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deux ouvrages de MM. Alengry et Cahen; ils ne font pas double emploi, aucun des deux ne rend l'autre inutile. Chacun de ces deux auteurs a élevé à Condorcet un monument dont cette grande figure était digne; chacun a contribué à augmenter nos connaissances sur l'histoire de la Révolution. Je crois qu'ils ont épuisé la matière et qu'après eux il n'y aura plus rien de nouveau à dire sur Condorcet. P.-R. MAUTOUCHET.

Vicomte DU BREIL DE PONTBRIAND. Un chouan : le général du Boisguy. Fougères-Vitré, Basse-Normandie et frontière du Maine, 1793-1800. Paris, Champion, 1904. In-8, x-476 p., avec une carte hors texte.

Aimé-Casimir-Marie du Boisguy, né le 15 mars 1776, ayant pris part à l'insurrection des paysans de Landéan, le jour du tirage au sort, en mars 1793, et ayant été pour ce fait condamné à mort par contumace, se cacha pendant six mois, puis avec quelques centaines d'hommes qu'il avait réunis, se joignit aux Vendéens quand ceux-ci eurent passé la Loire. Il les suivit dans leur campagne et dans leur déroute jusqu'à la défaite du Mans, revint alors à Fougères avec quelques-uns des hommes qu'il avait entraînés, et fit aux Bleus la guerre de guérillas, donnant à ses capitaines l'ordre de se retirer dans leurs paroisses, de disperser ensuite leurs hommes par petites bandes, de suivre l'ennemi quand il se présenterait, de tirer sur les traînards et sur la queue des colonnes pendant la nuit ». Il refusa d'adhérer aux traités de la Jaunaye et de la Mabilais, mais observa une trêve à ce moment. Les hostilités reprirent en mai 94; il eut avec les républicains une série d'engagements que M. du B. raconte en détail. Il fut un des derniers à céder: quand, autour de lui, tous les chefs se soumettaient, quand partout on déposait les armes, il tenait encore la campagne. Enfin il fit sa soumission le 26 juin 1796. Arrêté dans son château le 18 mars 1797, il fut enfermé au château de Saumur, d'où il s'évada en septembre 1799; il recommença alors la guerre de partisans dans la région d'entre Loire et Vilaine. Il fut encore le dernier, avec Frotté, à faire sa soumission, le 18 février 1800. Sous l'Empire, il vécut tantôt à Paris, tantôt à Senlis, se maria, fut confirmé, à la Restauration, dans le grade de maréchal de camp que le comte de Provence lui avait conféré sous la Révolution. Arrêté et incarcéré pendant les Cent-Jours, il fut remis en liberté par la seconde Restauration et reçut en 1816 le commandement du département des Ardennes, qu'il conserva jusqu'en 1830. Il fut alors mis en disponibilité, puis en réforme, pour refus de serment au nouveau gouvernement, et mourut le 25 octobre 1839.

Le livre de M. du Breil est une apologie, on peut même dire un panégyrique de Boisguy. Mais la biographie du héros, insuffisante à fournir

la matière d'un volume de 460 pages, est un peu noyée dans l'histoire générale de la chouannerie bretonne; aussi ce livre est-il également une apologie de la chouannerie. D'un bout à l'autre de l'ouvrage, l'auteur manifeste son admiration pour les chouans et leurs chefs. Constamment il excuse, il approuve même les meurtres qu'ils ont commis: ils ne faisaient que se défendre. En revanche, les républicains se sont livrés à tous les excès, à tous les crimes; tout était permis contre eux. « La chouannerie, plus encore que la Vendée fut une défense, une révolte contre un délire de sang tel que le monde civilisé n'avait jamais rien connu de pareil. Vis-à-vis d'hommes qui n'étaient plus des hommes, il y eut assurément de terribles nécessités. Qu'il y ait eu aussi des crimes individuels, le contraire serait miracle; mais certes, dans l'ensemble, on ne peut s'étonner que de voir subsister encore, chez ceux qu'arma le droit élémentaire de ne pas se laisser tuer, un autre sentiment que celui de l'écrasement, par tous les moyens, de la bête féroce déchaînée. » Telle est la note que l'auteur nous donne dès l'Introduction (p. vi), et nous la retrouvons à travers tout l'ouvrage. « Peut-on dénier aux chouans quelque raison de se faire à leur tour les justiciers de ces honnêtes gens (les républicains) et de pourvoir à leur sûreté contre eux, même, au besoin, en tuant la bête ? » (p. 43). Puisqu'on fusillait les chouans, « que devaient-ils faire eux-mêmes? et s'ils ne rendaient pas dent pour dent, n'était-ce pas de leur part générosité pure, excessive même..?» (p. 45). « Ce qui domine, ce qui explique les événements, ce qui est plus qu'une justification pour l'ensemble, ce fut la révolte et l'exaspération en présence des horreurs d'un pareil temps, la menace suspendue sur toutes les existences honnêtes et la volonté de défendre la sienne et celle des autres en hommes qui savent mourir, mais aussi faire payer leur vie et venger les innocents » (p. 80). Et encore << Pour qui s'est rendu compte de l'effroyable guerre faite aux chouans, aux défenseurs, en somme, des plus saintes libertés, rien pouvait-il autoriser davantage, nécessiter peut-être toutes les représailles? (p. 446).

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En revanche, M. du B. s'indigne fort contre l'historien républicain Lemas qui, en écrivant : « Tout individu pris les armes à la main était fusillé sur-le-champ », et encore : « Les représentants du peuple décidaient également que tout chouan, brigand ou révolté pris les armes à la main serait fusillé sur-le-champ », ne doune pas d'autre marque de réprobation. Ainsi, pour M. du B., exécuter ces rebelles qui portaient les armes. contre leur pays, qui, au moment où la France avait à faire face de tous les côtés à l'ennemi extérieur, redoublaient son danger par la guerre civile, c'est un acte monstrueux qu'il ne saurait flétrir avec trop d'éner

gie; mais il professe une admiration sans limites pour les chouans et déclare qu'ils accomplissaient un acte parfaitement légitime en tuant les soldats de la République. Évidemment, pour M. du B., la France à ce moment était avec les émigrés, et ce n'était pas faire la guerre à la France que combattre la République. Notons en effet que, dans tout le livre, les mots Royalistes et Républicains sont constamment écrits avec des majuscules, comme si c'étaient les noms de deux peuples différents, comme on écrit: les Français et les Allemands.

L'auteur indique dans son Introduction, comme sources principales de son étude : les Mémoires du colonel de Pontbriand sur les guerres de la Chouannerie, publiés en 1897; l'ouvrage de M. Th. Lemas: Un district breton pendant les guerres de l'Ouest et de la Chouannerie, dont il combat l'esprit et les appréciations, mais dont il loue la documentation; l'étude de M. Le Bouteiller sur La Révolution dans le pays de Fougères; l'Histoire religieuse, civile et militaire de Saint-James-de-Beuvron, du chanoine Ménard, et enfin des documents d'archives. Nous trouvons bien, au cours de l'ouvrage, un certain nombre de références renvoyant aux Archives de la Guerre, à celles d'Ille-et-Vilaine, aux papiers de Puisaye (British Museum), à quelques registres de municipalités, comme Vitré, Fougères, Le Chatellier, SaintMarc-le-Blanc; mais c'est surtout des mémoires et des ouvrages de seconde main que M. du B. s'est servi. Aux mémoires de Pontbriand, il faut ajouter ceux des généraux d'Andigné, de la Frégeollière, de Mile Gontard des Chevalleries; Les guerres des Vendéens et des Chouans, de Savary; en plus des ouvrages indiqués, M. du B. renvoie également à CrétineauJoly, Deniau, La Sicotière (Frotté et les insurrections normandes), H. de la Grimaudière (La Commission Brutus Magnier), etc. En somme, l'auteur a beaucoup utilisé les ouvrages de seconde main ; comme documents, il a surtout emprunté aux mémoires, source toujours suspecte et dont on ne doit user qu'avec une grande circonspection, et surtout à ceux de Pontbriand, qui était un chouan, qui était le beau-frère de Boisguy, et dont le récit ne peut naturellement que tendre à innocenter les chouans, à charger les républicains. C'est sur ces mémoires que M. du B. échafaude tout son récit, appuie ses assertions favorables aux chouans. Mais quand un fait gênant pour la mémoire de ceux-ci est connu par un document de provenance « républicaine », il n'a plus aucune confiance; ainsi, à propos du mouvement insurrectionnel qui éclata, en mars 93, dans des paroisses au sud de Fougères: ce mouvement, dit-il, « coûta la vie au maire patriote de Parcé, fusillé avec son frère et un troisième, dans des conditions que les républicains déclarent abominables, mais sur lesquelles, en réalité, on n'a que leurs seules affirmations» (p. 16).

Enfin, les sentiments de l'auteur à l'égard des deux partis belligérants expliquent qu'il ne reste pas toujours calme ; il s'indigne, il se met parfois en colère. A propos d'une assertion de M. Lemas qu'il n'accepte pas : « Ceci est plus que de la mauvaise foi, c'est une fausseté manifeste autant qu'inepte» (p. 63); ou bien il se félicite que tous les historiens n'aient pas « sur l'œil les verres salissants d'un Lemas » (p. 416). Ce n'est plus le ton de l'histoire, c'est celui de la polémique. - P.-R. MAUTOUCHET.

Jean MORVAN. Le soldat impérial (1800-1814). Tome II: La vie en campagne. La bataille. La mortalité. Les prisonniers. Les récompenses. Le moral. Paris, Plon, 1904. In-8, 525 p.

Ce second volume de l'ouvrage consacré par M. J. Morvan au «< soldat impérial a suivi de près le premier . Il se compose de deux parties. La première, qui porte comme titre : La vie en campagne, contient un tableau général, en 260 pages, de l'armée impériale, des « guerres heureuses »> (chap. Ier, 1805 à 1807) aux « guerres néfastes » (chap. III, 1809 à 1815); un chapitre tout entier (chap. II) traite de la guerre d'Espagne et de l'influence spéciale qu'elle eut sur l'évolution de la Grande Armée. La deuxième partie, dépourvue de titre, est divisée en cinq chapitres : IV, La bataille (procédés tactiques et matériels de combat, effets du feu et de l'arme blanche, action morale du commandement sur la troupe immédiatement avant, pendant et immédiatement après la bataille); V, La mortalité (les blessés et les malades, l'insuffisance et la mauvaise organisation du service de santé); VI, Les prisonniers (les prisonniers étrangers en France et les prisonniers français à l'étranger, Cabrera, les pontons anglais); VII, Les récompenses (moyens employés pour faire naître et maintenir l'émulation, l'avancement, la Garde, la Légion d'honneur, les pensions, titres et dotations); VIII, Le moral (enthousiasme décroissant du soldat, mais popularité persistante de l'Empereur; lassitude grandissante en France, coïncidant avec l'éveil du sentiment patriotique chez les étrangers et aboutissant à Leipzig).

La méthode, la forme n'ont pas varié, et je renvoie pour les critiques qu'elles m'ont paru et me paraissent encore appeler, au compte rendu que j'ai donné du tome premier: c'est la même utilisation quasi-exclusive de la Correspondance de Napoléon et des sources narratives, la même insuffisance des références, la même tendance à l'effet littéraire 2.

Le plan suivi par M. M. peut être maintenant saisi et apprécié dans son

1. Cf. la Revue, t. IV, p. 728.

2. Voir, par exemple, pp. 77-78, 292-293.

Revue d'histoire moderne et contemporaine. — VII.

ensemble; il me paraît un peu touffu, un peu compliqué. L'auteur a trop multiplié les compartiments; pour les garnir, il a dû y introduire plusieurs fois les mêmes faits, se condamner à des répétitions. Le travail de lecture et de copie que lui a coûté la constitution de son jeu de fiches a été assurément considérable, et reste très méritoire; mais il n'était pas indispensable que tous les résultats en fussent communiqués, à l'état brut, au lecteur. Les onze chapitres de ces deux volumes compacts nous offrent, sauf exception, des séries de faits enfilés les unes après les autres, non sans monotonie; l'attention se lasse, se noie, au milieu de ces centaines de traits et d'anecdotes. Sans doute, M. M. a voulu faire impression par le nombre, par la masse : il semble que les idées maîtresses s'accuseraient mieux s'il avait fait plus court, s'il avait moins usé du procédé énumératif, mis à la mode par Les origines de la France contemporaine, où M. M. a pu le prendre. Peut-être aussi, à pratiquer une sélection systématique, eût-il été amené à montrer plus de discernement dans le choix de ses sources. J'ai signalé la valeur discutable de nombre de mémoires employés par lui dans la rédaction de son premier volume; le second prête à la même observation, et l'on regrette d'y trouver mention (p. 19, 20) de textes aussi inquiétants que les mémoires de Comeau. Il faut l'avouer, des anecdotes reproduites par M. M., beaucoup sont à première vue suspectes du moment qu'elles ne pouvaient être contrôlées, il y avait tout avantage à les laisser de côté 2.

Ces réserves faites ou réitérées, je louerai à nouveau, en terminant, le courage avec lequel M. M. s'est attaqué à un sujet aussi vaste, aussi difficile que celui qu'il a traité. La synthèse qu'il présente doit être tenue pour provisoire, et consultée avec précaution; il faudra en reprendre, en vérifier, en contrôler les diverses parties : mais elle peut être une base utile pour les travaux, plus limités, qu'il y a maintenant à souhaiter. P. CARON.

1. D'une manière générale, on doit reprocher à M. M. de n'avoir pas fait un effort suffisant ni suffisamment fréquent pour les dégager. C'est exceptionnellement qu'elles s'indiquent avec netteté, comme à la fin du chap. III, p. 256-260. Le chapitre VIII (Le moral) peut être considéré comme une conclusion d'ensemble.

2. En voici au moins deux dont la fausseté est évidente: celle (racontée par Coignet) des coups de fusil tirés sur Chambarlhac par ses soldats, le surlendemain de Marengo (p.7), et celle, aujourd'hui réduite à ses justes proportions, de la rupture des glaces des étangs, à Austerlitz (p. 266). P. 373, il est parlé des 7.000 Turcs massacrés à Jaffa; ce chiffre doit être ramené à 2.400.

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