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QUATRIEME PARTIE.

DROITS INTERNATIONAUX DES ÉTATS DANS LEURS
RELATIONS HOSTILES.

CHAPITRE PREMIER.

COMMENCEMENT DE GUERRE, ET SES EFFETS IMMÉDIATS.

§ 1. Réparation entre nations par l'emploi de la force.

Les sociétés indépendantes d'hommes appelées États ne reconnaissent ni arbitre commun ni juge, excepté ceux qui sont constitués par convention spéciale. La loi qui les gouverne, ou qu'ils reconnaissent comme telle, manque de ces sanctions positives qui sont annexées au code civil de chaque société distincte. Chaque État a donc le droit de recourir à la force comme étant le seul moyen de réparation pour les offenses à lui faites par les autres, de la même manière que les particuliers auraient le droit d'employer ce remède, s'ils n'étaient soumis aux lois de la société civile. Chaque État a aussi le droit de juger pour lui-même de la nature et de l'étendue des offenses qui peuvent justifier de pareils moyens de réparation.

Parmi les divers modes de terminer les différends entre nations par l'emploi de la force, avant d'en venir à la guerre actuelle, sont les suivants:

1o Mettre l'embargo ou le séquestre sur les navires et sur les biens et autres propriétés de la nation offensante trouvés sur le territoire de l'État offensé.

COMMENCEMENT DE GUERRE, ET SES EFFETS IMMÉDIATS. 275

2o Prendre possession efficace de la chose controversée, en s'assurant par la force et en refusant à l'autre nation la puissance du droit en question.

3o Exercer le droit de rétorsion de fait (retorsio facti), ou de rétorsion de droit; dernier moyen qui permet à l'une des nations d'adopter dans ses transactions vis-à-vis de l'autre la même règle de conduite que cette autre nation suivra dans des circonstances analogues.

4o Faire des représailles sur les personnes et les choses appartenant à la nation offensante, jusqu'à ce que réparation soit faite de l'offense alléguée1.

Ces réprésailles semblent comprendre tous les moyens possibles de se faire faire réparation avant d'en venir à la guerre, et renfermer, bien entendu, tous ceux que nous venons d'énumérer. Les représailles sont négatives quand un État refuse de remplir une obligation qu'il a contractée, ou de permettre à une autre nation de jouir d'un droit qu'elle réclame. Elles sont positives quand elles consistent à saisir les personnes et les biens appartenant à l'autre nation afin d'obtenir satisfaction 2.

Les représailles sont aussi ou générales ou spéciales. Elles sont générales quand un État qui a reçu ou qui est supposé avoir reçu une offense d'une autre nation, donne pouvoir à ses officiers et sujets de s'emparer des personnes et des propriétés de l'autre nation partout où on les pourra trouver. C'est, d'après l'usage présent, la première mesure prise ordinairement au commencement d'une guerre publique, et qui peut être considérée comme entraînant une déclaration d'hostilités, à moins que satisfaction ne soit donnée par l'État qui a commis l'offense. Les représailles spéciales ont lieu quand, en temps de paix, on accorde des lettres de marque à certains individus qui

1 VATTEL, liv. II, chap. xvII.

de l'Europe, § 234.

2 KLÜBER, § 254, note (c).

KLÜBER, Droit des gens moderne

§ 2.

Représailles.

$ 3. Effets des

ont souffert une offense du gouvernement ou des sujets d'une autre nation1.

On ne doit accorder de représailles qu'au cas d'un déni de justice clair et manifeste. Le droit de les accorder appartient au souverain ou au pouvoir suprême de l'État. Il était anciennement réglé par les traités et les ordonnances municipales des différentes nations. Ainsi en Angleterre, les statuts 4, hen. V, cap. 7, déclarent «que si des sujets du royaume sont opprimés en temps de paix par des étrangers, le roi accordera des lettres de marque en due forme à tous ceux qui auront eu à souffrir.>> Cette forme est indiquée et son observation réglée dans ces statuts. De même, en France, la célèbre ordonnance sur la marine de Louis XIV, de 1684, prescrit les formes à observer pour obtenir des lettres de marque spéciales, pour les sujets français, contre ceux des autres nations. Mais ces représailles particulières, en temps de paix, sont presque tombées en désuétude 2.

Certains de ces actes de représailles ou recours aux représailles. moyens violents de réparation entre nations peuvent revêtir le caractère de guerre dans le cas où une juste satisfaction est refusée par l'État offensant. «Les représailles,» dit Vattel, «sont usitées de nation à nation pour se faire justice soi-même, quand on ne peut pas l'obtenir autrement. Si une nation s'est emparée de ce qui appartient à une autré, si elle refuse de payer une dette, de réparer une injure, ou d'en donner une juste satisfaction, celle-ci peut se saisir de quelque chose appartenant à la première, et l'appliquer à son profit jusqu'à concurrence de ce qui lui est dû, avec dommages et intérêts, ou retenir le gage

1 BYNKERSHOEK, Quæstionum juris publici lib. 1. Traduction de DUPONCEAU, p. 182, note.

2 VATTEL, Droit des gens, liv. II, chap. XVIII, § 242-246. BYNKERSHOEK, Quæstionum juris publici lib. I, cap. xxiv. MARTENS, Précis du droit des gens moderne de l'Europe, liv. VIII, chap. 11, § 260. MARTENS, Essai concernant les armateurs, § 4.

jusqu'à ce qu'on lui ait donné une pleine satisfaction. Dans ce dernier cas, c'est plutôt arrêt ou saisie que représailles: on les confond souvent dans le langage ordinaire. Les effets saisis se conservent tant qu'il y a espérance d'obtenir satisfaction ou justice. Dès que cette espérance est perdue, on les confisque; et alors les représailles s'accomplissent. Si les deux nations sur cette querelle en viennent à une rupture ouverte, la satisfaction est censée refusée dès le moment de la déclaration de guerre ou des prémières hostilités, et dès lors aussi les effets saisis peuvent être confisqués1.»

Embargo

déclaration d'hostilités.

Ainsi, quand l'embargo fut mis sur les propriétés hollandaises dans les ports de la Grande-Bretagne, après préalable à la la rupture de la paix d'Amiens, faite, en 1803, dans des circonstances qui la firent considérer, par le gouvernement anglais, comme constituant une agression hostile de la part de la Hollande, sir W. Scott (lord Stowell), en donnant ses conclusions sur ce cas, dit: «La saisie fut d'abord équivoque, et si l'objet du différend s'était terminé par une réconciliation, la saisie aurait été convertie en un simple embargo civil, ainsi terminé. Tel eût été l'effet rétroactif de ce concours de circonstances. Au contraire, si la transaction finit par les hostilités, l'effet rétroactif est tout à fait opposé. Il imprime le caractère directement hostile à la saisie originaire; ce n'est plus un embargo; ce n'est plus un acte équivoque, sujet à deux interprétations; il y a déclaration de l'intention (animus) avec laquelle il a été fait; c'était avec une intention hostile (hostili animo), et l'on doit le considérer comme une mesure hostile, ab initio, contre des personnes coupables d'offenses qu'elles ont refusé de réparer au moyen d'un changement amiable dans leur manière d'agir. C'est là la marche nécessaire, s'il ne survient aucune convention par

1 VATTEL, Droit des gens, liv. II, chap. xvIII, § 342.

$ 5. Droit

guerre; à qui

ce droit.

ticulière pour la restitution de ces propriétés prises avant une déclaration formelle d'hostilités1. »

Le droit de faire la guerre, aussi bien que celui d'aude faire la toriser des représailles ou autres actes de rétorsion, de fait appartien appartient dans toute nation civilisée au pouvoir suprême de l'État. L'exercice de ce droit est réglé par les lois fondamentales ou la constitution civile de chaque pays. I! peut être délégué à ses autorités inférieures dans les possessions éloignées, ou même à une corporation commerciale, telle par exemple la compagnie anglaise des Indes orientales, qui exerce, sous l'autorité de l'État, des droits souverains par rapport aux nations étrangères 2.

$ 6. Guerre

solennelle.

Une contestation soutenue par la force entre des États publique ou indépendants s'appelle guerre publique. Si elle est déclarée dans les formes, ou dûment commencée, elle donne aux parties belligérantes tous les droits de la guerre l'une contre l'autre. Le droit des gens volontaire ou positif ne fait aucune distinction, à cet égard, entre une guerre juste ou une guerre injuste. Une guerre dans les formes, ou dûment commencée, doit être considérée quant à ses effets comme juste des deux côtés. Tout ce qui est permis par les lois de la guerre à l'une des parties belligérantes est également permis à l'autre3.

§ 7. Guerre

parfaite ou imparfaite.

Une guerre parfaite est celle où toute la nation entière est en guerre avec une autre nation, et où tous les membres de l'une des nations sont autorisés à commettre des hostilités contre tous les membres de l'autre, dans tous les cas et d'après toutes les circonstances permises par les lois générales de la guerre. Une guerre imparfaite est limitée aux lieux, aux personnes et aux choses*.

1 ROBINSON'S Admiralty Reports, vol. V, p. 246. The Boeds Lust. 2 VATTEL, liv. III, chap. 1, § 4. MARTENS, Précis, etc., liv. VIII,

§ 260, 264.

3 VATTEL, liv, III, chap. xi.

§ 15.

RUTHERFORTH'S Instit., b. II, chap. x,

4 Telles furent les hostilités limitées, autorisées par les États-Unis contre la France en 1798, Rep. de DALLAS, vol. II, p. 24; vol. IV, p. 37.

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