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CHAPITRE II.

DES NATIONS ET DES ÉTATS SOUVERAINS.

§ 1.

Définition

Les nations et les sociétés politiques, qu'on appelle des États, sont les personnes morales soumises au droit inter- de ceux qui

national.

Cicéron, et après lui les publicistes modernes ont défini un État en l'appelant un corps politique ou société d'hommes, unis ensemble pour assurer leur sûreté et avantage mutuels par leurs forces combinées 1.

Cette définition ne peut être considérée comme exacte qu'en la modifiant par les observations suivantes:

4o Il ne faut pas l'étendre aux corporations créées par un État, et qui n'existent que sous l'autorité de cet État, quel que soit d'ailleurs l'objet pour lequel les individus composant ces corps politiques se sont réunis ensemble.

C'est ainsi que cette grande association de négociants anglais, sanctionnée d'abord par la couronne et ensuite par le parlement britannique pour faire le commerce des Indes, ne saurait être assimilée à un État; car bien qu'elle exerce les pouvoirs souverains de la guerre et de la paix dans cette partie du monde sans le contrôle direct du gouverne

1

1 Respublica est cœtus multitudinis, juris consensu et utilitatis communione sociatus. (CICERO, de Republica, lib. 1, § 25.)

Potestas civilis est quæ civitati præest. Est autem civitas cœtus perfectus liberorum hominum juris fruendi et communis utilitatis causa sociatus. (GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. I, chap. I, § 14, n° 1.) — VATTEL, préliminaires, § 1 et liv. I, chap. I, § 4. BURLAMAQUI, Droit naturel, t. II, part. I, chap. IV.

sont soumis au droit international.

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§ 3.

Du droit international par rapport aux princes

ment anglais, elle a cependant toujours été subordonnée à l'autorité supérieure de ce gouvernement. Cette association ou compagnie des Indes représente le gouvernement anglais auprès des princes et des peuples indigènes de cette contrée, tandis que le gouvernement anglais luimême représente la compagnie auprès des autres souverains et des États étrangers.

2o On ne peut pas non plus donner le nom d'État à des associations volontaires de voleurs ou de pirates, bien que ces individus se soient réunis pour assurer leur sûreté et avantage mutuels 1.

3o Il faut aussi distinguer un État d'avec une horde nomade de sauvages qui ne constitue pas encore une société civile. L'idée légale d'un État implique nécessairement l'obéissance habituelle de ses membres à des personnes investies de l'autorité suprême, et une habitation fixe ainsi qu'un territoire défini appartenant au peuple qui l'habite. 4o Un État doit aussi dans de certains cas être distingué d'une nation, puisqu'il peut être composé de plusieurs races d'hommes différentes, soumises à la même autorité suprême, comme cela arrive, par exemple, dans l'empire d'Autriche et dans le royaume de Prusse. Il peut aussi arriver qu'une même nation soit soumise à divers États, comme la nation polonaise est soumise à la domination de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse.

Les princes souverains peuvent être soumis au droit international pour ce qui concerne leurs droits personnels, souverains. ou leurs droits de propriété dépendant de leurs relations personnelles avec des États étrangers ou avec les souverains et sujets de ces États. Ces relations donnent lieu à la branche de la science qui traite des droits des souverains sous ce rapport.

1 .... nec cœtus piratarum aut latronum civitas est, etiam si forte æqualitatem quandam inter se servent, sine qua nullus cœtus posset consistere. (GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. III, cap. 1, § 44, no 4.)

$ 4.

Du droit inter

rapport aux

ou aux cor

Les particuliers ou les corporations peuvent également être soumis au droit international pour ce qui regarde national par leurs droits personnels, ou de propriété, dépendant de particuliers leurs relations avec les États ou les souverains étrangers, porations. ou avec les citoyens ou sujets de ces États. Ces relations. donnent lieu à ce qu'on appelle le droit international privé, et plus particulièrement le conflit entre les lois des différents États.

Cependant l'objet propre du droit international est l'ensemble des relations directes qui existent entre les nations et entre les États.

Dans les pays soumis à un gouvernement absolu ou autocratique, la personne du prince s'identifie naturellement avec l'État lui-même: «l'État c'est moi.» De là est venue l'habitude des publicistes de se servir des termes de souverain et d'État comme de synonymes. On se sert également du terme de souverain dans un sens métaphorique, pour exprimer l'dée d'un État, quelle que soit d'ailleurs la forme de son gouvernement.

La souveraineté est le pouvoir suprême qui régit un État quelconque, soit monarchique, soit républicain, soit mixte. Ce pouvoir suprême peut être exercé ou à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire de l'État.

On se sert

de

des termes

souverain

et d'État comme de synonymes, c'est-à-dire

que le premier de ces termes est pris métaphoriquement pour le dernier.

§ 5.

De la sou

La souveraineté intérieure est celle qui appartient à la De la sounation, ou celle qui a été conférée par elle à son gouvernement d'après les lois fondamentales de l'État. C'est l'objet de ce qu'on appelle le droit public interne, ou plus proprement droit constitutionnel.

verainété intérieure.

veraineté extérieure.

La souveraineté extérieure est l'indépendance d'une De la sousociété politique à l'égard de toutes les autres sociétés politiques. C'est par l'exercice de cette souveraineté que les relations internationales d'une société politique sont maintenues en paix et en guerre avec les autres sociétés politiques. Le droit qui la règle a été appelé droit public externe, ou plus proprement droit international.

§ 6. Origine

de la souve

Les États étrangers peuvent faire dépendre leur reconnaissance d'un État nouveau et son admission dans la société générale des nations, de la constitution intérieure de cet État, de la forme de son gouvernement ou même du choix qu'il aura fait d'un chef. Mais quelle que soit la constitution intérieure de cet État, ou la forme de son gouvernement, ou la personne de son chef, et fût-il même livré à l'anarchie la plus complète par suite des contestations entre les différents partis politiques qui se disputent le gouvernement, l'État n'en subsiste pas moins de droit jusqu'à ce que sa souveraineté ait été complétement détruite par la dissolution complète de tout lien de société, ou par quelque autre cause qui mette fin à son existence.

La souveraineté d'un État commence à l'origine même raineté d'un de la société dont il est formé, ou quand il se sépare de la société dont il faisait précédemment partie 1.

État.

Ce principe s'applique également à la souveraineté intérieure et à la souveraineté extérieure d'un État. Il y a cependant une distinction importante à faire ici entre ces deux espèces de souveraineté. La souveraineté intérieure d'un État ne dépend pas de la reconnaissance de cet État par d'autres États; en d'autres termes, un État nouveau qui surgit dans le monde n'a pas besoin d'être reconnu par d'autres États pour jouir de sa souveraineté intérieure. L'existence de fait de l'État nouveau suffit seule pour légitimer l'exercice de sa souveraineté intérieure. C'est un État parce qu'il existe.

C'est ainsi que la souveraineté des États-Unis de l'Amérique du Nord existe depuis le 4 Juillet 1776, jour où ces États se sont déclarés libres, souverains et indépendants de la Grande-Bretagne. Aussi, par un arrêt de 1808, la cour suprême des États-Unis a-t-elle décidé que depuis ce moment les États qui composaient l'union fédérale

1 KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, § 25.

avaient pu exercer tous les droits de souveraineté quant à la législation intérieure, et que l'exercice de cette souveraineté était tout à fait indépendant de la reconnaissance par le roi d'Angleterre dans le traité de paix de 1782 1. La souveraineté extérieure, pour être pleine et entière, a, au contraire, besoin d'être reconnue par d'autres États. Tant que l'État nouveau n'entre en relation qu'avec ses propres citoyens et borne sa sphère d'activité aux limites de son propre territoire, il peut fort bien se passer de cette reconnaissance, mais s'il désire entrer dans cette grande société des nations, dont tous les membres reconnaissent entre eux des droits respectifs et des devoirs qu'ils sont tous tenus de remplir, il faut que l'État nouveau ait été reconnu par les États qui forment cette société, car ce n'est qu'à cette condition qu'il pourra prendre part aux avantages que cette société lui assure. Chaque État étranger est parfaitement libre de reconnaître, ou de ne reconnaître point, l'État nouveau, en prenant sur lui la responsabilité des suites que pourrait entraîner son refus de le reconnaître. Tant que l'État nouveau n'aura pas été reconnu par tous les autres États, il ne pourra réclamer l'exercice de sa souveraineté que dans ses relations avec les États qui l'auront reconnu.

L'identité d'un État consiste en ce qu'il a une origine ou commencement d'existence qui lui est propre, et en ce que cette origine ou commencement d'existence le distingue de tous les autres États. Un État est un corps changeant quant aux membres qui composent la société, mais quant à la société même, c'est le même corps dont l'existence est perpétuée par une succession constante de membres nouveaux. Cette existence continue tant qu'aucun changement fondamendal n'a été introduit dans l'État 2.

1 CRANCH'S Reports, vol. IV, p. 312.

HEFFTER, das

2 GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. II, chap. ix, §. 3. RUTHERFORTH'S Institutions, b. II, c. x, §. 12, 13. europäische Völkerrecht, § 24.

$7.

Identité d'un Etat.

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