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gages du traité solennel qui ne reçoit et ne recevra peut-être pas son entière exécution 1. »

Le projet de loi du Gouvernement, cotamenté par les discours de Lainé à la Chambre des députés, avait déplu à la Cour de Rome. Dans une note du 3 février 1818, le Pape se plaignait que le Concordat fùt soumis aux Chambres. L'article 1er: « Le Roi seul nomme en vertu d'un droit inhérent à la Couronne », énonçait, à ses yeux, un principe contraire aux traités; la nomination aux évêchés avait été, en 1516, une concession du Pape; et, dans le Concordat de 1801, il n'avait pu en être autrement, suivant lui, puisque, d'après ce traité, si le chef de l'État n'était pas catholique, une autre convention devait être conclue. L'opinion, émise par Lainé, que le Pape donne l'institution canonique au nom de l'Église, excitait aussi les critiques de Rome; ce n'est pas au nom de l'Église, mais comme chef de l'Église et de lui-même qu'il institue les évêques. De même, les termes de « souverain étranger », employés pour désigner le chef de l'Église catholique et non le souverain de l'État romain. L'article 3 du Concordat de 1817 avait abrogé les articles organiques; toutefois, dit la Cour de Rome, on cherche en vain, dans le projet de loi, les effets de cette abrogation, et on s'aperçoit avec le plus grand étonnement qu'il n'en est nullement fait mention ». Bien plus, on applique aux ecclésiastiques, par l'article 9 du projet, le Code criminel dans toute sa rigueur 2.

Le Gouvernement répondit à la note du cardinal secrétaire d'État. Les termes de « droit inhérent à la Couronne », d'institution « au nom de l'Eglise », de « souverain étranger », il les supprimera. Mais s'il abandonne certains termes, il maintient le fond des choses. Il rappelle que le Concordat a dû être communiqué comme traité et que, pour le mettre en harmonie avec les lois du royaume et les libertés de l'Église gallicane, un projet de loi a dû être présenté à la Chambre des députés. « Toutes les classes ont tellement à cœur en France les libertés de l'Église gallicane qu'il eût été fort imprudent de n'en pas parler. C'est précisément parce que le Souverain Pontife se plaignait de la manière dont les lois organiques avaient été faites et publiées concurremment avec le Concordat, comme si elles ne formaient avec lui qu'un seul et même acte, qu'il a paru cette année fort utile de discerner le Concordat comme traité d'avec les lois destinées à son exécution 3. » C'était le moyen de

1. Lettre du 11 mars.

2. Note de la Cour de Rome (3 février 1818). Rome, Corresp., t. 951, f. 8.

3. Réponse du Gouvernement à la note du 3 février. Ibid., f. 43.

Revue d'histoire moderne et contemporaine.

VII.

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reprendre ce que l'on avait imprudemment donné et de revendiquer ces libertés de l'Eglise gallicane que l'on avait oubliées pendant toutes les négociations et que réclamaient les classes éclairées de la nation.

Le Gouvernement avait promis d'abroger ceux des articles organiques qui étaient contraires à la doctrine et aux lois de l'Église. Mais quels étaient ceux-là? Le Concordat de 1817 ne l'avait pas dit. La Cour de Rome les jugeait tous contraires aux lois de l'Église et en demandait l'abrogation entière. Mais l'opinion publique en France en exigeait le maintien. Le Gouvernement paraissait décidé à un compromis, pour ménager à la fois l'opposition parlementaire et Rome qui s'en tenait au Concordat.

Il faut bien souffrir que la loi prenne des précautions pour empêcher qu'on ne dise que la totalité des articles organiques est abrogée. La situation des esprits faisait un devoir de prendre cette précaution pour éviter que les Chambres n'en demandassent de plus grandes. Il sera facile de s'entendre sur ceux des articles organiques qui ne doivent plus être exécutés parce qu'ils pourraient étre évidemment contraires à la doctrine et aux lois de l'Église. Mais il est indispensable, pour éviter en France des maux incalculables, d'assurer le maintien des articles qui sont relatifs à l'administration intérieure des affaires ecclésiastiques et à des objets auxquels il n'est pas possible de toucher en France sans s'exposer à des troubles et à des désordres propres à compromettre le sort de la religion catholique elle

même.

Le Gouvernement répondait à la critique de Rome sur l'application du Code criminel dans toute sa rigueur aux ecclésiastiques. Il le modifie, au contraire, à leur avantage. Les ecclésiastiques seront jugés, non par les tribunaux ordinaires, mais par les Cours royales, comme les magistrats. Et il ajoutait : « Si la note a voulu dire que les ecclésiastiques devaient être jugés à titre de privilège par des tribunaux ecclésiastiques et qu'ils devaient être passibles d'autres peines que les autres citoyens pour les crimes et délits, la note aurait dit une chose dont il serait bien imprudent de laisser pénétrer en France la possibilité. » Le Gouvernement voyait que la Cour de Rome voulait entendre à la lettre le rétablissement du Concordat de 1516, stipulé par le nouveau Concordat, et qu'elle tendait à revendiquer des droits et des privilèges contraires aux lois de la France moderne. Aussi la mettait-il en garde contre de telles prétentions. Il regrettait vivement que l'on n'eût pas ajouté à l'article 1o du Concordat disant : « Le Concordat de 1516 est rétabli », ces mots : << en ce qui concerne la nomination aux évêchés ». Par là « on eût évité bien des difficultés et bien des déclamations de la part de ceux qui croient ou feignent de croire que toutes les institutions qui existaient à l'époque

du Concordat de François Ier peuvent être rétablies en vertu d'une convention qui rappelle purement et simplement cet ancien Concordat »>. Quant à la nomination des évêques, « la note, disait le Gouvernement, contient des maximes qui ne seraient pas approuvées en France » ; il ne pouvait accepter une théorie qui faisait de la nomination une concession du Saint-Siège et tendait à la réduire à un simple droit de présentation. C'est alors que se produisit un incident qui remit tout en question. Un des membres de la commission du Concordat, à la Chambre des députés, de Marcellus, ultramontain, pris de scrupules religieux, écrivit au Pape pour lui demander conseil sur le projet de loi du Gouvernement et les amendements provisoirement adoptés dans la commission. Le Pape s'empressa de lui répondre par une lettre en latin (23 février 1818) où il exhortait vivement de Marcellus et ses amis à combattre énergiquement (strenue contendere) le projet de loi. Marcellus communiqua cette réponse au cardinal Talleyrand-Périgord et à tous les évêques présents à Paris, puis aux députés. La lettre de Pie VII, rendue publique, provoqua une protestation générale; en dehors des ultramontains, personne, même parmi les royalistes les plus attachés au Gouvernement, ne pouvait supporter une intervention aussi nette du Pape dans les affaires intérieures du royaume. Decazes, Molé, hostiles depuis longtemps au Concordat, entraînèrent Lainé et Richelieu; seul Pasquier aurait voulu engager la lutte pour faire voter le Concordat, en faisant une loi sur les libertés gallicanes; mais Richelieu et ses collègues virent bien que « la loi ne passerait pas, surtout depuis que le Pape avait conseillé aux bons catholiques de la combattre fortement 2», et que la discussion ne pouvait que donner lieu à des propositions tout à fait défavorables à Rome et au clergé 3. Alors le Roi ordonna de surseoir au rapport qui devait être fait à la Chambre des députés. Tout restait en suspens. Les doctrinaires, les Camille Jordan, les Royer-Collard triomphaient; Richelieu rompit avec eux et manifesta même l'intention de quitter le ministère. C'était un échec pour le Gouvernement et pour le Roi. « Il était grave, dit Pasquier, de renoncer à un traité fait au nom du Roi avec une puissance étrangère et de supporter le blâme formulé contre un des actes émanés le plus directement de la prérogative royale . »

La nouvelle organisation ecclésiastique stipulée par le Roi et le Pape

1. Pasquier, Mémoires, t. IV, p. 225.

2. Termes employés par le duc de Richelieu dans une lettre, un peu, postérieure, à Blacas (17 mai 1818). Rome, Corresp., t. 950, f. 89.

3. Lainé à Richelieu (27 mars 1818). Ibid., t. 951, f. 68.

4. Pasquier, Mémoires, loc. cit.

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ne pouvant être établie, les bulles d'institution des évêques furent retenues par le Gouvernement, et l'Eglise de France resta dans l'état où elle se trouvait en 1814. Une nouvelle négociation avec Rome - c'était ce qu'avaient demandé les doctrinaires devenait nécessaire, et pour cette mission un homme nouveau, qui serait adjoint à l'ambassadeur de Blacas : ce fut Portalis, conseiller d'État, fils de l'ancien ministre des Cultes de Napoléon, préparateur du projet de loi du Gouvernement, que choisit Richelieu, grâce à l'influence de Pasquier, malgré Lainé, mal disposé pour lui, et Molé qui proposait le général Dessolles 1.

(La fin prochainement.)

1. Pasquier, Mémoires, loc. cit.

Ph. SAGNAC.

LE TRAVAIL D'HISTOIRE MODERNE EN PROVINCE

Toulouse1

ANNÉES 1903-1904.

Organisation du travail. — Dans le dernier bulletin sur la région de Bordeaux 2, M. Marion, insistant sur l'ensemble des publications qu'il signalait, remarquait qu'elles réfutaient victorieusement « une certaine légende malveillante qui attribue à nos gens du sud-ouest une certaine mollesse au travail ». La même constatation s'impose pour la région de Toulouse. On serait même tenté de se plaindre de l'abondance des publications historiques qui émanent des Sociétés savantes. Chaque département possède une Société « des lettres, sciences et arts », mais les bulletins ne répondent pas généralement à ce titre, car ils sont pour la plupart uniquement composés d'études ou de documents historiques; l'histoire moderne y tient le premier rang. L'activité de ces Sociétés se manifeste surtout par la publication de documents. Beaucoup n'offrent qu'un intérêt purement local et souvent fort restreint même à ce point de vue spécial. Il en est pourtant qui apportent à l'histoire générale une utile contribu

tion 3.

Aux revues publiées par les Sociétés savantes, il faut en ajouter d'autres plus ou moins indépendantes, les Annales du Midi, la Revue de Comminges, la Revue de Gascogne, la Revue des Pyrénées, la Revue du Tarn. Elles groupent d'ailleurs des travailleurs qui sont généralement membres des Sociétés. De même les ouvrages que nous aurons à signaler comme ayant paru en dehors de toutes ces Revues sont souvent l'œuvre d'auteurs fai

1. J'ai pris pour limites géographiques de ce Bulletin le ressort de l'Académie de Toulouse (Ariège, Aveyron, Haute-Garonne, Gers, Lot, Hautes-Pyrénées, Tarn, Tarn-etGaronne) en y ajoutant les Basses-Pyrénées qui ont été laissées de côté dans le dernier bulletin de M. Marion.

2. Voir la Revue, t. VI, p. 626 sqq.

3. L'abondance de ces documents ne nous permettant pas de les relever tous, nous renvoyons le lecteur aux dépouillements publiés par les Annales du Midi dans un excellent esprit critique.

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