Page images
PDF
EPUB

en résulte que le droit entre les nations n'a pas de sanction semblable à celle qui assure l'exécution du droit civil de chaque État par rapport aux membres qui le composent, et que par conséquent la seule sanction qui puisse être donnée au droit international n'est basée que sur la crainte de la part des nations de provoquer une hostilité générale en violant ce droit. Voilà pourquoi les États européens ont veillé avec le plus grand soin à ce que l'équilibre des puissances ne fût jamais troublé. Cette politique a servi de prétexte aux guerres les plus cruelles des temps modernes, dont quelques-unes prenaient vraiment leur origine dans les craintes réelles qu'éprouvaient les grandes puissances pour l'indépendance des États plus faibles, mais dont d'autres n'ont été faites que dans l'intérêt de telle ou telle puissance qui déguisait ainsi ses véritables motifs. Quand l'esprit de conquête d'un État a vraiment été menaçant pour la sécurité générale de l'Europe, cet esprit s'est trahi par des faits si ostensibles que les autres puissances ont été justifiées d'avoir eu recours aux armes. Tel fut le motif qui donna lieu aux alliances formées et aux guerres entreprises pour mettre des bornes à l'agrandissement de la maison d'Autriche et d'Espagne sous Charles-Quint et son fils Philippe II, et qui se terminèrent par la paix de Wetsphalie, dont les stipulations ont pendant si longtemps formé le droit public écrit de l'Europe. Les longues et violentes disputes qui avaient eu lieu pendant le seizième siècle entre les différentes sectes religieuses que la Réforme avait fait naître, s'étaient étendues par toute l'Europe. L'intérêt politique des peuples et l'ambition des princes donnèrent à ces luttes une ardeur nouvelle. Les grandes puissances catholiques et protestantes protégaient respectivement leurs coreligionnaires dans le sein même des États rivaux. L'Espagne et l'Autriche intervinrent plus d'une fois en faveur du parti catholique en Allemagne, en France et en Angleterre, tandis que les puissances

§ 4. Intervention lors des

révolution

française.

protestantes intercédaient pour leurs coreligionnaires persécutés en Allemagne, en France et dans les Pays-Bas. Ces interventions réciproques donnaient aux guerres et aux transactions du dix-septième siècle une couleur particulière. La conduite de la France dans ses guerres est surtout remarquable, car pendant que d'un côté Richelieu soutenait les protestants d'Allemagne afin d'affaiblir la puissance de la maison d'Autriche, il persécutait avec une inflexible rigueur les Français qui professaient la religion réformée.

L'équilibre des puissances établi par la paix de Westphalie fut de nouveau troublé par les projets ambitieux de Louis XIV, qui forcèrent les États protestants de l'Europe à s'unir avec la maison d'Autriche contre la France, et à prendre le parti de la révolution anglaise de 1688, tandis que Louis XIV soutenait les prétentions des Stuarts à la couronne d'Angleterre. Ces transactions nous fournissent des exemples d'intervention des États de l'Europe dans les affaires intérieures de leurs voisins, dans les cas où l'intérêt et la sécurité de la puissance intervenante ont été menacés par des événements arrivés dans ces États voisins. Mais ces exemples ne sauraient fournir aucune règle de conduite fixe, pouvant être appliquée dans des circonstances analogues 1.

Les mêmes remarques peuvent s'étendre aux événeguerres de la ments plus récents, mais non moins importants, qui prirent leur origine dans la révolution française. Les coalitions. successives formées par les grandes monarchies de l'Europe contre la France, après la révolution de 1789, ont été fondées sur les dangers que la révolution présentait pour l'ordre social de l'Europe par la propagation de ses principes, et en même temps pour l'équilibre des puissances par le développement de son ascendant militaire.

1 WHEATON, Histoire du droit des gens, t. I, p. 140 à 114.

Tel fut le principe d'intervention dans les affaires intérieures de la France, avoué par les cours alliées et par les publicistes qui soutenaient leur cause. La France, de son côté, réclamait comme un droit la non-intervention, en se fondant sur l'indépendance respective des nations. Les effets de ces coalitions eurent enfin pour résultat l'établissement d'une alliance permanente entre les quatre grandes puissances, la Grande-Bretagne, l'Autriche, la Prusse et la Russie, alliance à laquelle la France accéda en 1818 lors du congrès d'Aix-la-Chapelle. Selon les puissances qui avaient déjà pris part à l'alliance connue sous le nom de Sainte-Alliance, à savoir, la Russie, l'Autriche et la Prusse, cette nouvelle alliance avait pour but de former un système perpétuel d'intervention entre les différents États de l'Europe, afin de prévenir tout changement dans la forme intérieure de leurs gouvernements respectifs, lorsque ce changement serait considéré comme menaçant l'existence des institutions monarchiques qu'on avait établies sous les dynasties légitimes des maisons aujourd'hui régnantes. Ce droit général d'intervention a été quelquefois appliqué aux révolutions populaires, lorsque le changement dans la forme du gouvernement n'émanait pas de la concession volontaire du souverain régnant, ou n'avait pas été confirmé par sa sanction accordée dans des circonstances qui écartaient toute idée de violence exercée contre lui. Dans d'autres cas, les puissances alliées ont étendu le droit d'intervention à tout mouvement révolutionnaire qui pouvait être regardé comme mettant en danger, par des conséquences immédiates ou éloignées, l'ordre social de l'Europe en général ou la sécurité iudividuelle des États voisins.

Les événements qui suivirent le congrès d'Aix-la-Chapelle démontrent l'impuissance de tous les essais qui ont été faits pour établir un principe général et invariable en matière d'intervention. Il est en effet impossible de formuler sur ce sujet une règle absolue, et toute règle qui

[blocks in formation]

n'aura pas cette qualité, sera nécessairement vague et sujette à l'abus qu'en feront les passions humaines dans l'application pratique. Les mesures adoptées par l'Autriche, la Russie et la Prusse, aux congrès de Troppau et de Laybach, relativement à la révolution de Naples de 1820, furent regardées par le gouvernement anglais comme fondées sur des principes tendant à donner aux grandes puissances continentales de l'Europe un prétexte perpétuel d'intervention dans les affaires intérieures des différents États européens. Le gouvernement anglais ne voulait pas admettre ces mesures, non pas seulement par le motif que leur exécution, si elle avait lieu réciproquement, serait contraire aux lois fondamentales de la Grande-Bretagne, mais parce qu'il y aurait du danger à les admettre comme des principes autorisés par un système de droit international. Dans la dépêche circulaire adressée à cette occasion à tous ses agens diplomatiques, le cabinet anglais établit que bien qu'aucun gouvernement ne puisse être plus disposé que lui à maintenir le droit de tout État d'intervenir lorsque sa sécurité et ses intérêts essentiels sont menacés d'une manière sérieuse ou immédiate par les événements intérieurs d'un autre État, il n'en considère pas moins l'exercice de ce droit comme ne pouvant être justifié autrement que par la plus urgente nécessité et comme devant être réglé et limité par cette nécessité. Il déclare en outre qu'il n'admet point que ce droit doive recevoir une application générale et illimitée dans tous les cas de mouvements populaires, mais qu'il devra être réglé selon les exigences particulières de chaque cas qui se présente, et qu'il ne peut pas être appliqué, sous la forme d'une mesure de prudence, comme la base d'une alliance. Le gouvernement anglais regarde l'exercice de ce droit comme une exception aux principes généraux les plus essentiels, exception qui ne peut être admise que dans des circonstances spéciales; mais il pense qu'il est en même temps impossible,

sans courir les plus grands dangers, de définir les exceptions dont il vient d'être parlé et de les admettre dans la diplomatie ordinaire des États ou dans un système du droit des gens 1.

Le gouvernement anglais refusa également de s'associer aux mesures prises par le congrès de Vérone en 1822, mesures qui amenèrent finalement l'intervention armée de la France, sous la sanction de l'Autriche, de la Russie et de la Prusse, dans les affaires intérieures de l'Espagne, et qui eurent pour résultat le renversement de la constitution de 4842. Voici comment fut exprimé le refus du gouvernement anglais. Le gouvernement anglais désavoue pour lui-même et refuse aux autres puissances le droit de requérir d'un autre État indépendant un changement dans sa constitution intérieure avec menace d'une attaque hostile en cas de refus. La révolution d'Espagne n'entralnait pas, suivant le gouvernement anglais, un danger imminent pouvant justifier une intervention armée. L'alliance entre l'Angleterre et les autres grandes puissances de l'Europe avait pour but reconnu de libérer le continent de la domination militaire de la France; cette domination étant renversée, on devait donc s'en tenir à l'état de possession établi par les traités de paix sous la protection des différents membres de l'alliance. Ladite alliance n'avait pas pour but de former une union tendant au gouvernement de l'univers, ou à une surveillance perpétuelle sur les affaires intérieures des autres États. Le gouvernement anglais n'avait reçu aucune preuve d'une intention de la part de l'Espagne de faire une invasion sur le territoire. de la France, de séduire son armée ou de renverser ses institutions politiques, et tant que le combat et l'agitation ne dépassent pas les limites du territoire de l'Espagne, le

1 Dépêche circulaire de lord Castlereagh, secrétaire d'État pour les affaires étrangères, du 19 janvier 48214. (Annual Register, vol. LXII, pt. 1, p. 737.)

§ 6. Congrès de Vérone.

« PreviousContinue »