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$ 5. Propriété de l'ennemi; jusqu'à quel point elle est sujette à capture et å

L'application du même principe a aussi limité et restreint les opérations de la guerre contre le territoire et autre propriété de l'ennemi. Du moment où un État est en guerre avec un autre, il a, en principes généraux, le droit de saisir confiscation. toute la propriété de l'ennemi, de quelque espèce et en quelque lieu qu'elle soit, et d'approprier la propriété ainsi prise à son usage ou à celui de ceux qui s'en sont emparés. Par l'ancien droit des gens, même ce qu'on appelait res sacræ n'était pas exempt de capture et de confiscation. Cicéron a invoqué cette idée dans son langage métaphorique expressif, quand il dit dans son quatrième discours contre Verrès: «La victoire a rendu profanes toutes les choses sacrées des Syracusains. » Mais dans l'usage moderne des nations qui a maintenant acquis force de loi, les temples de la religion, les édifices publics affectés au service civil seulement, les monuments d'art, les dépôts de la science sont exemptés des opérations générales de la guerre. La propriété privée sur terre est aussi exempte de confiscation, à l'exception de celle qui peut se convertir en butin dans certains cas, quand elle est enlevée à l'ennemi dans les camps ou dans les villes assiégées, et à l'exception des contributions militaires levées sur les habitants d'un territoire ennemi. Cette exemption s'étend même au cas d'une conquête absolue et sans réserve du pays de l'ennemi. Dans les anciens temps la propriété tant mobilière qu'immobilière du vaincu passait au vainqueur. Tel était la loi romaine de la guerre souvent revendiquée avec une inflexible sévérité, et tel fut le sort des provinces romaines subjuguées par les barbares du Nord à la décadence et à la chute de l'empire d'Occident. Une large part, depuis un jusqu'à deux tiers des terres appartenant aux provinces vaincues, était confisquée et partagée entre les conquérants. Le dernier exemple en Europe d'une pareille conquête fut celle de l'Angleterre par Guillaume de Normandie. Depuis cette période, parmi

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les nations civilisées de la chrétienté, la conquête, même quand elle fut assurée par des traités de paix, ne fut jamais suivie d'une transmutation générale ou partielle de la propriété territoriale. La propriété appartenant au gouvernement de la nation vaincue passe à l'État vainqueur, qui prend aussi la place de l'ancien souverain à l'égard du domaine éminent. A tous autres égards les droits privés ne sont point affectés par la conquête 1.

Les exceptions à ces adoucissements généraux des droits excessifs de la guerre considérée comme une lutte de force, viennent toutes du même principe originel du droit naturel qui nous autorise à nous servir contre l'ennemi du degré de violence nécessaire seulement pour assurer l'objet des hostilités. La même règle générale qui détermine jusqu'à quel point il est légal de détruire la personne des ennemis, servira de guide pour juger jusqu'à quel point il est légal de ravager ou de laisser dévaster leur pays. Si ce moyen est nécessaire pour arriver au juste but de la guerre, il peut être employé légalement, mais non pour un autre objet. Ainsi si nous ne pouvons arrêter les progrès d'un ennemi, ni secourir nos frontières, ou si l'on ne peut approcher d'une ville qu'on veut attaquer sans dévaster le territoire intermédiaire, le cas extrême peut justifier le recours à des mesures que l'objet ordinaire de la guerre n'autorise pas. Si l'usage moderne a sanctionné d'autres exceptions, on les trouvera dans le droit de représailles ou rétorsion de fait. Le code international est en entier fondé sur la réciprocité. Les règles qu'il prescrit sont observées par une nation dans la confiance qu'elles le seront aussi par les autres. Lors donc que les usages etablis de la guerre sont violés par un ennemi, et qu'il n'y a pas d'autres moyens d'arrêter ses

1 VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. x, § 13. KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, pt. II, tit. II, sect. II, chap 1, § 250-253. MARTENS, Précis, etc., liv. VIII, chap. iv, § 279-282.

excès, la nation qui les souffre peut justement recourir aux représailles afin de forcer l'ennemi à revenir à l'observation des lois qu'il a violées 1.

La dernière guerre entre les États-Unis et la GrandeBretagne a été marquée par une série de mesures destructives de la part de cette dernière, dirigées contre des personnes et des propriétés jusque-là regardées comme exemptes des hostilités par l'usage général des nations civilisées. On essaya de justifier ces mesures comme étant des actes de réprésailles pour de semblables excès de la part des forces américaines sur les frontières du Canada, dans une lettre adressée à M. le secrétaire Monroe par l'amiral Cochrane, commandant les forces navales anglaises dans la station de l'Amérique septentrionale, datée à bord de son vaisseau - pavillon, dans la rivière de Patuxent, du 18 août 1814. Dans cette communication il était exposé que l'amiral anglais ayant été appelé par le gouverneur général du Canada pour l'aider à mettre à effet les mesures de représailles contre les habitants des États-Unis pour l'odieuse destruction commise par leur armée dans le haut Canada, il était devenu du devoir de l'amiral de donner aux forces navales qu'il commandait l'ordre de détruire et de dévaster toutes les villes et cantons sur la côte, qui seraient attaquables.

Dans la réponse du gouvernement américain à cette communication, datée de Washington, le 6 septembre 1844, il fut exposé que le gouvernement avait vu avec la plus grande surprise que ce système de dévastation pratiqué par les forces anglaises, et si manifestement contraire aux usages de la civilisation, fút établi sur le pied de réprésailles. Les États-Unis n'avaient pas plutôt été forcés de recourir à la guerre contre la Grande-Bretagne, qu'ils avaient

KLÜBER,

1 VATTEL, liv. III, chap. vIII, § 142; chap. 1x, § 166–173. MARTENS, Précis, etc., liv. VIII, chap. IV, § 272-280. pt. II, tit. II, sect. II, chap. 1, § 262-265.

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résolu de l'entreprendre d'une manière plus conforme aux principes d'humanité et des relations amicales qu'il était désirable de conserver entre les deux nations après le retour de la paix. Ils s'apercevaient cependant qu'un esprit juste et humain n'avait été ni nourri, ni mis en œuvre par le gouvernement anglais. Sans insister sur les déplorables cruautés commises par les sauvages indiens dans les rangs et à la solde des Anglais sur la rivière Raisin, cruautés qui n'avaient jamais été désavouées ni réparées, le gouvernement américain renvoyait, comme ayant plus particulièrement trait à la communication cidessus, à l'odieuse dévastation commise, en 1843, au Havre-de-Grâce et à Georgetown, dans la baie de Chesapeake. Ces villages furent brûlés et ravagés par les forces navales anglaises, jusqu'à la ruine de leurs habitants nonarmés, qui virent avec étonnement qu'ils ne recevaient des lois de la guerre aucune protection pour leurs propriétés. Pendant la même saison on vit des scènes d'invasion et de pillage conduites sous la même autorité, tout le long des côtes de Chesapeake, jusqu'au point de causer les désastres privés les plus sérieux, et avec des circonstances justifiant le soupçon que la vengeance et la cupidité, plutôt que le but honorable que devaient avoir les hostilités d'un ennemi magnanime, avaient présidé à leur exécution. La dernière destruction des maisons du gouvernement à Washington était un autre acte qui se présentait nécessairement sous les yeux. Dans les guerres de l'Europe moderne on ne pourrait citer aucun exemple de cette espèce, même parmi les nations le plus hostiles les unes aux autres. Dans le cours des dix dernières années les capitales des principales puissances du continent européen avaient été conquises et occupées alternativement par les armées victorieuses de chacune d'elles, et l'on n'avait vu aucun exemple d'une aussi odieuse et aussi inique dévastation. Il fallait se reporter aux siècles reculés

et barbares pour trouver un pendant aux actes dont se plaignait le gouvernement américain.

Quoique ces actes de désolation demandassent, s'ils ne l'imposaient pas, à ce gouvernement, la nécessité de représailles, néanmoins en aucune façon elles n'avaient été autorisées.

L'incendie du village de Newark, dans le Haut - Canada, postérieur aux premiers outrages ci-dessus énumérés, ne fut point exécuté sur le principe de représailles. Le village de Newark touchait au fort Saint-George, et la destruction en fut justifiée par les officiers qui l'ordonnèrent sous prétexte qu'elle était nécessaire aux opérations militaires du lieu. L'acte cependant fut désavoué par le gouvernement américain. L'incendie qui eut lieu à Long-Point ne fut pas autorisé par le gouvernement, et la conduite de l'officier fut soumise à l'examen d'un tribunal militaire. Quant à l'incendie de Saint-David commis par des vagabonds, l'officier qui commandait dans cette partie fut déposé sans jugement pour ne l'avoir pas empêché.

Le gouvernement américain exposait que ces faits étaient aussi peu compatibles avec les ordres qui avaient été donnés à ses commandants de terre et de mer, que l'humanité connue de la nation américaine l'était peu avec l'exécution du système adopté par les Anglais. Ce gouvernement se devait à lui-même et aux principes qu'il avait toujours regardés comme sacrés de désavouer, comme cela lui était justement imposé, une guerre aussi odieuse que cruelle et inique. Quelles qu'eussent été les irrégularités non-autorisées commises par ses troupes, il aurait été prêt, en agissant d'après les principes d'une obligation éternelle et sacrée, à les désavouer, et, en tant que cela eût été praticable, à les réparer. Mais dans le plan de guerre de désolation que la lettre de l'amiral Cochrane faisait connaître si clairement, et qu'il essayait d'excuser par une justification si complétement dénuée de fonde

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