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notre tâche ne sera pas moins laborieuse, car la législature est saisie de projets plus importants encore, s'il est possible. Nous voulons parler de ceux qui concernent les ventes mobilières, les ventes judiciaires de biens immeubles, et l'organisation définitive du Conseil d'Etat.

De ces trois projets, éminemment graves et déjà l'objet d'études sérieuses et de préparations véritablement utiles, le plus digne de notre attention est incontestablement celui qui s'applique à la saisie immobilière et aux autres ventes judiciaires de biens immeubles; il doit donc, dans ce recueil surtout, obtenir la priorité. Toutefois qu'on ne s'y trompe pas, notre intention n'est pas de donner ici à l'avance une espèce de commentaire anticipé de la matière, nous voulons seulement tenir nos lecteurs au courant de la discussion, en déterminer le caractère, et signaler les solutions principales, les innovations les plus saillantes qui sont à la veille de recevoir leur consécration définitive. Quant aux détails, ils trouveront naturellement leur place dans le travail plus étendu que nous préparons et que nous insérerons dans ce recueil dès que la loi sera promulguée. Plus de douze années se sont écoulées depuis que le gouver nement a donné la première impulsion aux travaux destinés à améliorer le régime des ventes judiciaires.

Le 22 mai 1827, une circulaire invitait les Cours du royaume à transmettre au département de la justice des observations motivées et développées sur les modifications que le titre des saisies immobilières serait susceptible de recevoir dans l'intérêt général des justiciables.

C'est que, déjà à cette époque, le regret de la loi du 11 brumaire an 7 se faisait sentir; c'est qu'on préférait sa simplicité, excessive peut-être, au luxe de formalités introduit par la loi qui lui avait succédé.

C'est que le décret du 2 février 1811, palliatif insuffisant, en imposant dans certains cas, pour remédier à l'abus des incidents, l'obligation au saisi de donner caution pour les frais, et en fixant un délai à la présentation des nullités postérieures à l'adjudication préparatoire, n'avait pas tari la source de récla→ mations qui allaient plus loin.

Les Cours royales rapprochées d'une application immédiate, et ayant eu d'ailleurs, quelques-unes du moins, l'heureuse pensée de s'éclairer des lumières des Tribunaux civils, furent toutes d'accord sur ce point fondamental, qu'il y avait quelque chose à faire. Plusieurs d'entre elles saisirent même cette occasion pour demander en outre que l'innovation s'étendît aux autres ventes de biens qui se font sous l'autorité de la justice; demande assurément logique, puisque la saisie immobilièrë est le type de toutes les ventes judiciaires.

De ces premiers matériaux est sorti, en 1829, un projet conçu

dans la pensée d'embrasser toutes les ventes d'immeubles qui se font en justice. Ce projet fut communiqué aux Cours royales, qui de nouveau transmirent leurs observations. Les Tribunaux de première instance, des professeurs de droit et d'autres jurisconsultes suivirent cet exemple (1).

Au milieu des événements politiques et des travaux parlementaires qui ont suspendu le cours de ces explorations, le gouvernement n'a pas perdu de vue la tâche commencée. Il a fait résumer et comparer les observations qu'il avait recueillies. Ce travail a été soumis à une commission formée, le 16 mars 1838, de membres empruntés aux deux Chambres, au Conseil d'Etat, à la magistrature et au barreau (2). Trente-huit séances ont été consacrées à la refonte d'un nouveau projet sur lequel, pour la troisième fois, la magistrature a donné són avis. Le projet soumis aux Chambres est le résultat modifié de ces longues et laborieuses épreuves; il a reçu d'ailleurs de notables améliorations dans le sein de la commission de la Chambre des pairs (3).

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Il faut rendre justice à ces études, à ces travaux préparatoires auxquels ont présidé en général des vues modératrices et progressives tout à la fois; le désir d'innover a été tempéré par une sage retenue et par la crainte de disloquer le Code de procédure, et de jeter une déplorable confusion dans la matière de l'expropriation forcée; l'édifice a été réparé, refait, mais les fondements et la charpente ont été maintenus cependant beaucoup d'excellents esprits ont regretté, et selon nous avec raison, qu'on eût commencé la réforme par la loi sur la saisie immobilière, au lieu de s'attacher d'abord, comme le voulait la logique, à la refonte complète du système hypothécaire. Le seul motif sérieux qui ait empêché de suivre cette marche paraît être celui-ci: on était prêt sur la matière de l'expropriation forcée, on ne l'était pas sur les modifications à apporter au régime hypothécaire consacré par le Code civil. C'est un malheur: il suit de là que la loi qu'on prépare n'aura qu'un caractère provisoire, et qu'elle rencontrera dans son exécution des obstacles, des embarras inhérents à la nature du système aujourd'hui en vigueur.

Quoi qu'il en soit, on s'est résigné à la chance de quelques inconvénients possibles, pour assurer au pays immédiatement les avantages attachés à la simplification des formes de la saisie

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(1) V. notamment l'examen critique du titre de la saisie immobilière inpar M. Chauveau-Adolphe, à la fin du t. 20 du Journal des Avoués. (2) V. J. A., t. 57, p. 389, les noms des membres de cette commission. (3) Il est bon de rappeler, en passant, qué le rapport si remarquable dé M. Pansit, que le Moniteur lui-même n'a pas inséré, se trouve en entier J. A., t. 58, p. 193 et 271.

immobilière. Et ici, il ne faut pas croire qu'on ait agi contre les vœux des officiers ministériels : ils ont toujours désiré les améliorations législatives dont on les menace, et ce qui le prouve, c'est que toutes les fois qu'ils ont pu éviter de s'engager dans la voie si lente, si hérissée de difficultés, si dispendieuse de l'expropriation forcée, ils l'ont fait; de là ces nombreuses demandes en conversion qui ont si souvent donné aux poursuites une allure plus rapide et moins coûteuse. Tout le monde sait qu'en province, une procédure en saisie immobilière était toujours regardée, à cause de la complication des formes et de la responsabilité immense que l'avoué assumait, comme un épouvantail : à Paris, il était très-rare qu'elles fussent menées à fin; presque toujours elles étaient converties en ventes sur publications. Qu'on n'essaye donc plus d'opposer l'intérêt particulier des avoués à l'intérêt général; ces officiers sont les premiers à applaudir aux changements de la législation quand ils sont inspirés par le désir du bien public et préparés avec intelligence et impartialité. Réservons nos reproches pour ces législateurs indifférents qui cessent de prendre part aux travaux des Chambres, quand un intérêt de parti ne les anime pas, et qui gardent toute leur sollicitude pour les discussions purement politiques : ils devraient savoir que le pays est plus préoccupé de la bonne solution des questions qui touchent aux modestes intérêts de la famille et de la propriété, que de toutes ces controverses creuses et subtiles sur le quoique et le parce que, et sur la trop célèbre théorie: le roi règne et ne gouverne pas.

Le projet de loi sur les ventes mobilières, qui peut être considéré comme définitif, se compose de dix articles.

Sous le premier article, qui traite de la saisie immobilière et de ses incidents, viennent se ranger les titres XII et XIII du livre V de la première partie du Code de procédure civile et le décret du 2 février 1811.

L'art. 2, qui a pour objet la surenchère sur aliénation volontaire, correspond au titre IV du livre Ior de la deuxième partie du Code de procédure civile.

L'art. 3, qui règle le mode de vente des biens immeubles, est mis en rapport avec le titre VI du livre II de la deuxième partie du même Code.

L'art. 4, concernant les partages et licitations, pourvoit également aux modifications apportées dans le titre VII du livre II de la deuxième partie du Code de procédure civile.

L'art. 5 reproduit les art. 987 et 988 du titre VIII du bénéfice d'inventaire, livre II, deuxième partie.

L'art. 6 règle le mode de vente des immeubles dotaux.

Les art. 7, 8, 9 et 10 sont des dispositions d'ordre, transitoires, ou destinées à féconder la ioi.

La distribution du Code de procédure a été ainsi observée de

manière à ce que les améliorations s'opèrent, sans déranger l'économie et l'ensemble de ce Code.

Les art. 673, 674, 675, 676, 677, 678, 679 et 680 ont été adoptés par la Chambre des députés presque sans discussion, et conformément à la rédaction de la commission, presque en tout point semblable à celle de la Chambre des pairs. (V. J. A., t. 59, p. 432 à 433.) Signalons cependant quelques amendements qu'il importe de connaître, quoiqu'il n'aient pas été accueillis.

Sur l'art. 673, M. Persil fils avait proposé un amendement dont l'objet était de déclarer que le commandement serait fait au domicile réel, et non au domicile élu. C'était déjà ce qu'avait voulu faire décider la commission de la Chambre des pairs, mais sans succès, malgré l'insistance de son rapporteur. L'amendement n'a pas mieux réussi à la Chambre des députés. Vainement M. Persil fils a-t-il insisté sur les dangers d'une signification à domicile élu, qui, le plus souvent, ne sera pas connue du débiteur, sur la possibilité que ce débiteur fût dépouillé sans s'en douter, parce que le mandataire aurait négligé de lui faire parvenir la copie qui lui était destinée; vainement a-t-il tiré argument de ce qui se pratique en matière de contrainte par corps, la Chambre, sur les observations en sens contraire de M. le garde des sceaux et de MM. Durand de Romorantin et Amilhau, a maintenu la disposition et décidé implicitement que le commandement pourrait être signifié, soit au domicile réel, soit au domicile élu.

L'art. 675 a provoqué une légère discussion relativement à la question de savoir si l'huissier relaterait dans son procèsverbal deux des tenants et aboutissants des propriétés rurales qu'il aurait saisies. Le Code l'exige, mais la commission avait supprimé cette disposition; M. Durand de Romorantin proposait de la maintenir. A l'appui de cet amendement, M. Maurat-Ballange faisait remarquer que l'indication des tenants et aboutissants était plus nécessaire quand il s'agit de propriétés rurales que lorsqu'il s'agit de maisons. Ordinairement, disait-il, elles se trouvent entourées d'autres héritages de même nature. Dire qu'on a saisi un pré, une vigne, une pièce de terre, ce n'est pas indiquer suffisamment l'objet saisi, car il faut encore le distinguer des autres objets de même nature qui l'environnent. On exige à la vérité la contenance approximative de l'objet saisi. Mais par qui est donnée cette contenance approximative? Par l'huissier, qui n'est pas un géomètre, qui ne peut pas l'apprécier; par un buissier qui commettra inévitablement des erreurs, qui peut-être donnera une contenance double de celle que l'objet a véritablement. Ainsi, vouloir renfermer les formalités de la loi dans ces simples indications, c'est évidemment s'exposer à tromper l'acquéreur; car il est impossible qu'il trouve

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dans le procès-verbal de quoi se fixer suffisamment sur l'objet qu'il veut acquérir.

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Ces réflexions n'étaient pas dénuées de force, mais elles n'ont pas été accueillies, d'abord parce qu'il est assez difficile à l'huissier d'arriver à connaître les tenants exacts des petites pièces de terre qu'il saisit, et que l'omission de cette formalité, si elle était maintenue, emporterait nullité; et ensuite parce que les indications exigées par la loi paraissent suffisantes pour constater l'identité de la pièce saisie. Il y a d'ailleurs plus d'inconvénients que d'avantages à multiplier les précautions sans né

cessité.

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L'art. 681 a provoqué des critiques et des observations qui ont amené un changement de rédaction qu'il faut expliquer. Sa disposition, du reste, diffère notablement de celle du Code de procédure, qu'elle est destinée à remplacer.

D'après le projet de la commission, le saisi devait rester en possession jusqu'à la vente, comme sequestre judiciaire, lorsque les immeubles saisis n'étaient ni loués ni affermés, à moins qu'il n'en fût autrement ordonné par le président du Tribun al sur la demande d'un ou plusieurs créanciers.

L'article ajoutait : « Les créanciers pourront néanmoins, après y avoir été autorisés par ordonnance du président, rendue sur simple requéte, faire faire la coupe et la vente, en tout ou en partie, des fruits pendants par les racines. Les ordonnances du président relatives à la nomination du séquestre ou à la coupe des fruits ne seront pas susceptibles d'opposition; elles seront exécutoires nonobstant appel. Dans le mois qui suivra la récolte, les fruits seront vendus par le ministère d'officiers publics, ou de toute autre manière autorisée par le président du Tribunal, et le prix déposé à la caisse des dépôts et consignations. >>

M. Boudet s'est élevé d'abord contre le paragraphe de l'article qui autorisait le président à nommer un sequestre ou à ordonner la vente ou la coupe des fruits, par ordonnance sur simple requête et sans contradiction; il désirait que la décision à intervenir, vu son importance, fût rendue en état de référé.

M. le garde des sceaux et M. le rapporteur combattirent cet amendement, et insistèrent sur la nécessité d'éviter autant que possible les incidents, les procès, et firent partager leur opinion à la Chambre; mais, après ce vote, l'article ayant été renvoyé à la commission, M. de Belleyme essaya le lendemain de faire revenir la Chambre sur sa décision, et il y parvint, en expliquant à ses collègues ce que c'était qu'une ordonnance sur requête, et en leur démontrant qu'avec une semblable ordonnance, déquée de toute force exécutoire, et ne constituant même pas une décision judiciaire, il serait impossible d'éviter une ordonnance sur référé. Son argumentation, fortifiée par son expérience per

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