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émoluments qui lui sont dus depuis la fin de janvier de l'année précédente. Rabelais et Jean du Bellay, en pressant leur marche, autant qu'ils le peuvent, arrivent à Rome le 2 février. Ils y demeurèrent, Jean du Bellay à négocier au sujet du divorce du roi d'Angleterre, Henry VIII, Rabelais à visiter la ville, jusqu'au 1er ou 2 avril. Au milieu du mois, ils étaient de retour à Lyon.

Rabelais reprit ses fonctions à l'Hôpital de Lyon, et aussi ses publications. En septembre, il fait paraître une édition de la Topographie de Rome antique de Marliani (avec épître dédicatoire à Jean du Bellay, datée du 31 août 1534). C'est également à cette année 1534 qu'on rapporte la plus ancienne édition connue de Gargantua. Au début de 1535, il s'absente de Lyon sans congé à deux reprises, et M. Tilley suppose que ces absences pourraient bien n'être pas sans relations avec l'affaire des Placards 1. Après avoir patienté quelque temps, parce qu'on disait que Rabelais était à Grenoble et qu'il ne tarderait pas à revenir, les conseillers recteurs de l'Hôpital lui donnèrent un remplaçant le 5 mars 1535.

Nous ignorons où Rabelais était passé à ce moment et nous ne le retrouvons qu'au milieu de 1535 en compagnie de Jean du Bellay. Promu cardinal, l'évêque de Paris venait d'être chargé d'une nouvelle mission à Rome, pour laquelle il partit dans les derniers jours du mois de juin. M. Heulhard a eu le mérite, le premier, de donner sur cette nouvelle mission des détails exacts et circonstanciés, tirés des correspondances contemporaines de Jean du Bellay, de l'évêque de Mâcon, ambassadeur de France à Rome, etc. Le nouveau cardinal et Rabelais s'arrêtèrent à Ferrare, chez la duchesse Renée de France: ils y retrouvèrent quelques Français que l'affaire des Placards avaient contraints de s'exiler, comme Marot, Jamet. A ce second séjour de Rabelais à Rome se rattachent les lettres qu'il écrivit à l'évêque de Maillezais et les suppliques qu'il adressa au pape Paul III pour faire régler sa situation au point de vue monastique. M. Boulenger a prouvé surabondamment l'authenticité des premières et donné, avec un intéressant historique, un nouveau texte des secondes 3. Un autre point reste encore un peu obscur : la date du retour de Rabelais. Jean du Bellay quitta précipitamment Rome le 27 février, avec 12 chevaux.

1. A. Tilley, op. cit., t. Ier, p. 173.

2. A. Heulhard, op. cit., p. 51-92.

3. J. Boulenger. Étude critique sur les lettres écrites d'Italie par François Rabelais, dans R. Ét. R., 1903, t. 1, p. 97-121. Dans le même numéro de la R. Ét. R. (p. 93-96), se trouve un fac-similé de la copie de la lettre du 28 janvier 1536, conservée dans la collection Morrison, avec une note de M. Lefranc : Les lettres de Rabelais dans les collections Fillon et Morrison et notre fac-similé. — J. Boulenger, La « supplicatio pro apostasia » et le bref de 1536, dans R. Et. R., 1904, t. 2, p. 110-134.

Rabelais accompagnait-il le cardinal? ou demeura-t-il à Rome, comme nous le croirions volontiers, jusqu'au 12 avril, jour où partit tout le train de Jean du Bellay? Nous ne saurions le dire. Mais il est très probable qu'il fit un nouveau séjour à Lyon, où Jean du Bellay s'arrêta à son retour de Rome et où il demeura jusque vers le milieu de juillet.

Il suivit sans doute son protecteur à Paris lorsque celui-ci eut été nommé gouverneur de la ville (21 juillet). C'est à cette époque que doit se placer l'entrée de Rabelais à l'abbaye de Saint-Maur. En tout cas, un fait est certain: il était à Paris en février 1537, puisqu'il est parmi les convives du banquet offert à Dolet à ce moment. Mais il allait bientôt reprendre sa vie vagabonde et ce n'est pas sans peine qu'on peut le suivre dans ses déplacements.

En mai, nous le retrouvons à Montpellier où, le 22, il prend le grade de docteur. En juillet-août, sa présence est signalée à Lyon, dans une lettre que le cardinal de Tournon écrit au chancelier Du Bourg 1. Il est de nouveau, dans les derniers mois de 1537, à Montpellier, où il interprète, pour son ordinaire, les Pronostics d'Hippocrate. Il dut y séjourner durant la première moitié de 1538.

il

En juillet, d'après un document mis en lumière par M. Picot, assiste à l'entrevue d'Aigues-Mortes, et il suit le roi lorsque la cour remonte la vallée du Rhône et repasse par Lyon. Après, nous perdons sa trace. Vint-il à Paris auprès de Jean du Bellay? Aurait-il été envoyé à Turin, où Guillaume du Bellay, gouverneur de la ville, était à ce moment gravement malade, si gravement qu'il dut bientôt demander un congé (novembre) et, pour se remettre, gagner Paris et Saint-Maur? Autant de questions auxquelles nous sommes pour l'instant hors d'état de répondre. Il semble cependant que, dans le courant de 1539, Rabelais soit de nouveau, pour la troisième fois, à Montpellier. C'est du moins la conclusion qui paraît résulter d'un texte publié par M. Revillout 3.

En 1540, Rabelais est à Turin, où il a suivi Guillaume du Bellay en qualité de médecin. II y est arrivé sans doute avec son protecteur au début de l'année. Son séjour y est attesté, en particulier, par les lettres que lui adresse Guillaume Pellicier, évêque de Montpellier, qui avait connu

1. La lettre du cardinal est en effet, selon nous, du 10 août 1537. Voir notre article: Deux points obscurs dans la vie de Rabelais, dans R. Ét. R., 1906, t. 4, p. 103-134.

2. E. Picot, Rabelais à l'entrevue d'Aigues-Mortes (juillet 1538), dans R. Ét. R., 1905, t. 3, P. 333-338.

3. Revillout, art. cit., p. 329 et note 4. « Ego Guido Bellaisius, dyocesis Lugdunensis, veni ad hanc Universitatem medicine Montispessulani studendi gratia et elegi mihi patrem reverendum Franciscum Rabelaisium, doctorem bene meritum, et persolvi jura dicte Universitatis anno domini millesimo quingentesimo tricesimo nono et die decima tertia mensis augusti... »

Rabelais à Rome en 1535-1536 et peut-être à Montpellier en 1538, et qui était alors ambassadeur de France à Venise 1, et par la correspondance de Jean de Boyssonne. C'est en particulier ce dernier qui fait allusion à une affaire obscure à laquelle Rabelais se trouva mêlé, et pour laquelle nous le voyons revenir en France au milieu de décembre 1540. Ce voyage ne fut pas de longue durée, car, en mars 1541, il est de retour à Turin. Il ne quitte de nouveau cette ville qu'à la fin de l'année, lorsque Guillaume du Bellay revient à la cour, pour y demeurer environ six mois (décembre 1541-mai 1542). Rabelais fit un arrêt à Lyon; il y surveilla la réimpression chez Juste des deux premiers livres de son roman et à ce propos eut des démêlés avec Dolet. Il est possible qu'il soit allé aussi à Orléans chez le seigneur de Saint-Ayl, d'où il écrivit la « lettre au bailli du bailli des baillis ». Dans deux études substantielles et précises, M. Clouzot nous paraît avoir établi avec certitude la véritable identité de ce seigneur de SaintAyl, Étienne Lorens, et avec beaucoup de probabilité que la rédaction de la «< lettre au bailli du bailli des baillis» doit se placer au mois de mars 1542 2. Retourné au Piémont en mai 1542, il fut bientôt obligé de repartir pour la France, accompagnant Guillaume du Bellay moribond : il repassa par Lyon dans les premiers jours de janvier 1543, et assista, le 9, à la mort de son protecteur qui, le 13 novembre précédent, l'avait couché dans son testament pour un don de 150 livres 3.

Après cette date, il nous est de nouveau impossible de savoir avec précision où est passé Rabelais : jusque vers la fin de 1545, il nous échappe presque entièrement. Il prépare le « tiers livre », dans lequel il se fait l'écho de la question qui passionnait alors l'opinion, la querelle des femmes 4, et pour lequel on a supposé, sans cependant donner des preuves absolument décisives, qu'il avait connu en épreuves la troisième édition du livre de Tiraqueau 5. Le 19 septembre 1545, il obtient de François Ier un privilège pour son livre, qui paraît chez Wechel au début de 1546. A ce moment Rabelais a déjà quitté Paris, fuyant la réaction qui vient de se déchaîner. Dans les premiers mois de 1546, il est à Metz. M. Lefranc,

1. Le meilleur texte des lettres de Pellicier à Rabelais est celui qu'en a donné M. Tausserat-Radel, dans son édition de la correspondance de ce diplomate, Paris, 1899, in-8 (cf. la Revue, t. I, p. 535).

2. H. Clouzot, Les amitiés de Rabelais en Orléanais et la lettre au bailli du bailli des baillis. dans R. Ét. R., 1905, t. 3, p. 155-175 (avec un fac-similé d'une copie de la lettre); Le téritable nom du seigneur de Saint-Ayl, ibid., p. 351-366.

3. V.-L. Bourrilly, Rabelais et la mort de Guillaume du Bellay, seigneur de Langey (9 janvier 1543), dans R. Ét. R., 1904, t. 2, p. 51-54.

4. A. Lefranc, Le tiers livre de Pantagruel et la querelle des femmes, dans R. Ét. R., 1904. t. 2, p. 1-10, 78-109.

5. J. Barat, L'influence de Tiraqueau sur Rabelais, dans R. Ét. R., 1905, t. 3, p. 253-275

d'accord en cela avec Moland et M. Tilley, a prouvé d'une manière péremptoire que le séjour de Rabelais à Metz doit se placer entre 1546 et 1547, et non entre 1547 et 1548, comme l'affirmaient la plupart des biographes. Ce n'est donc pas le changement de personnel consécutif à la mort de François Ier et à l'avènement du nouveau roi Henri II qui détermina la fugue de Rabelais. Il se pourrait même que ce fait, au contraire, ait hâté son retour, car on le retrouve à Paris en juillet 1547. Au début de 1548, paraissent quelques chapitres du « quart livre ». Le 18 juin de cette même année, Rabelais est à Rome auprès de Jean du Bellay qui y avait été dépêché au mois d'août de l'année précédente 2. En mars 1549, Jean du Bellay donne des fêtes en l'honneur de la naissance du duc d'Orléans, et Rabelais en fait le récit dans la Sciomachie. Tous deux revinrent en France en juillet 1550. Le 6 août suivant, Rabelais obtenait un nouveau privilège pour l'impression de ses ouvrages.

Peu auparavant, Rabelais avait obtenu la cure de Meudon, et probablement vers la même date celle de Saint-Christophe du-Jambet, au diocèse du Mans. Il ne résida jamais dans cette dernière paroisse, et il ne parait pas non plus s'être fixé à demeure à Meudon. Du reste il résigna bientôt ces deux bénéfices (9 janvier 1552). Le 28 janvier, la première édition du quatrième livre fut achevée d'imprimer, et l'épitre dédicatoire au cardinal de Châtillon est datée du même jour. Le 1er mars, à la suite de la censure faite par la Faculté de théologie, la vente fut suspendue, mais l'interdiction fut levée peu après 3.

C'est probablement dans le cours de l'année suivante que, selon une tradition ancienne, Rabelais mourut 4. La date précise de la mort est encore incertaine. Des textes mis au jour par M. Potez et empruntés à la correspondance de Denys Lambin prouvent que Rabelais était encore vivant en décembre 1552 5. D'autre part, M. Lefranc cite une épitaphe composée par Jacques Tahureau et publiée en mai 1554 : c'est donc là 1. A. Lefranc, Les dates du séjour de Rabelais à Metz (1546-1547), dans R. Ét. R., 1905, Pour ce qui est de la lettre écrite le 6 février par Rabelais à Jean du Bellay, M. Lefranc la placerait volontiers en 1546: M. Clonzot (loc. cit., p. 359, note 3) se fondant sur une lettre du seigneur de Saint-Ayl du 12 février 1547, qui fait allusion à une lettre de Rabelais, donne la date de 1547, qui paraît bien être la vraie.

t. 3, p. 1-11.

2. Sur ce dernier voyage de Rabelais à Rome, voir A. Heulhard, op. cit., p. 257-319. 3. M. Heulhard, op. cit., p. 337, cite une autre délibération en date du 8 avril.

4. M. Heulhard, op. cit., p. 338, donne la date du 9 avril 1553, sans indiquer sur quel document il s'appuie pour préciser ainsi. Comme Jean du Bellay partit en avril 1553 pour retourner à Rome et qu'il n'emmenait pas avec lui Rabelais, il en a conclu probablement que Rabelais devait être mort à ce moment: l'hypothèse est plausible. Mais ce n'est qu'une hypothèse et on ne voit pas comment elle peut permettre de fixer le jour de la mort.

5. H. Potez, Trois mentions de Rabelais à la fin de l'année 1552, dans R. Ét. R., 1903, t. I, p. 57-58.

la date extrême de la vie de Rabelais. C'est entre ces deux termes, début de 1553 et avril 1554, qu'il faut faire porter les recherches pour découvrir le moment précis de la mort de notre auteur.

La biographie de Rabelais se complète par les études qui ont été consacrées à certains de ses amis. Nous avons déjà parlé du travail de M. Barat sur Tiraqueau. M. Clouzot a donné quelques détails sur Hilaire Goguet, cité sous la forme Hilarius Coguetus dans la lettre de 1522 à André Tiraqueau 2. Il y aurait néanmoins encore bien des recherches à poursuivre pour faire connaître le cercle littéraire de Fontenay dans lequel s'est formé Rabelais. On trouvera des détails sur les amis que Rabelais connut à Montpellier dans le mémoire déjà signalé de M. Revillout. Sur ceux qu'il put avoir à Orléans et dans l'Orléanais, M. Clouzot a apporté quelques renseignements intéressants, plus particulièrement sur Etienne Lorens, seigneur de Saint-Ayl. Peut-être est-ce à Orléans que Rabelais a pu connaître Calvin. La question des rapports de Rabelais avec Calvin mériterait d'être traitée à fond. Après M. Lefranc, M. Thuasne a réuni quelques textes intéressants dans ses Études sur Rabelais 3. Dans ces mêmes études, M. Thuasne a cherché à éclaircir les raisons de la rupture entre Rabelais et Voulté aux alentours de 1538 4. Voulté aurait été irrité par les critiques émises par Rabelais sur ses poésies religieuses. Dans un long article, M. de Santi s'efforce de prouver que les critiques dirigées par Scaliger contre un certain Baryonus visent Rabelais. Il reproduit, traduit et commente onze pièces tirées des J. C. Scaligeri viri clarissimi Poemata in duas partes divisa (Genève, 1574) et en explique les allusions. L'argumentation est assez aventureuse et il n'y a dans les vers de Scaliger aucun trait (sauf la vie monastique) qui soit plus particulièrement applicable à Rabelais. Que Rabelais connût Scaliger, cela est hors de doute (voir sa lettre à Erasme du 30 novembre 1532); mais que Baryonus soit Rabelais, la preuve, ce semble, est encore à faire 5. Enfin M. Pinvert

1. A. Lefranc, Remarques sur la date et sur quelques circonstances de la mort de Rabelais, dans R. Ét. R., 1903, t. 1, p. 59-65. De l'épitaphe de Rabelais par Ronsard, extraite du Bocage, achevé d'imprimer le 27 novembre 1554 (reproduite par H. Vaganay, La mort de Rabelais et Ronsard, dans R. Ét. R., 1903, t. 1, p. 143-150, 204), on ne peut rien conclure de précis sur la date de la mort de Rabelais, et M. Laumonier montre qu'il y faut voir non une preuve d'animosité ou une manifestation de rancune, mais un « badinage dénué de toute acrimonie et une expression de sympathie ». P. Laumonier, L'épitaphe de Rabelais par Ronsard, dans R. Et. R., 1903, t. 1, p. 205-216.

2. H. Clouzot, Un ami de Rabelais inconnu, Hilaire Geguet, dans R. Ét. R., 1905, t. 3, p. 65-71.

3. H. Clouzot, Les amitiés de Rabelais en Orléanais, dans R. Ét. R., 1905, t. 3, p. 171, 174-175; L. Thuasne, Études sur Rabelais, p. 402-413; 447-450.

4. Ibid., p. 315-336.

5. D' de Santi, Rabelais et J. C. Scaliger, dans R. Ét. R., 1905, t. 3, p. 12-44.; 1906, t. 4,

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