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Ouvrages analysés dans les Comptes rendus du présent numéro :

Pages.

F. WOLTERS. Studien über Agrarzustände und Agrarprobleme in Frankreich von 1700 bis 1790 (Ph. Sagnac)

V.-L. BOURRILLY. Jacques Colin, abbé de Saint-Ambroise, 14?-1547 (L. Delaruelle)....

388

390

391 392

M. TALMEYR. La franc-maçonnerie et la Révolution française (G. Bourgin).
*** Le secret de la franc-maçonnerie (G. Bourgin)......

P. CONARD. La peur en Dauphiné, juillet-août 1789 (Ph. Sagnac).
Krieg gegen die französische Revolution (1792-1797). T. I et II (P. Caron).
A. LEROUX. Un programme de restauration du catholicisme en 1795, d'après
le « Manuel des missionnaires » de l'abbé Jean-Noël Coste (A. Mathiez)..
Ch. SCHMIDT. Le Grand-Duché de Berg, 1806-1813 (J.-E. Driault).......
Vte de MEAUX. Souvenirs politiques, 1871-1877 (P. Caron)
C. de FREYCINET. La question d'Égypte (P. Muret)...

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Sommaire des Notes et Nouvelles :

Académie des Sciences morales et politiques....

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Deuxième réunion de la Conférence des Sociétés savantes de Seine-et-Oise.

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Fascicules sous presse de la Bibliothèque d'histoire moderne.
Commission des documents économiques de la Révolution...

419

419

Article de M. P. Caron sur les conditions actuelles du travail d'histoire moderne en France....

420

Société d'histoire moderne.

420

Publication d'une table générale du Carnet de la Sabretache de 1893 à 1902. 420
Thèses d'histoire moderne soutenues à l'École des Chartes....
A. AULARD. Études et leçons sur la Révolution française. 4a série.

421

421

H. GoethZEN ZU YSENTORFF. Napoléon I. im deutschen Drama..
A. TARDIEU. Questions diplomatiques de l'année 1904..

423

423

L. de LANZAC DE LABORIE. Paris sous Napoléon. Administration, grands

travaux....

424

Gal H. BONNAL. Le haut commandement français au début de chacune des guerres de 1859 et de 1870..

425

J. CROMBÉ. L'organisation du travail à Roubaix avant la Révolution...
J. POIRIER. Portraits militaires du Ier Empire. Lecourbe (1759-1815).
H. HAUSER. Études sur l'histoire économique de l'ancienne France..
R. MOULIN. Une année de politique extérieure.
P. HOLZHAUSEN. Bonaparte, Byron und die Briten..
Cours d'histoire organisés par la Ligue maritime.

425

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Les auteurs sont seuls responsables

des opinions émises dans leurs articles

Des divers modes d'organisation du travail

dans l'ancienne France

L'une des idées auxquelles nous pouvons le plus difficilement nous accoutumer lorsque nous étudions une institution quelconque de l'ancien régime, c'est l'idée de la diversité. Un siècle et plus d'unité nationale et de centralisation administrative nous empêche de concevoir la loi et les règlements autrement que comme des prescriptions valables pour l'ensemble du pays. Des exceptions, par exemple la franchise douanière des pays de Gex, du Chablais et du Faucigny, la création de ports francs, ou même certaines particularités de notre législation coloniale, nous apparaissent comme des dérogations tout à fait anormales, tolérables seulement en vue d'un intérêt supérieur.

Sous l'ancien régime au contraire, c'était l'anormal qui était le normal. De la fameuse devise : « Une foy, ung roy, une loy », la troisième partie au moins ne fut jamais une vérité. Il y avait, peut-on dire sans trop d'exagération, autant de lois que de lieux, de classes, de groupes sociaux. Diversité, c'est la devise de la vieille France.

C'est à la lumière de cette idée qu'il convient d'étudier l'histoire de l'organisation du travail. Un trop grand nombre d'historiens se sont condamnés à ne rien comprendre à ces questions, parce qu'ils ont prêté à la communauté en jurande des caractères d'uniformité et de généralité que cette institution n'a jamais possédés . Séduits par la richesse de la documentation spéciale aux communautés, par l'ordonnance régulière de ces organisations, ils ont vu la communauté partout, et toutes les communautés sur le modèle des maîtrises parisiennes, les plus célèbres, les mieux connues, celles qui ont eu, effectivement, le plus grand nombre de filiales. dans le royaume.

A notre tour, prenons garde d'être dupes d'une illusion inverse. Nous sommes très frappés de voir la faible place tenue dans l'ancienne organi

1. Je renvoie à mes Études sur l'histoire économique de l'ancienne France (dans la Revue d'économie politique, 1905, p. 289 et 451).

Revue d'histoire moderne et contemporaine. — VII.

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sation du travail par l'institution corporative. Nous pouvons presque compter le nombre de fois où nous nous trouvons indubitablement en présence d'une jurande dûment constituée, pourvue de son état civil. Nous constatons souvent la date tardive à laquelle ce titre de jurande est conféré, avec les privilèges qu'il comporte, à un groupe d'industriels ou de commerçants. Cette institution, que l'on considérait autrefois comme générale, nous apparaît comme une exception. La règle, c'est la liberté du travail. Mais ce qu'il faut éviter, c'est d'entendre ces mots de liberté du travail dans la plénitude de leur sens actuel, c'est aussi de croire qu'ils avaient, à un même moment, la même signification et la même portée dans toute l'étendue du royaume. Encore plus que le régime des jurandes, celui des métiers libres est singulièrement divers : il comprend des nuances très nombreuses, depuis la liberté à peu près complète jusqu'à une organisation très voisine de la réglementation presque absolue. Malheureusement, les documents, très nombreux, très riches et très précis en ce qui concerne les jurandes, parce que le statut de la communauté créait entre ses membres un état de droit strictement défini, sont infiniment plus pauvres et plus vagues en ce qui concerne les institutions purement coutumières que nous confondons sous le nom de travail libre 2. Il y a là une différence dans la documentation qui tient à une différence dans les choses.

Essayons cependant, autant du moins que les documents le permettent, de nous donner le spectacle de cette diversité.

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Dire avec Loy

§ 1. Qu'est-ce, exactement, qu'une communauté jurée ? seau (Offices, p. 328) qu'un métier juré est un métier «< ayant droit de corps et communauté, en laquelle on entre par serment », c'est donner une définition étymologiquement parfaite, mais qui n'ajoute pas grand chose à notre connaissance du défini. Cependant, il n'est pas tout à fait sans intérêt de savoir que, si ces communautés s'appelaient jurées, c'est qu'« on y entrait par serment ». Elles formaient des corps plus ou moins fermés, dont l'entrée n'était pas loisible à quiconque, mais devait s'acquérir au prix de formalités particulières.

1. G. Fagniez, Corporations et syndicats, p. 31 et 33; P. Viollet, Histoire des institutions, t. III, p. 152.

2. P. Boissonnade, Essai sur l'hist. de l'organisation du travail en Poitou, t. II, p. 4: « L'histoire des métiers libres est une page blanche, si on la compare à l'histoire fertile en incidents des communautés jurées.

Pour savoir ce qu'était la jurande, il est assez commode de se demander ce qu'elle n'était pas. Cela, nous le voyons dans les requêtes par lesquelles un métier libre demande à se transformer en jurande 1. Lorsque les faiseurs d'esteufs de Paris s'adressent à Louis XI en 1467, ils disent : «Par le temps passé, chacun qui s'en [du métier] est voulu mesler et entremectre l'a fait et peu faire parce que le métier n'est point juré, et n'y a eu par cy devant aucune visitacion, dont s'est ensuivy que chacun en a fait et ouvré à son temps et volunté sans y avoir garde, ordre ne police... 2 » Nous pouvons donc conclure que lorsqu'un métier est juré: 1o il n'est point permis à chacun de s'y entremettre; 2o le métier est sujet à visitation; 3o les membres du métier ne peuvent travailler à leur guise, mais sont soumis à une « police » particulière 3. Voilà quelques caractères positifs, dont nous aurons à voir plus tard s'ils sont tous exclusivement propres à la jurande.

En 1608 les moutardiers-vinaigriers de Dijon demandent à la ville, pour la seconde fois au moins, leur érection en jurande 4 ; ils font valoir qu'après cette érection, 1o « il ne sera loisible à aucungs de tenir boutique ouverte dudit art... qu'il n'ayt fait chef d'œuvre et estre passé maistre »; 2o « ny à qui que ce soit vendre et distribuer vinaigre et moutarde qu'il ne soit tasté et gousté par eulx ou ceux qui seront commis jurés sur iceluy mestier ». Nous voyons ici que la condition mise à l'obtention de la maîtrise, c'est-à-dire à l'entrée dans le corps, c'est l'exécution d'un chef-d'œuvre. De même les apothicaires de Narbonne, en 1595 5, avaient présenté requête « à l'effet d'être reçus à passer maistres jurés », c'est-à-dire, expliquaient-ils, à « examiner et faire jurer les candidats ». Ce n'est pas que l'obligation du chef-d'œuvre ou de l'examen ait été, au même degré que celle du serment, partout et dès le début exigée 6. Mais elle devient de plus en plus générale et, à partir du xvIe siècle, elle peut passer pour l'un des traits distinctifs du métier juré. Un autre trait qui nous est révélé par la requête des moutardiers, c'est que, dans un métier juré, la visitation s'exerce, au nom du métier lui-même, par des jurés du métier, c'est-à-dire par des délégués élus par les maîtres.

1. C'est presque toujours à la requête des maîtres en exercice que se fait cette transformation. Cela seul suffirait à révéler le caractère privilégié du travail en jurande. La création d'une jurande est un octroi concédé aux maîtres par le pouvoir compétent.

2. Archives nationales, Y7, f. 44-45.

3. Inutile ici de citer des textes ils seraient innombrables, car ces trois caractères se retrouvent dans tous les statuts.

4. Archives communales, Dijon, B 246, f. 141 v°.

5. Arch. comm., Narbonne, BB 649.

6. Ouvriers du temps passé, p. 121.

Il serait fastidieux de multiplier les exemples. Partout, lorsqu'il sera question de jurande, nous trouverons ces mêmes caractères essentiels : un corps qui se recrute par serment et, accessoirement, par chef-d'œuvre ; un corps qui exerce sur ses propres membres, et par des moyens qui lui sont propres, un droit de contrôle et de « police ». A ces caractères généraux la comparaison de nombreux statuts permet d'ajouter des caractères secondaires. Pour se présenter au serment et, le cas échéant, au chefd'œuvre, il faut avoir satisfait préalablement à certaines conditions: avoir fait tant d'années d'apprentissage, parfois même tant d'années de compagnonnage. D'autre part, et cette condition devient universelle, les candidats doivent payer un droit d'entrée, ils achètent le métier. Ces conditions sont supprimées ou atténuées en faveur de certaines catégories de candidats, fils ou gendres de maîtres, maris des veuves de maîtres; aggravées au contraire au préjudice des « forains », de ceux qui n'ont pas fait leur apprentissage (parfois même leur compagnonnage) dans la ville.

Le droit de « police » exercé par le métier sur ses propres membres a pour organes une assemblée, qui comprend tous les membres ou une partie d'entre eux, et un conseil élu par cette assemblée. L'exercice de ce droit est réglé par un texte auquel on donne uniformément le nom de statuts. Les statuts paraissent inséparables de la communauté jurée, du moins en ce sens que, s'il existe des statuts de communautés non jurées, on ne voit point de communauté jurée qui n'ait ses statuts. Ces statuts contiennent des règlements de fabrication et, le plus souvent, des prescriptions relatives au nombre d'apprentis ou même d'ouvriers que chaque maître peut employer, plus les conditions d'accès à la maîtrise. Ces diverses obligations sont sanctionnées par des amendes, dont une partie au moins est versée à la caisse de la communauté. Comme tous les textes de législation coutumière, les statuts ont dû, à l'origine, se transmettre par la tradition orale. Les conditions mêmes dans lesquelles fut rédigé, à la fin du XIIIe siècle, le Livre des métiers d'Estienne Boileau indiquent bien qu'avant cette date la majorité des statuts des métiers parisiens étaient non écrits. Mais, à l'époque moderne, nous ne connaissons que des statuts écrits. Il sont enregistrés dans des registres publics, dont la nature varie comme varient, suivant les lieux, les autorités compétentes pour ériger un corps de métier registres des Parlements, des présidiaux, des bailliages et sénéchaussées, du Châtelet de Paris, des prévôtés et châtellenies, des chambres de ville. Copie authentique de ces statuts est déposée dans les archives de la communauté, et de plus en plus fréquemment ils sont reproduits par l'impression. Lorsque le temps semble en avoir affaibli la valeur, lorsque des changements paraissent désirables,

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