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pfandsrecht le droit réel sur une chose appartenant à une autre personne, attribué à tout individu pour sûreté d'une créance et en vertu duquel il peut exiger satisfaction de la substance de la chose même 1. »

D'après cette loi, le propriétaire de la maison dans laquelle demeurait le ministre des États-Unis accrédité à la cour de Berlin, réclamait le droit de détenir les choses appartenant au ministre, trouvées dans ladite maison à l'expiration du bail, pour répondre du payement des dommages qu'il prétendait lui être dus à cause des dégradations faites à la maison pendant la durée du contrat. Le gouvernement prussien décida que l'exemption générale de la juridiction locale dont jouissent, d'après le droit des gens, les biens mobiliers des ministres étrangers ne s'étendait pas à ce cas. On prétendit que là le droit de détention résultait du contrat lui-même et de l'effet légal que la loi locale lui donnait. En accordant ainsi au propriétaire les droits d'un créancier dont la créance est assurée par hypothèque (Pfandgläubiger), non-seulement pour ce qui touche le loyer, mais encore pour toutes autres obligations naissant du contrat, le code civil prussien lui accorde un droit réel sur tous les effets du locataire trouvés dans la maison à l'expiration du bail, et qu'il peut, d'après ce droit, retenir pour sûreté de l'accomplissement de toutes les clauses du contrat.

Le ministre américain établit que cette décision plaçait les membres du corps diplomatique accrédités à la cour de Prusse sur le même pied que les sujets de ce royaume relativement au droit que le code prussien accorde au bailleur de retenir les biens du locataire pour le forcer à accomplir les obligations du contrat. La seule raison alléguée pour justifier une telle exception au principe général de l'exemption, fut que le droit en question résultait du

1 Allgemeines Landrecht für die preussischen Staaten, pt. I, tit. XXI. § 395; tit. XX, § 1.

contrat lui-même. On ne prétendit pas qu'une telle exception eût été émise par aucun écrivain d'autorité sur le droit des gens, et cette considération seule présentait une objection puissante contre la validité de cette exception. Il est notoire en effet que toutes les exceptions au principe général ont été soigneusement enumérées par les publicistes les plus estimés. Non-seulement ces écrivains n'admettent pas une telle exception, mais encore ils la repoussent expressément. On ne pouvait pas non plus prétendre que la manière d'agir d'un seul gouvernement, dans un seul cas, pût suffire pour créer une exception au principe que les nations regardent comme inviolable et

sacré.

Assurément, selon le code prussien et les lois de la plupart des nations, le contrat de louage donne au propriétaire le droit de saisir ou de détenir les choses appartenant au locataire en cas de non-payement de loyers ou de dommages encourus pour dégradations faites à la propriété; mais la question ici n'était pas de savoir quels droits les lois municipales du pays accordent au propriétaire contre le locataire sujet de ce pays, mais quels sont ces droits contre un ministre étranger dont l'habitation est un asile sacré, dont la personne et les biens sont entièrement exempts de la juridiction locale, et qui ne peut être forcé à accomplir ses obligations que par un appel à son gouvernement. Ici le contrat de louage constitue, per se, le droit en question, en ce sens seulement que la loi fournit à l'une des parties un remède spécial pour forcer l'autre à accomplir ses stipulations. Au lieu de forcer le bailleur à recourir à une action personnelle contre le locataire, il lui donne une garantie sur les biens trouvés dans la propriété louée. Cette garantie peut être employée pour obliger les sujets du pays, parce que leurs biens sont soumis à ses lois et à ses tribunaux de justice; mais elle ne peut être employée contre les ministres étrangers rési

dant dans le pays, attendu qu'ils ne dépendent ni des unes ni des autres.

Supposons que le contrat en question ait été une lettre de change souscrite par le ministre, non comme affaire de commerce, mais pour défrayer ses dépenses ordinaires. Les lois de tous les pays, en pareil cas, donnent au détenteur de la lettre le droit d'arrêter la personne de son débiteur en cas de non-payement. On pourrait dire dans le cas supposé que le contrat lui-même donne le droit d'arrêter la personne, par la même raison qu'on a prétendu dans le cas en question qu'il donnait le droit de saisir les biens du débiteur.

En somme, il n'y a pas un seul privilége dont on ne pût dépouiller un ministre public par le même mode de raisonnement dont on se servit pour le priver de l'exemption à laquelle il était en droit de prétendre pour ses effets personnels. Mais le priver de ce droit seul serait le priver de cette indépendance et de cette sécurité qui lui sont indispensablement nécessaires pour le mettre à même de remplir les devoirs qu'il doit à son gouvernement. Si l'on peut saisir un seul article de son mobilier, on peut tout saisir, et le ministre ainsi que sa famille peuvent être privés par là de moyens de subsistance. Si la sainteté de sa demeure peut être violée pour cette cause, elle peut l'être pour toute autre. Si l'on peut sous ce prétexte prendre sa propriété privée, on peut sous le même prétexte prendre la propriété de son gouvernement et même les archives de la légation.

L'exemption dont jouissent les biens d'un ministre public de toute espèce de saisie pour dette est exposée par Grotius de la manière suivante:

<«< Pour ce qui est des biens meubles d'un ambassadeur, et qui par conséquent sont censés autant de dépendances de sa personne, on ne peut pas non plus les saisir, ni pour payement ni pour sûreté d'une dette, soit par ordre de la

justice, soit, comme quelques-uns le veulent, par main-forte du souverain; c'est à mon avis l'opinion la mieux fondée. Car un ambassadeur pour jouir d'une pleine sûreté, doit être à l'abri de toute contrainte, et par rapport à sa personne, et par rapport aux choses qui lui sont nécessaires. Si donc il a contracté des dettes, et que, comme c'est l'ordinaire, il n'ait point de biens immeubles (immobilia) dans le pays, il faut lui dire honnêtement de payer, et s'il refuse, on doit alors s'adresser à son maitre 1. »

On voit ici que ce grand homme, lui-même à la fois ministre public et publiciste, était décidément d'opinion que la propriété mobilière d'un ambassadeur ne pouvait être saisie, soit pour le payement, soit pour sûreté d'une dette; ou, selon le texte original ad solutionem debiti aut pignoris causa. Bynkershoek, dans son traité de Foro competenti legatorum, cite en l'approuvant ce passage de Grotius.

Bynkershoek lui-même, en commentant l'édit déclaratoire des États-Généraux des Provinces-Unies en 1679 qui exempte les ministres étrangers de l'arrestation de leur personne et de la saisie de leurs effets pour les dettes contractées dans le pays, remarque ce qui suit:

«La déclaration des États - Généraux ne diffère pas matériellement de l'opinion de Grotius que j'ai citée dans le précédent chapitre. Nous pouvons y ajouter, et c'est l'avis de cet auteur, que les effets d'un ambassadeur ne peuvent être saisis pour le payement ou la sûreté d'une dette, parce qu'ils sont considérés comme appartenant à sa personne. Respectant ce principe, Antoine de Mornac rapporte qu'en l'an 1608, Henri IV, roi de France, se prononça contre la légalité d'une saisie faite à Paris, pour non-payement de loyer, des biens de l'ambassadeur vénitien. Cette décision a depuis été constamment observée dans tous les pays.

J GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. II, cap. XVII. § 9.

<«< Mais on pourrait dire que c'est pousser le privilége trop loin, quisque la saisie du mobilier d'un ambassadeur regarde moins la personne que le droit sur la chose ainsi saisie, droit dont le propriétaire ne peut être privé par l'ambassadeur. »

Cet auteur avait ici anticipé l'argument du gouvernement prussien, auquel il répond en ces termes:

«Mais loin de pousser ce principe à l'excès, par les biens dont on parle dans la déclaration de 1679, j'ai compris seulement les biens mobiliers, c'est-à-dire ceux qui servent à l'usage des ambassadeurs (id est ustensilia), comme je le montrerai dans la partie de ce traité où il faudra parler de leurs propriétés Ce sont ces biens que j'affirme n'être pas et n'avoir jamais été considérés, d'après le droit des gens, comme étant de nature à être pris en gage pour sûreté du payement d'une dette d'un ambassadeur. Je soutiens même qu'il est illégal de les saisir, soit pour commencer une requète, soit pour exécuter une sentence judiciaire 1. »

Dans son 46 chapitre, Bynkershoek explique ce qu'il entend par ces effets qui servent habituellement aux ambassadeurs, id est ustensilia. Dans ce chapitre il admet que les biens mobiliers et immobiliers d'un ministre public peuvent dans quelques cas, être saisis pour le forcer à répondre à une action judiciaire intentée contre lui par ceux qui peuvent élever des prétentions contre lui: « Je dis les biens en général (bona), mobiliers, ou immobiliers, à moins qu'ils n'appartiennent à la personne de l'ambassadeur et qu'il ne les possède en tant qu'ambassadeur; en un mot toutes ces choses sans lesquelles il pourrait convenablement remplir les fonctions de sa charge. J'excepte donc du nombre de ces biens de l'ambassadeur qui peuvent ainsi être saisis, le blé, le vin, l'huile, les provi

1 BYNKERSHOEK, de Foro legatorum, cap. x, § 9, 10.

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