARTENS,

2 Voir, dans mon Histoire du droit des gens, les discussions qui eurent lieu, à ce sujet, entre la Turquie et la Grande-Bretagne, t. II, p. 256-260.

à travers plusieurs États

droit de se servir de ces choses, si toutefois cet usage n'incommode pas le propriétaire légitime. C'est ce que différents. l'on nomme l'usage innocent. C'est ainsi que nous avons vu que la juridiction d'un État sur des détroits ou sur d'autres bras de mer passant par cet État et communiquant avec un autre État ou avec des mers communes à tous les hommes, n'exclut pas d'autres nations du droit de passer librement dans ces détroits. Le même principe s'applique aux fleuves qui coulent d'un État à travers un autre État dans la mer, ou dans le territoire d'un troisième État. Le droit de naviguer, pour des objets de commerce, sur un fleuve qui coule dans le territoire de plusieurs États, est commun à toutes les nations qui habitent ses rives; mais ce droit etant un droit imparfait, son éxercice peut être modifié pour la sûreté des États intéressés, et ne peut être assuré d'une manière efficace par des conventions réciproques 1.

L'exercice de ce droit entraîne celui du droit incident de se servir de tous les moyens nécessaires à la jouissance du droit principal. C'est ainsi que le droit romain, qui considérait les fleuves navigables comme propriété publique et commune, déclarait que le droit de se servir des rives d'un fleuve entraînait aussi celui de se servir de ses eaux, et que le droit de naviguer entraînait celui d'amarrer des bâtiments sur ses rives et de les y décharger. Les publicistes appliquent ce principe du droit romain aux relations des nations, et prétendent que ce droit est une conséquence nécessaire du droit de libre navigation 2.

1 GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. II, cap. II, § 12-14; cap. 1, § 7-12. VATTEL, Droit des gens, liv. II, chap. ix, § 126-130; chap. x, § 132-134. PUFFENDORF, de Jure naturæ et gentium,

lib. III, cap. 1, § 3-6.

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PUFFEN

cap. 1, § 8. VATTEL,

2 GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. II, cap. 1, § 2. DORF, de Jure uaturæ et gentium, lib. III, Droit des gens, liv. II, chap. IX, § 129.

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$ 13. Droit incident

à l'usage d'un fleuve.

des rives

§ 14.

Ces droits sont

Le droit incident, comme le droit principal, est imparfait de sa nature, et l'avantage des deux parties doit être leur nature. consulté pour l'exercice de ces droits.

imparfaits de

$ 15. Modification

au moyen

Ceux qui sont intéressés dans l'exercice ou la jouissance de ces droits de ces droits, peuvent y renoncer entièrement, ou les moconventions. difier de telle manière qu'il leur plaira en vertu de conventions réciproques. Un exemple frappant d'une semblable renonciation se trouve dans le traité de Westphalie de 1648, confirmé par d'autres traités postérieurs. Par ces traités la navigation de l'Escaut fut fermée aux provinces belges en faveur des Hollandais. La violation de ces stipulations par la France lors de son intervention dans les affaires des Pays-Bas en 1792, fut un des principaux motifs de la guerre entre la France et la Grande-Bretagne et la Hollande. Les traités de Vienne placèrent la navigation de l'Escaut sur le même pied que celle du Rhin et des autres grands fleuves de l'Europe; et dans le traité de 1831, qui proclamait la séparation de la Belgique et de la Hollande, la libre navigation de l'Escaut fut stipulée, sauf certains droits à lever par la Hollande 1.

$ 16. Traités

de Vienne

Par le traité de Vienne de 1815, la navigation compar rapport merciale des fleuves qui séparent différents États ou qui å navigation coulent à travers leur territoire fut déclarée libre dans des grands

de l'Europe.

fleuves toute l'étendue de leur cours, à condition que la police de navigation serait observée.

Par l'annexe XVI de l'acte final du congrès de Vienne, la libre navigation du Rhin est accordée dans tout son cours, et des règlements particuliers sont faits pour ce qui regarde ce fleuve, ainsi que le Necker, le Mein, la Meuse et l'Escaut, qui sont tous déclarés libres depuis l'endroit où ils commencent à devenir navigables jusqu'à leurs embouchures. Des règlements semblables furent faits pour la navigation de l'Elbe par les États riverains de ce

1 WHEATON, Histoire du droit des gens, t. I, p. 345.

§ 17.

du Rhin,

fleuve, par un acte signé à Dresde en date du 12 décembre 1824. Les stipulations par lesquelles les puissances qui y étaient intéressécs garantirent la libre navigation de la Vistule et des autres fleuves de la Pologne, stipulations qui avaient été insérées dans le traité signé le 3 mai 1815 entre l'Autriche et la Russie, et dans celui signé le même jour par la Russie et la Prusse, furent confirmées aussi par l'acte final du congrès de Vienne. L'acte étend aussi les mêmes principes à la navigation du Pô 1. L'interprétation de ces stipulations, relatives à la libre Navigation navigation du Rhin, est devenue ensuite l'objet d'un litige entre le gouvernement des Pays-Bas et les autres États riverains intéressés dans le commerce de ce fleuve. Le gouvernement néerlandais a réclamé le droit exclusif de régler et d'imposer le commerce dans les limites de son territoire aux endroits où les diverses branches du Rhin se divisent en tombant dans la mer. Pour soutenir cette prétention, on alléguait que l'expression, dans les traités de Paris et de Vienne, jusqu'à la mer, n'était pas synonyme du terme dans la mer; et que même si l'on interprétait la lettre des traités dans ce sens, il fallait la restreindre au cours du véritable Rhin, qui n'était pas même navigable à son embouchure. La masse des eaux formant ce fleuve se divise près de Nimègue en trois grands canaux naturels, le Waal, le Lech, et l'Yssel: le premier descendant par Gorcum, où il prend le nom de la Meuse; le second approchant la mer à Rotterdam; et le troisième, se dirigeant vers le nord par Zütphen et Deventer, tombe dans le Zuydersée. De ces trois canaux aucun n'est connu sous le nom de Rhin, nom qui est conservé à un petit fleuve qui laisse le Lech à Wycle, prend son cours par Utrecht et Leyde, et dispersant peu à peu ses eaux, les perd entre les dunes de sable à Kulwyck. Le propre fleuve du Rhin

1 Acte final du congrès de Vienne, art. 96. 114, 148.

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