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Une guerre civile entre les différents membres de la même société est ce que Grotius appelle une guerre mixte; elle est, selon lui, publique de la part du gouvernement établi, et privée de la part du peuple qui résiste à son autorité. Mais l'usage général des nations regarde une pareille guerre comme donnant à chacune des deux parties combattantes tous les droits de la guerre l'une contre l'autre, et même par rapport aux nations neutres 1.

Une déclaration de guerre formelle à l'ennemi était autrefois considérée comme nécessaire pour légaliser les hostilités entre les nations. Les anciens Romains la pratiquaient uniformément, ainsi que les États de l'Europe moderne, jusqu'au milieu du dix-septième siècle environ. Le dernier exemple de cette espèce fut la déclaration de guerre de la France contre l'Espagne à Bruxelles, en 1635, par héraults d'armes, selon les formes observées dans le moyen âge. L'usage présent est de publier un manifeste dans le territoire de l'État qui déclare la guerre, annonçant l'existence des hostilités et les motifs pour les commencer. Cette publication peut être nécessaire pour l'instruction et la direction des sujets de l'État belligérant par rapport à leurs relations avec l'ennemi, ayant trait à certains effets que le droit des gens volontaire attribue à la guerre faite dans les formes. Sans une telle déclaration il pourrait être difficile de distinguer dans un traité de paix les actes qu'on regarde comme les effets légaux de la guerre, de ceux que chaque nation peut considérer comme des torts évidents, et pour lesquels elle peut en de certaines circonstances demander réparation2.

§ 8. Nécessité de la déclaration de guerre.

$ 9. Biens

Comme aucune déclaration ou autre avis à l'ennemi de l'existence de la guerre n'est nécessaire pour légaliser les de l'ennemi.

1 Vide ante, partie I, chap. 1, § 7-10, p. 33 à 36.

2 GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. I, cap. шI, § 4. BYNKERSHOEK, Questionum juris publici lib. I, cap. 11.

b. II, chap. ix, § 10.

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RUTHERFORTH's Instit.,
VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. IV,

§ 51-56. KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, § 238-239.

les terres au

ment de la

guerre,

point elles

ceptibles

d'être con

trouvés sur hostilités, et comme la propriété de l'ennemi est en général commence- soumise à la saisie et à la confiscation comme prise de jusqu'aquel guerre, il semblerait suivre de là, comme conséquence, sont sus- que la propriété qui lui appartient, et est trouvée sur les terres de l'État belligérant au commencement des hostilités, est soumise au même sort que tous ses autres biens en quelque lieu qu'ils soient. Mais il y a une grande diversité d'opinions sur ce sujet parmi les jurisconsultes, et la tendance de l'usage moderne entre les nations semble être d'exempter ces propriétés des opérations de la guerre.

fisquées.

Une des exceptions à la règle générale exposée par les publicistes, qui soumet toutes les propriétés de l'ennemi à la capture, respecte les propriétés locales situées dans la juridiction d'un État neutre; mais cette exception résulte du droit de l'État neutre et non d'un privilége que donne la situation au propriétaire ennemi. La raison et l'usage reconnu des nations fournissent-ils d'autre exception?

D'après les Romains, qui regardaient comme loyal d'asservir ou même de tuer l'ennemi trouvé sur le territoire de l'État au moment où la guerre éclate, il s'ensuivrait tout naturellement que la propriété de cet ennemi trouvée aux mêmes lieux deviendrait la proie de celui qui s'en emparerait le premier. Grotius, dont le grand ouvrage sur les lois de la guerre et de la paix parut en 1625, adopte comme base de son opinion dans cette question les règles du droit romain, qu'il tempère par les sentiments plus généreux qui commencèrent à prévaloir dans les relations de l'humanité au temps où il écrivait. A l'égard des créances dues à des personnes privées, il considère le droit de les demander seulement comme suspendu pendant la guerre et revivant avec la paix. Bynkershoek, qui écrivait vers 1737, adopte les mêmes règles et les suit dans toutes leurs conséquences. Il soutient que comme aucune déclaration de guerre à l'ennemi n'est nécessaire, aucun avis n'est n'écessaire pour légaliser la capture de ses proprié

tés, à moins qu'il ne se soit, par convention expresse, réservé le droit de la retirer à l'engagement des hostilités. Cette règle, il l'étend aux choses en action, comme les dettes et les créances, aussi bien qu'aux choses en possession. Il tire, en confirmation de cette doctrine, une variété d'exemples, de la conduite de différents États, embrassant une période d'un peu plus d'un siècle, qui commence en l'an 1556 et finit en 1657. Mais il reconnaît que ce droit a été discuté, et spécialement par les États - Généraux de Hollande; et il ne produit aucun précédent à l'exercice de ce droit postérieur à l'année 1667, soixante et dix ans avant sa publication. Contre les anciens exemples cités par lui il y a l'usage négatif de la période subséquente de près d'un siècle et demi avant les guerres de la révolution française. Durant toute cette période, la seule exception qu'on puisse trouver est le cas de l'emprunt de Silésie en 1753. Dans l'argument des légistes anglais contre les représailles faites dans ce cas par le roi de Prusse, à cause de la capture de vaissaux prussiens par les croiseurs anglais, on établit « qu'il n'était pas facile de trouver un exemple d'un prince ayant jugé à propos de faire des représailles à cause d'une dette due par luimême à des particuliers. On devait croire que cela n'arriverait pas. Un particulier prête de l'argent à un prince sur engagement d'honneur, parce qu'un prince ne peut être forcé par une cour de justice comme les autres hommes. L'Angleterre et la France adhérèrent si scrupuleusement à cet acte de foi publique, que même pendant la guerre (faisant allusion à la guerre terminée par la paix d'Aix-laChapelle) elles n'ont pas souffert qu'il fût recherché si quelque portion de la dette publique était due aux sujets de l'ennemi, quoique assurément beaucoup d'Anglais avaient de l'argent dans les fonds français, et réciproquement beaucoup de Français en avaient dans les nôtres1. »

1 GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. III, cap. xx, § 16.

-

- BYNKERS

Vattel, qui écrivait environ trente ans après Bynkershoek, après avoir exposé le principe général que la propriété de l'ennemi était susceptible d'être saisie et confisquée, le modifie par l'exception des immeubles appartenant aux sujets de l'ennemi dans l'État belligérant, lesquels ayant été acquis du consentement du souverain, doivent être considérés sur le même pied que ceux de ses propres sujets et exempts de confiscation jure belli. Mais il ajoute que les revenus et profits peuvent être séquestrés pour empêcher qu'ils ne soient remis à l'ennemi. Quant aux créances et aux autres choses en action, il soutient que la guerre donne le même droit sur elles que sur les autres propriétés appartenant à l'ennemi. Il cite alors l'exemple, rapporté aussi par Grotius, des cent talents dus par les Thébains aux Thessaliens, dont Alexandre s'était emparé par droit de conquête, mais qu'il remit aux Thessaliens comme un acte de faveur; et il commence à dire que <«<le souverain a naturellement le même droit sur ce que ses sujets peuvent devoir aux ennemis. Il peut donc confisquer des dettes de cette nature, si le terme du payement tombe au temps de la guerre; ou au moins défendre à ses sujets de payer tant que la guerre durera. Mais aujourd'hui l'avantage et la sûreté du commerce ont engagé tous les souverains de l'Europe à se relâcher de cette rigueur, et dès que cet usage est généralement reçu, celui qui y donnerait atteinte blesserait la foi publique; car les étrangers ne se sont confiés à ses sujets que dans la ferme persuasion que l'usage général serait observé. L'État ne touche pas même aux sommes qu'il doit aux ennemis; partout les fonds confiés au public sont exempts de confiscation et de saisie en cas de guerre. » Dans un autre

HOEK, Quæstionum juris publici lib. I, cap. II, VII. lus by A. Hamilton, no 20.

Lettres of Camil

Vattel appelle le rapport des légistes anglais «un excellent morceau de droit des gens» (liv. II, chap. vII, § 34, note a), et Montesquieu le nomme «une réponse sans réplique.» (Oeuvres, t. VI, p. 445.)

passage Vattel donne la raison de cette exception: «< Dans les représailles on saisit les biens des sujets tout comme on saisirait ceux de l'État ou du souverain. Tout ce qui appartient à la nation est sujet aux représailles, dès qu'on peut s'en saisir, pourvu que ce ne soit pas un dépôt confié à la foi publique. Ce dépôt ne se trouvant entre nos mains que par une suite de la confiance que le propriétaire a mise dans notre bonne foi, il doit être respecté même en cas de guerre ouverte. C'est ainsi que l'on en use en France, en Angleterre et ailleurs à l'égard de l'argent que les étrangers ont placé dans les fonds publics. » Il dit encore: « Le souverain qui déclare la guerre ne peut retenir les sujets de l'ennemi qui se trouvent dans ses États au moment de la déclaration, non plus que leurs effets. Ils sont remis chez lui sur la foi publique: en leur permettant d'entrer dans ses terres et d'y séjourner, il leur a promis tacitement toute liberté et toute sûreté pour le retour. Il doit donc leur assigner un temps convenable pour ce retour avec leurs effets, et s'ils restent au delà du terme prescrit, il est en droit de les traiter en ennemis, toutefois en ennemis désarmés1.

On peut donc considérer comme la règle moderne du droit international que la propriété de l'ennemi trouvée sur le territoire de l'État belligérant, ou les créances dues à ses sujets par le gouvernement ou des individus au commencement des hostilités, ne sont pas susceptibles d'être confisquées comme prise de guerre. Cette règle est encore fortifiée par les stipulations des traités; mais à moins qu'elle ne soit ainsi corroborée, on ne peut pas la considérer comme une règle inflexible quoique établie. « Cette règle,» comme on l'a si bien fait observer, «comme tous les autres préceptes de morale, d'humanité, et même de sagesse, s'adresse au jugement du souverain. C'est un guide qu'il

1 VATTEL, Droit des gens, liv. II, chap. XVIII, § 344; liv. III, chap. iv, § 63; chap. v, § 73-77.

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