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Il nous reste à parler de la thèse consacrée par M. GRELÉ à un autre monarchiste, j'allais dire à un autre chouan, à Barbey d'Aurevilly. La thèse de M. Grelé sur l'Euvre faisait suite à un livre sur l'Homme, et s'accompagnait d'une seconde thèse sur la Bibliographie. Les soutenances de thèses sont rares en province : et toute la Faculté se transforme alors en jury; ce jury ne fut pas tendre à... Barbey d'Aurevilly qui passa là un mauvais quart d'heure. Je crois bien que le critique fit tort à l'écrivain. Le critique était un journaliste très intelligent, mais superficiel, prompt aux partis pris, prompt aussi aux éreintements, et quoiqu'il en ait réussi quelques-uns, ou peut-être parce qu'il en a réussi un trop grand nombre, sa critique est volontiers jugée comme dénuée de valeur. Mais restait l'écrivain, qui eût mérité, me semble-t-il, je donne bien franchement mon opinion personnelle, une meilleure presse : quelques passages des lettres inédites à Trébutien, que j'ai pu citer à la soutenance, grâce à l'aimable complaisance d'un bibliophile caennais 2, ont montré quel magnifique et consciencieux écrivain était Barbey d'Aurevilly. Le chapitre sur la langue était d'ailleurs le moins bon de l'ouvrage de M. Grelė. Le jury a apprécié l'ensemble de recherches qui ont permis à l'auteur de reconstituer une vie si longue et si remplie, une œuvre aussi considérable. Je regrette pour ma part que les deux volumes aient été séparés, que l'étude de l'homme et de l'œuvre n'ait pas été menée d'une marche parallèle; mais je sais grand gré à l'auteur d'avoir, par une documentation abondante et de premier ordre, reconstitué la physionomie si originale de Barbey. Cet écrivain trop méconnu fait grand honneur à la Normandie, puisque après tout c'est son histoire qui lui a fourni ses plus beaux romans, Le Prêtre marié, L'Ensorcelée, Le chevalier des Touches. Ce sont ses paysages qui ont inspiré ses plus magnifiques descriptions: celle de la lande du Lessay; ce sont ses petites villes, Valognes, Saint-Sauveur-le-Vicomte, et leur vie intime à l'époque de la Restauration qui lui ont fourni tant de jolies scènes, documents de premier ordre pour l'historien de la société ; et ce sont encore ses Chouans qui ont posé pour des portraits un peu grandis par l'auteur que sa nature portait à l'excessif, au surhumain, et qu'exaltait d'ailleurs une sorte de légitimisme littéraire. Ce sont aussi ses patois, le langage familier du paysan au marché, du marin sur la grève et sur le port, qui ont fourni à son style ce qu'il a de plus naturel, de plus franc, de meilleur aloi. Les pages où il a ravivé son inspiration ou

1. Jules Barbey d'Aurevilly. Sa vie et son œuvre, documents nouveaux. La vie. Caen, 1902, in-8, 400 p. Essai d'une bibliographie générale. Caen, 1904, in-8, 2. M. E. Travers.

d'après sa correspondance inédite et autre L'œuvre. Caen, 1904, in-8, 412 p. – 94 P.

sa langue au terroir, à la source cotentinoise, font aimer Barbey plus que celles où il a, avec trop d'effort, visé à l'effet et à l'antithèse dans le style, à l'extraordinaire dans la conception du personnage ou des situations. M. Grelé, par ses deux volumes, si pleins, a ramené l'attention publique à Barbey puissent-t-ils inciter à l'étude de l'époque et du milieu qui l'ont inspiré et formé.

M. Grelé n'a pas cessé de s'intéresser à son héros ; il a repris récemment son projet de seconde thèse, et publié une très curieuse étude sur les variations subies par une des œuvres de Barbey, Germaine ou ce qui ne meurt pas 1.

L'Académie française vient de récompenser le volume si neuf de M. Maurice SOURIAU sur un autre écrivain normand, plus classique, sur Bernardin de Saint-Pierre : l'auteur a voulu, d'après les papiers conservés à la Bibliothèque de la ville du Havre, nous restituer le véritable Bernardin, qu'Aimé Martin, son éditeur et biographe, avait si singulièrement travesti. Mais le livre porte la date de 1905 2. Je dois donc arrêter ici cette chronique déjà trop longue 3.

Henri PRENTOUT,

Professeur d'histoire de Normandie à l'Université de Caen.

1. Revue d'histoire littéraire de la France, oct.-nov. 1904.

2. M. Souriau, Bernardin de Saiut-Pierre, d'après ses manuscrits, Paris, pet. in-8, LIX-423 p. J'aurais voulu pouvoir donner quelques renseignements sur les travaux des Comités départementaux pour les recherches sur l'histoire économique de la Révolution. Mais ces travaux sont si peu avancés, à l'heure actuelle, il n'y a encore que des projets qui pour la plupart n'ont pas été sanctionnés par la Commission centrale, ou même ne sont pas définitivement arrêtés par les Comités départementaux, que je me borne cette année à remercier les personnes qui très obligeamment avaient bien voulu m'envoyer quelques renseignements.

COMPTES RENDUS

Abbé R. RouSSEL. Histoire de l'abbaye des Célestins de Villeneuve-lèsSoissons. Soissons, 1904. In-12, Iv-266 p. (dont 76 de Pièces justificatives).

Le prieuré (et non abbaye) dont l'abbé Roussel retrace l'histoire pouvait offrir la matière d'une brochure ou d'un article, mais pour lui consacrer tout un livre, l'auteur a dû se livrer à de nombreuses digressions sur l'histoire générale, la ville et la région de Soissons, l'ordre des Célestins, sa fondation, son fondateur etc.. ; et c'est le principal défaut de son livre.

L'histoire du prieuré dans les temps modernes ressemble à celle de beaucoup d'autres après les misères du xvIe siècle et les pillages des guerres de religion, les Célestins vivent paisiblement au xvIIe siècle dans leur monastère reconstruit; malgré quelques fléaux tels qu'inondation, incendie, procès, c'est l'époque de la plus grande prospérité, et le couvent compte jusqu'à 30 religieux; au XVIIIe siècle, il tombe en décadence: les revenus sont encore assez considérables (l'abbé R. donne beaucoup de détails mais aucune évaluation; M. Lecestre, dans ses Abbayes et prieurés en 1768, donne le chiffre de 17.353 1.); on ne peut rien reprocher aux religieux « du côté des mœurs et de l'administration temporelle »; mais n'étant plus que 9 (dont 7 prêtres et pas de novices), ils ne peuvent plus accomplir les obligations qui leur sont imposées et << ont cessé de répondre aux vues des fondateurs » (p. 120). Au moment des travaux de la Commission des réguliers, l'évêque de Soissons ne fit rien pour sauver le prieuré et se fit adjuger la plus belle partie de ses biens. Le curé de Saint-Germain-de-Villeneuve et ses paroissiens, qui avaient longtemps profité de la présence des moines et comptaient se voir attribuer le meilleur de leurs biens, furent réduits à la portion congrue et protestèrent en vain pendant deux ans contre la manière dont avait été comprise la dévolution des biens. Des affaires de ce genre (furent-elles fréquentes? La question vaudrait d'être étudiée) ne pouvaient qu'aggraver les dissentiments d'ordre économique qui existaient dans le sein du clergé français à la veille de la Révolution.

L'abbé R. a fait des recherches dans les Archives départementales (Aisne), notariales et particulières; il a utilisé les histoires civiles et ecclésiastiques de Soissons et du Soissonnais, les recueils imprimés et manuscrits sur l'ordre des Célestins : une bibliographie de ces travaux avec quelques renseignements précis sur chacun d'eux n'aurait pas été superflue. Quelques indications de sources sont trop vagues ( « Mémoires sur la Ligue », p. 87, « Registre du conseil d'État du Roi », p. 135); à signaler aussi un lapsus (lire, p. 65, Charles le Téméraire au lieu de Charles le Mauvais) et quelques fautes d'impression dans les dates (note i de la p. 2, p. 80, 155). En somme, l'ouvrage est le fruit de recherches consciencieuses dont les résultats, parmi beaucoup de détails sans grand intérêt ou de choses déjà connues, sont souvent instructifs. A. CANS.

Ferdinand DES ROBERT. Les campagnes de Turenne en Allemagne, d'après des documents inédits (1672-1675). Nancy, Sidot frères, 1903. In-8, XVIII-624 p. (cartes).

I

La littérature historique des campagnes de Turenne est fort considérable. Depuis les ouvrages essentiels de Deschamps (1678) et du chevalier de Beaurain 2 (1782), de nombreux écrits, où sont retracés les moindres épisodes de la lutte qui se poursuivit sur le Rhin de 1672 à 1675, ont paru surtout en Allemagne. Le livre de M. des Robert est une étude d'ensemble. Que nous apporte-t-il de nouveau ?

Notons d'abord que M. des R. n'est l'historien de Turenne que par occasion. Jusqu'ici il s'était contenté de relater la vie et les exploits de Charles IV, duc de Lorraine. De 1672 à 1675, ce dernier est un des principaux adversaires que rencontre Turenne : c'est ainsi que M. des R. a été amené à entreprendre l'étude des campagnes de Turenne. D'autres considérations l'ont encore guidé, complètement étrangères à l'histoire, et qu'indique sa préface: « A cette heure où tous les yeux sont portés vers l'Allemagne, où accablés par la défaite, sans savoir si l'avenir nous rendra le rang que nous avons perdu en Europe, nous rêvons, pour nous consoler, de nos gloires passées, et cherchons des leçons profitables dans les hauts faits de notre vieille armée. »

Sur Turenne lui-même, sur son caractère, sur ses qualités et ses défauts, on ne s'étonnera donc pas de ne trouver dans le livre de M. des R. que la reproduction des clichés traditionnels, précieusement utilisés par les

1. Deschamps, Mémoires des deux dernières campagnes.

2. Histoire des quatre dernières campagnes du maréchal de Turenne. Les cartes sont du chevalier de Beaurain, le texte de Grimoard, l'éditeur des lettres et mémoires de Turenne.

historiens depuis deux siècles. En revanche, le duc de Lorraine sera favorisé, et tous les chapitres de ce livre contiendront sur lui-même, son armée et ses combats des renseignements sans doute intéressants, mais déplacés.

Poursuivi en quatre chapitres, le récit des campagnes de Turenne s'encombre de très nombreux détails sur les relations diplomatiques de la France non seulement avec le duc de Lorraine, mais encore avec tous les princes allemands, ses voisins. L'auteur n'a pas su se rendre suffisamment indépendant des documents inédits qu'il a consultés, et qu'il indique dans sa préface correspondance inédite de Turenne (nombreuses citations empruntées aux Archives des Affaires étrangères, quelquesunes seulement aux Archives de la Guerre et le plus souvent sans l'indication des volumes), lettres des marquis de Vaubrun, de Dangeau et de Béthune, correspondance de Persode de Maizery, agent de France à Francfort, avec le duc de Vitry, notre ambassadeur à Vienne. D'ailleurs, la division du livre en quatre chapitres (un pour chaque année) a de multiples inconvénients: elle ne correspond pas exactement à la division en campagnes. C'est ainsi que la bataille de Turckheim, qui fait partie de la célèbre campagne d'Alsace de 1674-1675, est rejetée dans le dernier chapitre, avec le récit des événements de 1675 précédant la mort de Turenne en juillet de la même année. Les défauts de composition du livre sont très frappants, et l'auteur ne cherche pas à les dissimuler 1. Enfin les parties les meilleures, celles où M. des R. se borne à l'exposé chronologique des faits militaires d'après la correspondance de Turenne ou d'après les documents contemporains, ressemblent trop souvent pour le style aux exercices scolaires que l'on appelait autrefois des « rédactions historiques 2 ».

Un examen détaillé du livre n'apprendrait rien à nos lecteurs. Consulté pour la partie purement militaire et stratégique, il peut rendre des services. Indiquons quelques observations de détail, à défaut d'un résumé impossible et inutile. Turenne intervient tardivement dans le Ier chapitre (1672), dont les premières pages sont consacrées soit au duc de Lorraine, soit à la préparation diplomatique de la guerre de Hollande; l'auteur se réfère (p. 19) à Henri Martin et à son Histoire de France un

1. P. 85: « Revenons à Turenne ».

2. P. 55: « Charles IV brûlait d'entraîner dans l'orbite de l'empereur pour satisfaire sa vengeance et son amour de la guerre les Électeurs que la France ne réussissait pas à atteler à son char en flattant leur ambition ou en attisant leurs rancunes personnelles. P. 286: « L'intrépide guerrier, dont l'âge n'avait pas refroidi l'ardeur, n'avait pas désespéré, si la guerre continuait, de reconquérir la Lorraine. »

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