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sivement reçu le nom de droit des gens. Il serait mieux de l'appeler droit public externe, par opposition au droit public interne de chaque État. La première partie du droit international a été confondue avec le droit civil de chaque nation particulière, sans prendre pour cela son essence et son caractère originel. Cette partie de la science détermine seulement certains droits de l'humanité en général et les relations privées qui sont regardées comme étant sous la tutelle des nations; elle a été traitée sous la dénomination de droit international privé.

Le publiciste que nous citons n'admet pas le terme de droit international, nouvellement introduit, et assez généralement adopté par les écrivains les plus récents. Suivant lui, ce terme n'exprime pas assez l'idée du jus gentium des jurisconsultes romains. Il considère le droit des gens comme un droit général de l'humanité qu'aucun peuple ne peut refuser de reconnaître, et dont la protection peut être réclamée par tous les hommes et par tous les États. Il cherche la base de ce droit dans ce principe incontestable, que partout où il y a une société, il doit aussi y avoir un droit obligatoire pour tous ses membres. Il doit y avoir également dans la grande sociéte des nations un droit analogue.

Le droit en général est la liberté extérieure de la personne morale. Ce droit peut être garanti par la protection d'une autorité supérieure, ou bien il puise sa force en luimême; le droit des gens est de cette dernière espèce. Une nation qui sort de son isolement pour vivre en société avec les autres nations, reconnaît, par ce fait même, un droit qui doit régler ses relations internationales. Elle ne peut méconnaître ce droit sans s'exposer à l'inimitié des autres nations, sans mettre en péril sa propre existence. L'obligation que chaque nation s'impose de se conformer à ce droit, dépend de la persuasion où elle est que les autres nations observeront envers elle le même droit. Le

Il n'y a pas de droit des

gens universel.

droit des gens est fondé sur la réciprocité; il n'a pas de législateur ni de juge suprême, puisque les États indépendants ne reconnaissent aucune autorité humaine comme leur étant supérieure. Il dépend exclusivement des sanctions morales, et de la crainte que peuvent avoir les souverains et les nations de provoquer les autres souverains et les autres nations en violant des règles généralement comme contribuant au bonheur commun des

reconnues

hommes 1.

Existe-t-il vraiment un semblable droit des gens? Non sans doute entre toutes les nations et tous les États du globe. Le droit public a toujours été, et est encore, à quelques exceptions près, limité aux peuples civilisés et chrétiens de l'Europe ou à ceux d'origine européenne. Il y a longtemps que cette distinction entre le droit des gens européen et celui des autres races d'hommes a été remarqué par les publicistes. Grotius dit que «le droit des gens a acquis sa force obligatoire par un effet de la volonté de tous les peuples, ou du moins de plusieurs. Je dis de plusieurs, car à la réserve du droit naturel, qui est aussi appelé droit des gens, on n'en trouve guère qui soit com

1 HEFFTER, das europäische Völkerrecht, § 2.

Le savant jésuite Suarez a indiqué, dans le passage suivant, cette obligation morale du jus gentium: «Ratio hujus juris est, quia humanum genus, quamvis in varios populos et regna divisum, semper habeat aliquam unitatem, non solum specificam, sed etiam quasi politicam et moralem, quam indicat naturale præceptum mutui amoris et misericordiæ, quod ad omnes extenditur, etiam extraneos et cujuscunque nationis. Quapropter, licet unaquaque civitas perfecta, respublica aut regnum, sit in se communitas perfecta et suis membris constans, nihilominus quælibet illarum etiam membrum aliquo modo hujus universi prout genus humanum spectat. Nunquam enim illæ communitates adeo sunt sibi sufficientes sigillatim, quin indigeant aliquo mutuo juvamine et societate ac communicatione, interdum ad melius esse majoremque utilitatem, interdum vero et ob moralem necessitatem. Hac ergo ratione indigent aliquo jure, quo dirigantur et recte ordinentur in hoc genere communicationis et societatis. Et quamvis magna ex parte hoc fiat per rationem naturalem, non tamen sufficienter et immediate quoad omnia: ideoque potuerunt usu earundem gentium introduci.» (SUAREZ, de Legibus et Deo legislatore, lib. II, cap. xix, n. g.)

mun à toutes les nations. Souvent ce qui est du droit des gens dans une partie de la terre ne l'est pas dans l'autre, comme nous le montrerons dans son lieu 1.»>

Bynkershoek, dans un passage précédemment cité,

dit

que le droit des gens est ce qui s'observe, conformément aux lumières de la raison, entre les nations, sinon toutes, du moins parmi la plupart et les plus civilisées 2.

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Leibnitz parle du droit des gens volontaire, comme étant établi par le consentement tacite des nations; «non pas, dit-il, « qu'il soit nécessairement la loi de toutes les nations et de tous les siècles, puisque les Européens et les Indiens diffèrent souvent entre eux au sujet des notions qu'ils se sont faites du droit international, et que même parmi nous il peut être changé par le laps des temps 3.» Et enfin, Montesquieu, dans son Esprit des lois, dit: «Toutes les nations ont un droit des gens, et les Iroquois mêmes, qui mangent leurs prisonniers, en ont un. Ils envoient et reçoivent des ambassadeurs, ils connaissent des droits de la guerre et de la paix; le malheur est que ce droit des gens n'est pas fondé sur de vrais principes.»

Il n'y a donc pas de droit des gens universel tel qu'il est décrit par Cicéron dans son traité de la République. Nous ne pouvons cependant proscrire avec M. Heffter les nouveaux termes de jus inter gentes, droit entre les

1 Latius autem patens est jus gentium, id est quod gentium omnium aut multarum voluntate vim obligandi accepit. Multarum addidi, quia vix ullum jus reperitur extra jus naturale, quod ipsum quoque gentium dici solet, omnibus gentibus commune. Imo sæpe in una parte orbis terrarum est jus gentium quod alibi non est, ut suo loco dicemus. (GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. I, cap. I, § 14, no 4.)

2 BYNKERSHOEK, de Foro legatorum. Vid. supra.

3 Neque vero necesse est, ut sit omnium gentium vel omnium temporum; cum in multis arbitrer aliud Indis aliud Europæis placere et apud nos ipsos seculorum decursu mutari, quod vel hoc ipsum opus indicare potest. (LEIBNITZ, Codex juris gentium diplomaticus, præfat.)

MONTESQUIEU, Esprit des lois, liv. 1, chap. III.

gens, ou droit international, proposés successivement par Zouch1, d'Aguesseau et Bentham3, comme exprimant d'une manière plus précise et plus logique cette branche du droit qu'on appelle ordinairement le droit des gens ou des nations, «termes si peu caractéristiques,>> dit Bentham, «< que si ce n'était la force de l'usage, ils pourraient être regardés plutôt comme indiquant une branche du droit interne ou civil.» Il est même permis de douter si le terme de droit des gens peut être littéralement applicable à ces règles de justice qui sont observées ou qui devraient l'être entre les sociétés indépendantes. Il ne peut y avoir de droit où il n'y a point de loi, et il n'y a pas de loi où il n'y a pas de supérieur; entre les nations il n'y a qu'une obligation morale résultant de la raison qui enseigne qu'une certaine conduite dans leurs relations mutuelles contribue le plus efficacement au bonheur général. C'est seulement dans un sens métaphorique que le droit des gens peut être appelé loi. Les lois proprement dites sont des commandements émanés d'un supérieur, auxquels est annexé comme sanction un mal éventuel. Telle est la loi naturelle, ou loi divine, prescrite par Dieu à tous les hommes, et telles sont les lois civiles imposées dans chaque société politique par l'autorité supérieure de l'État aux personnes qui y sont soumises. Les nations étant indépendantes les unes des autres, ne reconnaissent de supérieur que Dieu même; tous les devoirs réciproques existants entre elles résultent de conventions ou de l'usage; la loi dans le sens naturel de ce mot ne peut dériver ni de l'une ni de l'autre de ces deux sources du droit international.

Les rapports entre les nations étaient appelés jus gentium par les jurisconsultes romains, et dans toutes les lan

'ZOUCH, de Jure inter gentes. Lond. 1650.

2 OEuvres de D'AGUESSEAU, t. II, p. 337.

3 BENTHAM, Morals and legislation. Works, part. I, p. 149.

gues modernes de l'Europe, excepté la langue anglaise, on donne à ces rapports le nom de droit des gens ou des nations. Cependant le mot gens, dérivé du latin, ne signifie en français ni peuple ni nation. L'expression anglaise, law of nations, loi des nations, est encore moins applicable aux règles de justice internationale 1.

Des règles de conduite imposées par l'opinion ne sont appelées lois que par l'effet analogique du terme; c'est le cas de la loi internationale. Cette loi n'est pas une loi positive, puisque chaque loi positive est imposée par une autorité supérieure ou souveraine à des inférieurs ou sujets. L'ensemble des règles de conduite reconnues par les nations et les souverains dans leurs relations mutuelles leur étant imposé par des opinions généralement admises entre eux, est appelé loi par son analogie avec une loi positive. Cette loi n'a d'autre sanction que la crainte de provoquer l'hostilité des autres nations par les violations des maximes généralement reconnues par les peuples civilisés 2.

Savigny.

D'après l'opinion de Savigny, il peut exister entre di- Opinion de verses nations cette même communauté d'idées, qui a contribué à former le droit positif (das positive Recht) de chaque nation en particulier. Cette communauté d'idées, fondée sur une origine et une religion communes à plusieurs peuples, constitue le droit international, tel que nous le voyons parmi les États chrétiens de l'Europe, droit qui n'était pas inconnu des peuples anciens, et que nous trouvons parmi les Romains sous le nom de jus feciale. Le droit international peut donc être considéré comme un droit positif, mais un droit imparfait par rapport à l'incertitude de ses préceptes et parce qu'il manque de cette

1 RAYNEVAL, Institutions du droit de la nature et des gens, liv. I, p. 8, note 4.

2 AUSTIN, Province of jurisprudence, etc., p. 147 et 148, 207

et 208.

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