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les États-Unis y perdaient par le principe du traité entre les deux pays. En réalité les États-Unis étaient les perdants dans tous les sens de ce principe, car quand il était mis en œuvre en leur faveur, c'etait pour sauver les biens de leurs amis, et quand il était mis en œuvre contre eux, c'était pour leur enlever leurs propres marchandises; et ils continueraient à perdre tant que ce principe ne serait établi que partiellement. Quand ils l'auraient établi avec toutes les nations, ils seraient dans une condition égale, sans gain ni sans perte, mais ils seraient moins exposés aux recherches vexatoires. Les États-Unis s'efforçaient d'arriver à ce résultat, mais, comme cela dépendait de la volonté des autres nations, ils ne pouvaient l'obtenir que quand les autres seraient prêtes à y concourir 1.

Par le traité de 1794, entre les États-Unis et la GrandeBretagne, art. 17, il fut stipulé que les vaisseaux capturés comme soupçonnés d'avoir à bord des marchandises de l'ennemi, ou de la contrebande de guerre, seraient conduits dans le port le plus proche pour y être mis en jugement, et que la partie de la cargaison consistant en propriété de l'ennemi ou en contrebande à l'usage de l'ennemi serait condamnée de bonne prise, et que le vaisseau serait libre de continuer son voyage avec le reste de sa cargaison. Dans le traité de 1778, entre la France et les États-Unis, la règle vaisseaux libres, marchandises libres, avait été stipulée; et nous avons déjà vu que la France s'était plainte que ses biens étaient arrachés des vaisseaux américains, sans résistance de la part des États-Unis, accusés d'avoir par leur traité avec la Grande-Bretagne abandonné leurs engagements antécédents avec la France, en reconnaissant les principes de la neutralité armée.

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'Lettre de M. Jefferson à M. Genet, 24 juillet 1793. WAITE'S State papers, vol. I, p. 134. Voyez aussi Lettre du président Jefferson à M. R. R. Livingston, ministre américain à Paris, 9 sept. 1801. JEFFERSON'S Memoirs, vol. II. p. 489.

A ces plaintes il fut répondu par le gouvernement américain que quand le traité de 1778 fut conclu, la neutralité armée n'avait pas été formée, et par conséquent l'état de choses sur lequel opérait ce traité était réglé par le droit des gens préexistant, indépendamment des principes de la neutralité armée. Par ce droit les vaisseaux libres ne faisaient pas les marchandises libres, ni les vaisseaux ennemis les biens ennemis. La stipulation donc dans le traité de 1778 formait une exception à la règle générale, qui restait obligatoire dans tous les cas où elle n'avait pas été changée par le traité. Si le traité de 1794, entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, n'avait pas été conclu, ou s'il eût entièrement omis toute stipulation sur ce sujet, le droit du belligérant aurait encore existé. Le traité ne concédait pas un droit nouveau, mais adoucissait seulement l'exercice pratique d'un droit déjà reconnu existant. Le désir d'établir universellement le principe que les vaisseaux neutres font les biens neutres n'était senti par aucune nation plus vivement que par les États-Unis. C'était le point qu'ils avaient en vue et qu'ils poursuivraient par tous les moyens que leur dicterait leur jugement. Mais le désir d'établir un principe différait essentiellement de la supposition qu'il était déjà établi. Quelque désireuse que fût l'Amérique d'employer tous les moyens convenables tendant à obtenir la concession de ce principe par une ou par toutes les puissances maritimes de l'Europe, elle n'avait jamais conçu l'idée d'obtenir ce consentement par la force. Les États-Unis ne s'armeraient que pour défendre leurs propres droits: ni leur politique, ni leurs intérêts ne leur permettait de prendre les armes pour forcer l'abandon des droits des autres 1.

1 Lettre des envoyés américains à Paris, MM. Marshall, Pinkney et Geary, à M. de Talleyrand. 47 janv. 1798. WAITE'S State papers vol. IV, p. 38-47.

Le principe de vaisseaux libres, biens libres, avait été stipulé par le traité de 1785, art. 12, entre les États-Unis et la Prusse, sans la maxime corrélative de vaisseaux ennemis, marchandises ennemies. Par l'art. 12 de ce traité, il fut établi que « si l'une des parties contractantes s'engageait en guerre avec une autre puissance, les libres rapports, et le commerce des sujets ou citoyens de la partie restant neutre, avec les puissances belligérantes, ne seraient pas interrompus. Au contraire, dans ce cas comme en pleine paix, les vaisseaux de la partie neutre pourraient naviguer d'un port à l'autre et sur les côtes des parties belligérantes, les vaisseaux libres faisant les marchandises libres, d'autant plus que toutes les choses se trouvant à bord d'un vaisseau appartenant à la partie neutre seraient jugées libres, fussent-elles à un ennemi de l'autre partie. La même liberté s'étendrait aux personnes à bord d'un vaisseau libre, quoiqu'elles fussent ennemies de l'autre partie, à moins que ce ne fût des soldats au service réel de cet ennemi. »

Le traité ci-dessus était arrivé à son terme en 1796, une négociation fut commencée par les gouvernements américain et prussien pour le renouveler. Dans les instructions données par le premier de ces gouvernements à son plénipotentiaire, M. J. Q. Adams, il fut arrêté que le principe de vaisseaux libres, murchandises libres, reconnu dans l'art. 12, était le principe que les États-Unis avaient adopté dans tous leurs traités (excepté celui conclu avec la Grande-Bretagne), et qu'ils désiraient sincèrement voir devenir universel; mais ils avaient reconnu par expérience que les traités conclus pour cet objet étaient de peu d'utilité ou sans utilité, parce que le principe n'était pas universellement admis chez les nations maritimes. Il n'avait pas été observé à l'égard des États-Unis quand il devait opérer à leur bénéfice, et n'était requis que quand il était prouvé préjudiciable à leurs intérêts. Le plénipotentaire

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américain était donc chargé de proposer au cabinet prussien l'abandon de cet article dans le nouveau traité qu'il était autorisé à négocier 1.

Il fut de plus établi, dans l'instruction additionnelle explicative donnée par le gouvernement américain à son plénipotentiaire, que les plus vifs désirs que les États-Unis voulussent exprimer dans la première instruction, seraient de voir devenir universel le principe vaisseaux libres, marchandises libres. Ce principe les intéressait particulièrement, parce que leurs relations maritimes étaient bien plutôt mercantiles que guerrières; et l'on s'apercevait bien vite que l'abandon de ce principe résultait des mesures des puissances belligérantes, pendant la guerre alors existante, dans laquelle les États-Unis s'étaient aperçus que ni les obligations du prétendu droit des gens moderne, ni les stipulations solennelles des traités, n'en assuraient l'observation: on en avait fait au contraire le jouet des événements. En de pareilles circonstances il paraissait désirable au président d'éviter le renouvellement d'une obligation qui probablement serait mise en vigueur quand les intérêts des États-Unis en demanderaient la dissolution, et méprisée quand il devrait résulter pour eux quelque avantage de son observation. Il était possible que dans les négociations actuellement pendantes pour la paix, le principe de vaisseaux libres, marchandises libres, fût adopté par toutes les grandes puissances maritimes, auquel cas les États-Unis seraient des premiers parmi les autres puissances à y accéder et à le reconnaitre comme règle universelle. résultat de ces négociations serait probablement connu du plénipotentiaire américain avant le renouvellement du traité prussien, et il était chargé de conformer ses stipulations sur ce point au résultat de ces négociations. Mais si les négociations pour la paix étaient rompues et que la

Le

1 M. le secrétaire Pickering à M. John Quincy Adams, ministre des États-Unis à Berlin, 15 juillet 1797.

guerre continuât, et plus particulièrement si les États-Unis étaient forcés d'y prendre part, il serait alors extrêmement impolitique de confiner les exercices de leurs vaisseaux de guerre dans de plus étroites limites que ne le prescrit le droit des gens. Si, par exemple, la France, par ses attaques meurtrières au commerce américain, commençait à entamer la guerre, les malheureuses conséquences de toute autre limite deviendraient évidentes. Tout son commerce serait abrité par le pavillon neutre, tandis que le commerce américain serait en proie aux ravages de ses nombreux croiseurs 1.

En accusant réception de ces instructions, le plénipotentiaire américain discutait la nécessité du changement proposé à la stipulation contenue dans l'art. 12 du traité de 1785. Il exposait que le principe de permettre aux vaisseaux libres de protéger la propriété ennemie, avait toujours été favorisé des puissances maritimes qui n'avaient pas une grande marine, quoique dans toutes les guerres les stipulations sur ce point eussent été plus ou moins violées. Dans la guerre actuelle elles avaient encore été moins respectées que d'ordinaire, parce que la GrandeBretagne avait entrevu sur mer une puissance plus indépendante, et avait été moins disposée que jamais à accorder le principe; et parce que la France avait renié la plupart des idées reçues et établies sur le droit des gens, et s'était considérée comme libérée de toutes les obligations envers les autres États qui mettaient obstacle à son but présent ou aux intérêts du moment. Cependant, même pendant cette guerre, plusieurs décrets de la Convention française, rendus au moment où la force des engagements nationaux solonnels était sentie, avaient reconnu la promesse contenue dans le traité de 1778, entre les ÉtatsUnis et la France, et parfois cette promesse avait été

1 M. le secrétaire Pickering à M. John Quincy Adams, ministre des États-Unis à Berlin, 17 juillet 1797.

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