Page images
PDF
EPUB

Ouvrages analysés dans les Comptes rendus du présent numéro

G.-M. de FRUGES. Olier, 1608-1657 (A. Cans).......

U.-V. CHATELAIN. Le surintendant Nicolas Foucquet, protecteur des lettres, des arts et des sciences (A. Uhry)..........

J. SOTTAS. Une escadre française aux Indes en 1690 (P. Kæppelin).

Ch. PORÉE. La formation du département de l'Yonne en 1790 (P.-R. Mau-
touchet)..

Histoire socialiste, t. V: G. DEVILLE, Thermidor et Directoire (Ph. Sagnac).
J. de LA FAYE. La princesse Charlotte de Rohan et le duc d'Enghien (P. Muret).
G. GALLAVRESI. Il diritto elettorale politico secondo la Costituzione della
Repubblica Cisalpina (P. Hazard).

Mémoires du comte de Rambuteau (P. Caron)...

Pages.

140

141

151

154

158

161

162

164

A. de NESSELRODE. Lettres et papiers du chancelier comte de Nesselrode, t. Ier, II, III (J.-E. Driault).

165

Sommaire des Notes et Nouvelles :

Académie des Sciences morales et politiques..

181

Rectification à la note sur la continuation de l'Histoire de France d'E. Lavisse.

181

[blocks in formation]

État des publications de la Société d'histoire de France.

182

Société d'histoire moderne.....

183

Cours d'histoire moderne et contemporaine à l'Université de Paris.
Apparition d'une Revue Henri IV..........

H. BOURGIN. L'industrie de la boucherie à Paris au XIXe siècle.

A. MATHIEZ. La question sociale pendant la Révolution..

E. BIRÉ. Les dernières années de Chateaubriand (1830-1848).

Gal VANSON. Crimée, Italie. Mexique. Lettres de campagnes (1854-1867)...
Traduction allemande d'un article de M. Ch. Schmidt sur le grand-duché de
Berg en 1810...

183

184

185

185

185

185

186

Les auteurs sont seuls responsables
des opinions émises dans leurs articles

CAMP NDGE

*

ASS

Coup d'œil critique sur l'histoire religieuse
de la Révolution française

L'histoire religieuse de la Révolution française est encore très loin d'être aussi avancée que son histoire politique et de répondre à nos modernes exigences scientifiques. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été écrite bien des fois, dans l'ensemble comme dans le détail; mais, de toute la littérature très abondante qui lui a été consacrée, assez peu de chose mérite d'être retenu au regard de la critique, tant l'esprit de parti a contribué ici à fausser les méthodes et à obscurcir les jugements 1.

Comme il était naturel après la grande réaction dont le Concordat a été en France le signal et la cause, ce sont les écrivains catholiques qui se sont les premiers tournés vers l'étude religieuse de la mémorable époque. Longtemps leurs opinions ont régné sans partage et je crains bien qu'à l'étranger elles ne soient encore généralement admises 2. Ils se sont attachés, avant tout et presque exclusivement, à l'histoire du clergé réfractaire, qui avait toutes leurs sympathies. Ils ont dépeint les épreuves, les souffrances, les persécutions de toute nature dont furent victimes les prêtres restés fidèles à Rome pendant ces années terribles. Toute une volumineuse littérature hagiographique a pris naissance depuis que le cardinal Richard a institué, le 14 mars 1901, un tribunal ecclésiastique, avec mission de procéder aux informations canoniques en vue de la béatification et canonisation des prêtres victimes des massacres de septembre 3. Il n'est question dans ces livres que de massacres, de dépor

Le

1. La plupart des ouvrages d'ensemble sont l'œuvre de catholiques: Abbé Barruel, Histoire du clergé de France pendant la Révolution, 1794 et 1801; Abbé Jaeger, Histoire de l'Église de France pendant la Révolution, 1852; Guettée, Histoire de l'Église de France..., 1857. livre de M. Edm. de Pressensé, L'Église et la Révolution française (1TM édit., 1864; 3° édit., 1890), donne le point de vue confessionnel protestant.

2. A l'exception cependant des États-Unis, où la jeune et vivante école historique prouve par ses comptes rendus qu'elle est au courant de l'état des questions Cf. entre autres, sous la signature G. Dutcher, l'excellente critique du livre de M. Biré, Le clergé de France pendant la Révolution, dans American historical Review d'avril 1902, p. 565.

3. Il me suffira de citer comme exemple de cette littérature hagiographique le livre de M. Ch. Dementhon, Une victime des Septembriseurs, l'abbé J.-B. Bottex, Lyon, 1903.

Revue d'histoire moderne et contemporaine. — VII.

8

tations, d'emprisonnements, d'exécutions. A les lire, on emporte l'impression que la Révolution française ne fut qu'une sorte de saturnale impie, qu'un accès de rage homicide contre la religion et contre ses ministres, qu'une œuvre démoniaque, comme ils disent. Beaucoup ne craignent pas de rééditer, même de nos jours, la thèse fameuse de l'abbé Barruel, d'après laquelle la Révolution s'expliquerait entièrement par l'action occulte et souveraine de la franc-maçonnerie 1.

Comme ils se proposaient essentiellement un but apologétique, comme ils voulaient rendre aux martyrs de leur cause un pieux hommage, les écrivains catholiques ont volontiers ignoré ou négligé les documents qui auraient pu jeter sur leur tableau une ombre fâcheuse. Ils ne disent rien ou presque rien de la participation, si efficace pourtant, du clergé réfractaire à l'insurrection vendéenne, à la chouannerie, à toutes les jacqueries qui assaillirent la Révolution 2. Ils passent presque sous silence les profondes divisions qui opposèrent si souvent les réfractaires les uns aux autres et qui allèrent parfois jusqu'au schisme 3. On ne se doute guère à parcourir la plupart de leurs ouvrages qu'une bonne partie des réfractaires, à la suite de l'abbé Émery, supérieur de Saint-Sulpice, consentirent à reconnaître la République, que ces réfractaires soumissionnaires prêtèrent ce même serment d'obéissance à l'autorité civile qu'ils avaient pourtant reproché comme un crime aux prêtres constitutionnels 4. Les longues hésitations du pape à condamner formellement la Constitution civile sont laissées par eux à l'arrière-plan. Ils n'ont pas eu jusqu'ici la curiosité de se demander si les hésitations pontificales ne s'expliqueraient pas par hasard par des préoccupations plus temporelles que spirituelles, par les graves soucis que donnaient au Saint-Siège les affaires d'Avignon et du Comtat-Venaissin 5. Une notable partie de leur production a été inspirée par des considérations toutes d'actualité. C'est ainsi qu'il vient de paraître sur le Concordat une foule de livres de circonstance, où l'histoire est accommodée aux besoins de parti. Je ne veux en citer qu'un,

1. Cf. dans la Revue d'histoire moderne, t. VI, p. 192 sqq., le compte rendu du livre de l'abbé Joachim Gaubin.

2. C'est particulièrement à Célestin Port, l'historien « bleu » de l'Anjou, que revient l'honneur d'avoir mis le fait en lumière dans sa Vendée angevine (1888), et dans sa Légende de Cathelineau (1893).

3. Sur ces divisions, voir La Révolution française des 15 juillet et 15 août 1900; voir aussi les consultations du vicaire général réfractaire J. Meilloc sur les différents serments exigés des prêtres par la Révolution, publiées par M. Uzureau sous ce titre Les serments pendant la Révolution, 1904.

4. Consulter l'instructive Histoire de M. Emery par M. Méric, 5o édition, 1895.

5. Ni M. Masson dans son Bernis (1884), ni M. Sciout dans son Histoire de la Constitution civile du clergé (1891) ne paraissent se douter de l'importance de la question.

mais de taille, le Concordat du cardinal Mathieu, dissertation bien pauvre, qui a été cependant célébrée presque comme un chef-d'œuvre et qui méritait d'être couronnée par l'Académie française. Je donnerais largement cet écrit et tous ses pareils pour les quelques recueils de documents qui paraissent de temps en temps, par exemple pour les Premières applications du Concordat dans le diocèse d'Angers de M. l'abbé Uzureau 2.

Est-ce à dire que tout soit à rejeter dans la production des écrivains catholiques? Cette conclusion, qui est très loin de ma pensée, serait très injuste. Sans doute, le dessein d'édification, qui les anime, enlève à leurs études originales une bonne part de leur valeur scientifique, mais les dissertations et les commentaires mis de côté, il reste les nombreux et importants documents qu'ils ont exhumés des archives publiques et privées. A défaut de l'histoire, ils ont donné des matériaux pour l'histoire et des matériaux qui sont souvent de premier choix. Pour eux, en effet, se sont entr'ouvertes les archives du Vatican. Ils n'ont pas toujours pu y puiser à pleines mains et ils y auraient peut-être regardé à deux fois, mais ils en ont tiré suffisamment de textes pour éclairer la politique du Saint-Siège à l'égard de la France révolutionnaire. La publication du P. Theiner 3 ouvrit la voie, mais ce n'est que dans ces derniers temps qu'ont paru les recueils les plus importants, parmi lesquels je veux citer en première ligne le monumental recueil de M. Boulay (de la Meurthe) renfermant les documents sur la négociation du Concordat, chef-d'œuvre d'érudition sagace et patiente 4.

Les si nombreuses histoires de la « persécution révolutionnaire » dans les départements nous donnent plus d'un document utile à connaître, depuis la déjà vieille histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs de M. Sauzay 5, le modèle du genre, jusqu'au livre plus récent de l'abbé Delarc sur L'Église de Paris pendant la Révo

lution 6.

J. Plon, 1903.

2. Angers, Siraudeau, 1901.

3. A. Theiner, Documents inédits relatifs anx affaires religieuses en France (1799-1800), Paris, 1857, 2 vol.

4. Paris, Leroux, 1896, 5 vol. inédits du cardinal Maury, Paris, 1891. 5. Parue à partir de 1861. 10 vol.

Cf. aussi Ricard, Correspondance diplomatique et papiers

6. 1898-99. Le livre de l'abbé Delarc a été complété récemment par M. Grente, Le culte catholique à Paris de la Terreur au Concordat (1903). Parmi les plus récentes histoires de la persécution révolutionnaire: Abbés Baugey, Muguet et Chaumont, La persécution religieuse en Saône-et-Loire, 1898-1903; Abbé Eugène Martin, La persécution et l'anarchie religieuse en Lorraine, 1903; Abbé Laugier, Le schisme constitutionnel et la persécution religieuse dans le Var, 1898; S. Lahache, La persécution révolutionnaire dans les Vosges, 1899.

La plupart des études importantes parues depuis dix ans ont eu pour point de départ des découvertes d'archives. La publication par l'abbé Bridier en 1892 des Mémoires de l'Internonce, Mgr de Salamon, a provoqué toute une série de recherches, dont quelques-unes furent fructueuses. Intrigué par un passage de ces Mémoires, où Salamon affirme qu'il fut chargé de négocier un Concordat avec le Directoire en 1796, M. Léon Séché consacra deux volumes aux rapports de la France et de Rome sous le Directoire. S'il ne parvint pas à trancher définitivement la question. des Origines du Concordat 1, il versa néanmoins au dossier quelques pièces de valeur, notamment la correspondance diplomatique du chevalier d'Azara, ambassadeur d'Espagne à Rome, et celle de Cacault, notre agent en Italie. M. Séché avait cru pouvoir conclure à l'existence réelle d'un projet de Concordat entre le pape et le Directoire en 1796; reprenant la question à son tour, M. le vicomte de Richemont interrogea, pour la résoudre, les archives du Vatican. Il y découvrit d'abord la Correspondance secrète de l'abbé de Salamon 2, malheureusement incomplète, mais qui, réduite aux seules années 1790-1792, éclaire d'un jour souvent nouveau les débuts de la rupture entre la France et Rome, au moment de la Constitution civile du clergé. Puis il mit la main sur le portefeuille du cardinal Caleppi, le négociateur du traité de Tolentino, et, à l'aide de ces précieuses notes intimes écrites au jour le jour, il exposa, dans un article très important du Correspondant, l'histoire des négociations entre le pape et le Directoire pendant les années 1796 et 1797 3. Contre les Mémoires de Salamon et contre M. Séché, il crut pouvoir conclure qu'il n'avait jamais été question alors de projet de Concordat 4.

Des archives du Vatican sont tirés également les éléments des articles que le P. Rinieri fit paraître en 1900 dans la Civilta Cattolica sur les négociations du Concordat. Sur quelques points importants, ces articles complètent le grand recueil de M. Boulay (de la Meurthe) et montrent bien dans quel esprit le pape se rapprocha de la France de la Révolution 5.

i. C'est le titre de son livre, 1894.

2. Parue en 1898.

3. Correspondant du 10 sept. 1897.

4. M. le vicomte de Richemont et M. L. Séché auraient sans doute été amenés à modifier réciproquement leurs conclusions, s'ils avaient eu connaissance de la correspondance inédite de Grégoire. Le 18 thermidor an IV, le ministre des Affaires étrangères écrivait ce billet à l'évêque de Blois : « Le ministre des relations extérieures prie instamment [souligné dans le texte] le citoyen Grégoire de lui donner la notice des bulles dont il lui a cité des passages. » Le reste de la correspondance prouve que le clergé constitutionnel s'attendait alors à une réconciliation avec Rome comme toute proche.

5. Les études du P. Rinieri ont été réunies en volume et traduites en français par l'abbé Verdier, La diplomatie pontificale au XIX siècle, le Concordat entre Pie VII et le Premier Consul, Paris, 1903.

« PreviousContinue »