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étoit communiquée, et il avoit lui-même des relations particulières avec des agens de notre Gouvernement en Pologne. Mais, il faut l'avouer, s'il puisoit dans cette source des documens précieux pour la connoissance des faits en général, il devoit y puiser aussi les préventions, les fausses interprétations, les erreurs même attachées aux intérêts particuliers qui dirigeoient la politique du cabinet de Versailles, et au rôle que la France avoit pris dans les affaires de la Pologne. Le système du ministère français étoit de contre-balancer l'ascendant que la Russie usurpoit sur la Pologne, et qu'elle vouloit conserver, en maintenant la forme anarchique du gouvernement de ce royaume. Son plan étoit d'exciter et de fortifier dans la noblesse polonoise un parti d'opposition contre la Russie. Elle réussit en effet à former la confédération de Bar, la plus imposante qu'il y ait eue en Pologne. Rulhière étoit pensionné pour écrire l'Histoire de la Pologne dans l'esprit du système français : dans cette vue, il s'est attaché à peindre de couleurs odieuses et le caractère et la politique de Catherine II, en même temps qu'il s'efforce de relever l'esprit et les mesures de la confédération polonoise, et de représenter ses chefs comme des héros de patriotisme et de courage.

Une histoire écrite dans une semblable disposition mérite-` roit sans doute peu de confiance, si un reproche si grave n'étoit pas affoibli par d'autres considérations. En servant le système politique de la France, Rulhière defendoit la meilleure cause.

Avide de gloire littéraire plus encore que de fortune, son premier intérêt étoit de faire un ouvrage qui méritât le suffrage des hommes éclairés ; et son habileté consistoit à présenter la politique de la France sous un jour favorable, sans altérer ouvertement la vérité des faits. En comparant le récit de

Rulhière avec d'autres écrits historiques sur la même époque, ce ne sont pas des infidélités volontaires dans les faits qu'on trouve à lui reprocher. S'il blesse ou altère la vérité, c'est plutôt dans les peintures outrées de la foiblesse, de la misère et des vices des Russes, dans le portrait satirique et évidemment partial qu'il trace de Catherine II et de Stanislas Poniatowsky, enfin dans les éloges exagérés qu'il prodigue aux chefs de la confédération polonoise.

On voit que cet écrivain avoit pris pour modèle Thucydide et Salluste. Il imitoit le premier dans les harangues, et le second dans les portraits. Les morceaux de ce genre sont ce qu'il y a de plus brillant dans l'ouvrage de Rulhière; mais, quoiqu'ils y soient habilement enchâssés, ils ralentissent souvent la narration; et, quoique écrits avec beaucoup d'esprit et de talent, la recherche et le travail s'y font trop sentir.

L'ouvrage est composé avec beaucoup d'art; mais cet art n'est sensible qu'à ceux qui ont réfléchi sur ce genre de composition. Le récit est varié dans ses formes et dans ses mouvemens; il est animé par des réflexions ingénieuses, par des portraits tracés avec finesse ou avec énergie; le style, toujours correct et soigné, en général même trop soigné, a souvent de l'éclat, et s'élève quelquefois au ton de l'éloquence dans les discours que l'auteur fait prononcer à quelques personnages.

Enfin, malgré le défaut d'impartialité, défaut le plus grave qu'on puisse reprocher à un historien, malgré des erreurs et des inexactitudes dans quelques faits, l'Histoire de l'anarchie de Pologne est, sans contredit, un des meilleurs ouvrages d'histoire qui existent dans notre langue.

L'Histoire des républiques italiennes du moyen âge, par M. Simonde Sismondi, a paru mériter une attention particulière. Le sujet en est important. L'exécution demandoit de

Ilistoire des Républiques

Italiennes du yen age.

grandes recherches et un travail long et pénible; l'auteur n'a trouvé que peu de secours dans les ouvrages français, et a été obligé de puiser une grande partie de ses matériaux dans des sources étrangères.

Ce n'est point l'histoire générale de l'Italie que M. Sismondi a voulu composer, mais celle des républiques qui existoient ou qui se sont formées en Italie, depuis l'époque où a fini l'empire d'Occident en 476, jusqu'à la destruction de la république de Florence en 1530, lorsque les Médicis se sont emparés du gouvernement. C'est une époque de onze cents ans de ténèbres et de barbarie.

Presque tout est obscur dans cette période de temps. La multiplicité et le peu d'étendue des États dont on écrit l'histoire, et dont il reste à peine des traces dans la mémoire des hommes; des noms barbares, sans éclat, et même entièrement oubliés ; la rapidité des révolutions qui se succèdent; tout cela contribue à un défaut de clarté qui nuit souvent à l'intérêt de la narration.

On a peine à suivre le fil de tant de faits, dont l'enchaîne. ment est trop difficile à bien démêler, et qui ne tiennent plus ni à l'histoire qui les a précédés, ni à celle qui les a suivis.

L'auteur ne s'est pas toujours élevé au-dessus des difficultés; mais il les a vaincues souvent, et a su répandre, sur un sujet si ingrat et sur des objets si compliqués, plus de-lumière et d'intérêt que l'on n'avoit droit de l'attendre.

Sa narration n'offre pas une simple succession de faits dans leur ordre chronologique; il sait les fondre ensemble, les grouper et les ordonner de manière à en composer des tableaux dont les parties s'éclairent et se font valoir l'une par l'autre.

Les réflexions générales et les vues politiques dont l'auteur enrichit le récit des faits, prouvent un esprit éclairé et versé

dans l'étude de l'histoire. Toutes les parties de cet ouvrage ne
sont pas
traitées avec le même soin, ou du moins avec le même
succès. Le précis du règne de Charlemagne, les querelles du sa-
cerdoce avec l'empire, les guerres des Guelfes et des Gibelins,
les troubles des républiques de Pise et de Florence, et sur-tout
l'origine, les progrès et les variations successives du gouverne-
ment de Venise, sont les parties où l'auteur a appliqué le plus
heureusement son talent.

Le chapitre des Considérations sur le x111e siècle contient des vues très-approfondies sur l'état de la noblesse et sur l'influence de la propriété dans le gouvernement. Une discussion sur les différentes classes des personnes dans ces siècles barbares, jette des lumières sur cette question, qu'on a si souvent cherché à éclaircir et qui est demeurée toujours obscure.

L'auteur s'est imposé une tâche difficile et importante, celle de fondre, dans l'exposé des événemens, le tableau de l'état et des progrès des mœurs, des sciences et des arts; mais cette partie de l'ouvrage y prend une forme de discussion littéraire qui s'écarte du véritable ton de l'histoire.

Le style n'a pas un caractère bien décidé : il est en général noble, ferme et animé ; il s'élève souvent lorsque le sujet le comporte; mais il est inégal, peu varié dans le ton et dans les formes, et l'on y rencontre beaucoup d'expressions et de locutions inélégantes, et même quelques termes qui n'appartiennent pas à la langue.

Ces défauts, et la considération qu'il n'avoit paru, à l'époque du concours, que quatre volumes de cet ouvrage, ne permettent pas de le proposer pour le Prix. Il a paru depuis quatre nouveaux volumes, où l'on trouve le même genre de mérite et de défauts que dans les premiers.

M. Gaillard, connu dès long-temps par une bonne Histoire

Histoire de

la rivalité de la France et de

de François Ier, et par une Histoire de la rivalité de la 'Espagne. France et de l'Angleterre, meilleure encore, a publié, depuis l'ouverture du concours, l'Histoire de la rivalité de la France et de l'Espagne. L'auteur, octogénaire et infirme, avoit perdu quelque chose de la force de son esprit et de son talent; il n'a pas traité ce sujet avec la vigueur qu'auroit exigée le plan qu'il avoit conçu. La narration en est assez animée, quoique le style manque souvent de couleur, de concision et de variété. On retrouve cependant tout le talent et le bon esprit de cet écrivain dans l'excellente introduction de cette histoire, ainsi que dans d'autres parties, où il éclaircit plusieurs points intéressans de l'histoire de l'Espagne. Tel est le tableau des maisons d'Anjou et d'Arragon; tel est encore le portrait de ce personnage si historique et si héroïque, Charles d'Anjou, frère

Histoire do

le XVIIIe siècle.

de Louis IX.

Sans doute cette histoire, considérée dans la composition et dans le style, est d'une exécution trop foible et trop négligée pour mériter le Prix décennal; mais l'importance du sujet, l'exactitude des recherches, la fidélité du récit, et l'amour vrai de la vérité et de l'humanité, qui s'y fait partout sentir, méritoient de la part du Public plus d'attention que n'en a obtenu cet utile ouvrage.

L'Histoire de France pendant le XVIIIe siècle, par M. LaFrance pendant cretelle le jeune, mérite une distinction particulière: c'est le tableau le plus complet des événemens publics où la France s'est trouvée intéressée pendant la première moitié du XVIIIe siècle; car là s'arrêtent les deux premiers volumes qu'a publiés M. Lacretelle dans l'époque du concours. Les faits y sont présentés avec exactitude; la narration est claire et rapide; le style est généralement facile et correct; enfin l'ouvrage offre une instruction suffisante, présentée sous une forme agréable

et

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