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l'histoire des diverses espèces d'abcès, où les détails relatifs à chacune d'elles seront mieux placés.

Causes et divisions. L'inflammation est la cause générale des abcès, mais elle tient elle-même à des causes diverses, tantòt accidentelles, tantôt liées à des dispositions de l'économie temporaires ou constitutionnelles. Or, ces causes variées, dont l'effet commun est la formation de l'abcès, offrent souvent dans la pratique des indications particulières. Une division des abcès suivant leur cause offre donc un grand intérêt. On doit à Roux une classification qui a été adoptée et que nous allons reproduire; il en fait cinq classes: 1° abcès idiopathiques; 2° abcès sympathiques; 3° abcès critiques; 4° abcès symptomatiques; 5° abcès constitutionnels.

Dans l'abcès idiopathique, la cause n'a été que passagère; c'est un coup, une piqûre, elle n'existe plus, l'abcès est toute la maladie, il résume toutes les indications curatives.

L'abcès sympathique est celui qui, sous l'influence d'une cause irritante, va se former dans un endroit plus ou moins éloigné du lieu où l'irritation a été produite; elle se propage jusqu'au siége de l'abcès par les vaisseaux lymphatiques ou sanguins, de manière à ce qu'on puisse suivre son trajet, ou quelquefois sans que la transmission soit appréciable. Leur siége ordinaire est le tissu cellulaire, ou les ganglions lymphatiques (angéioleucite); on en voit aussi envahir le cordon spermatique ou le testicule dans l'orchite blennorrhagique, etc. Dans cette classe, le plus souvent la cause persiste et l'abcès est aigu; les indications se partagent entre l'une et l'autre.

Les abcès critiques se montrent dans le cours ou au déclin de quelque maladie aiguë, générale ou locale. Ils sont vraiment critiques, lorsqu'ils amènent une rémission franche dans ses symptômes, favorisent sa terminaison, et, comme on dit, jugent la maladie. Mais trop souvent ils ne sont qu'un accident de la dernière période, et deviennent même une sérieuse complication; tels sont les parotides dans beaucoup de fièvres typhoïdes, ou les abcès nombreux dans la convalescence de la variole. On est dans l'usage de les ouvrir aussitôt qu'ils sont formés, et de hâter leur maturité.

Le caractère des abcès symptomatiques est de dénoncer une affection qui en est l'origine. La présence d'un corps étranger, tel qu'un projectile arrêté dans nos organes, la nécrose, la carie, est ordinairement signalée par un abcès. Parmi les corps étrangers, quelques-uns sont liquides; les uns viennent du dehors (injection du vin dans le tissu cellulaire pendant l'opération de l'hydrocèle), les autres sont sécrétés ou cxcrémentitiels, et sortis des voies naturelles par l'ouverture accidentelle de leur réservoir ou des conduits excréteurs. Ils se présentent sous la forme d'abcès diffus, ou bien ils sont circonscrits entre des plans aponévrotiques (abcès urineux du périnée); certains abcès aigus de la marge de l'anus sont des symptômes du rétrécissement ou du cancer du rectum. Souvent ces abcès, qui viennent de l'extravasation des liquides ou fluides

excrémentitiels, sont à la fois phlegmoneux et gangréneux, et ce dernier caractère est véritablement symptomatique de leur cause. De là évidemment découlent des indications thérapeutiques spéciales.

La dernière classe est celle des abcès constitutionnels, qui sont une manifestation extérieure d'un vice général de la constitution spécifique ou non spécifique. Roux voudrait qu'on réservât le nom de constitutionnels à ceux qui ne dépendent pas d'une cause spécifique. Envisagés d'une manière générale, les abcès constitutionnels comprennent des subdivisions bien diverses; car la disposition générale dont ils dérivent est fort variable. Elle peut être temporaire comme celle qui fait naître es furoncles, ou permanente comme les scrofules, qui donnent licu soit à des abcès du tissu cellulaire, soit à des abcès ganglionnaires dépendant le plus souvent de la fonte des tubercules. Quelques abcès constitutionnels nous viennent d'une altération du sang mal connue (Voy. PUOGÉNIE), qu'on observe chez les nouvelles accouchées; ils sont vastes, multiples et rapides dans leur développement; d'autres, ainsi que les anthrax gangréneux, ou sous forme de phlegmons, dits chroniques, se mauifestent chez des individus affaiblis par un mauvais régime et des excès de tout genre. Les abcès constitutionnels spécifiques sont vénériens; les plus curieux sont ceux qu'on voit à la marge de l'anus amener des fistules, bientôt suivies elles-mêmes, après l'opération, d'un véritable ulcère syphilitique (Roux). Enfin, est-il possible de ne pas mentionner au nombre des abcès constitutionnels ceux qui tirent leur origine du mélange du pus avec le sang, mélange qui produit l'infection purulente. Est-il une affection générale où la constitution soit plus profondément atteinte? Au reste, je ne les indique ici que pour avertir que l'histoire des abcès, dits métastasiques, qui sont dus à l'empoisonnement du sang par le pus sera faite à l'article INFECTION PURULENTE.

siége. Si l'on considère les abcès relativement à leur siége, la première remarque qui frappe, c'est que la formation d'une collection de pus exige des conditions particulières qui ne se trouvent pas au même degré dans les divers tissus, et manquent tout à fait chez quelques-uns.

Les parties épidermiques telles que les cheveux, l'épiderme, les ongles, ne peuvent ni s'enflammer ni suppurer; il en est de même des dents, des cartilages diarthrodiaux; de même encore de ceux du larynx, et des cartilages sterno-costaux, bien qu'ils soient assez vasculaires pour s'ossifier. Le tissu fibreux échappe aussi à la suppuration. Les collections de pus formées entre le périoste et l'os, ou dans le canal médullaire, appartiennent plutôt aux membranes cellulo-vasculaires qui le revêtent qu'à l'os lui-même. On trouve du pus cependant dans le tissu spongieux des os, ou du moins telle est l'opinion la plus générale, car c'est la difficulté de distinguer le pus contenu dans ses cellules de la matière tuberculeuse qui jusqu'ici a laissé du doute dans l'esprit de beaucoup des pathologistes sur l'existence de l'infiltration tuberculeuse des os, étudiée avec tant de soin par Nélaton.

Le tissu cellulaire offre au plus haut degré les conditions favorables à

la formation des abcès. Aussi en est-il le siége le plus ordinaire, et non pas cependant exclusif, comme on a été disposé à l'admettre. Sa grande vascularité, sa disposition aréolaire et lamellaire, qui l'a fait comparer à la réunion d'une multitude de petites membranes séreuses, le rend éminemment propre à la sécrétion de la lymphe coagulable, qui entre en proportion très-notable dans le pus et sert si bien à sa circonscription en foyers. Aussi les abcès s'y montrent-ils sous toutes les formes, et cela n'a point lieu de surprendre, puisque le tissu cellulaire est répandu partout, dans les conditions de situation les plus diverses, et que d'ailleurs son inflammation propre, le phlegmon, se termine très-souvent par suppuration. La suite de cet article fera connaître les variétés de nombre, d'étendue, de situation que présentent les abcès du tissu cellulaire.

On n'aurait point à signaler d'abcès de la peau, si elle n'était pas revêtue d'une couche épidermique d'une résistance suffisante pour se laisser soulever par le pus sans se rompre. Indifférent par nature à la formation du pus, l'épiderme retient quelque temps celui qui est fourni par la couche vasculaire du derme sous forme de bulles et de pustules (pemphigus, variole, impetigo). Le furoncle et l'anthrax appartiennent plus au tissu cellulo-fibreux sous-cutané qu'à la peau elle-même. La couche épithéliale de certaines membranes muqueuses retient aussi le pus d'abcès superficiels, par exemple ceux de la cornée (v); mais ce n'est pas là un abcès de la muqueuse elle-même. Le plus souvent le pus se forme à la surface libre des membranes muqueuses; on n'a pas d'abcès, mais ce qu'on nomme suppuratio aperta. Pour que le pus des membranes muqueuses forme collection, il faut une circonstance toute particulière, l'existence préalable d'une cavité fibreuse (sac lacrymal) ou osseuse (sinus maxillaire, frontaux, cellules ethmoidales, mastoïdiennes, caisse du tympan), dont les ouvertures ou conduits communiquant à l'extérieur, se rétrécissent ou s'oblitèrent. Quant aux membranes séreuses, leur disposition en cavités closes est favorable à la collection du pus, mais de plus leurs abcès peuvent être circonscrits par des adhérences dues à l'épanchement de la lymphe coagulable (abcès interlobaires des poumons, etc.). Plus souvent, ce sont les parois mêmes de la cavité séreuse qui deviennent celles de la collection purulente (empyème, abcès des articulations, des bourses muqueuses et tendineuses, de la tunique vaginale).

Les VAISSEAUX ne sont pas également siége d'abcès. On ne connaît pas d'exemple d'un foyer purulent dans un tube artériel, quoiqu'on trouve quelquefois un enduit purulent à la surface interne d'une artère enflammée ou des grumeaux de pus dans un caillot qui l'obstrue. Au contraire, la phlébite donne des occasions assez fréquentes de voir du pus dans une veine oblitérée au-dessus et au-dessous du point où il est amassé, ou de l'y rencontrer au centre d'un caillot adhérent ou non adhérent aux parois du vaisseau. Dupuytren a signalé la présence du pus dans la cavité des vaisseaux lymphatiques. Mais ce sont surtout les ganglions auxquels ces vaisseaux aboutissent qui, dans ce système vasculaire, sont le siége d'abcès dus à l'action d'un virus spécifique ou d'une irritation transmise par la voie

des lymphatiques; ils sont aussi le siége fréquent des abcès dus au développement des tubercules.

J'ai ouvert assez fréquemment des abcès évidemment contenus dans une gaîne musculaire, notamment celle du biceps brachial. Mais leur siége était le tissu cellulaire interposé aux fibres du muscle; quant à ceux du tissu musculaire lui-même, ils sont fort rares s'ils existent, et en gé-. néral leur existence est niée. Les abcès des muscles, attribués au rhumatisme chronique par divers auteurs, ne sont que des abcès du tissu cellulaire. C'est un point curieux de l'histoire des abcès métastatiques que leur physionomie particulière dans l'épaisseur des muscles, dont les fibres, à leur niveau, semblent fondues en suppuration et manquer (Voy. INFECTION PURULENTE).

A peine peut-on donner sur les abcès des organes des considérations générales de quelque intérêt. Ils diffèrent tellement entre eux, qu'ils appartiennent presque tous à la pathologie spéciale. Ainsi les abcès du cerveau n'ont presque aucun terme de comparaison avec ceux des autres organes. Renfermés dans une cavité osseuse d'où ils ne peuvent se porter au dehors, à moins que le crâne n'ait subi quelque perte de substance, leur existence peut quelquefois être soupçonnée, mais leur siége précis reste presque toujours incertain. Il en est de même de ceux du cervelet. Le siége de ceux de la moelle épinière est plus reconnaissable à la hauteur de la paraplégie, mais ils ne sont pas moins inaccessibles à la thérapeutique chirurgicale.

Les organes glanduleux, tels que le foie, le pancréas peuvent être le siége d'abcès, et ceux du premier de ces viscères se portent à l'extérieur dans plusieurs directions (Voy. HEPATITE). Chez quelques-unes de ces glandes, les abcès sont produits par des concrétions calculeuses (parotide, amygdales, reins). La lactation interrompue est la cause ordinaire des abcès de la mamelle; cependant on en voit chez des jeunes filles et même chez les jeunes garçons. J'en ai vu un récemment chez un homme adulte. Les abcès de la prostate ne sont pas rares, ils s'ouvrent soit dans l'urèthre, soit dans le rectum. Les organes composés de tissu érectile ne sont pas exempts d'abcès. La partie spongieuse de l'urèthre, le gland, en présentent dans le cours d'une blennorrhagie. La rate en offre assez souvent de métastatiques; remarquables par le mélange du pus et du sang, les abcès de la rate s'ouvrent quelquefois dans l'estomac ou le gros intestin. Ces collections développées au voisinage de viscères creux nous amènent à parler des abcès de ces organes, qui par leur analogie de stucture se prêtent mieux aux rapprochements et à des considérations générales. Composés de plusieurs tuniques de nature diverse, que séparent des couches de tissu cellulaire, revêtus à l'intérieur d'une membrane muqueuse, quelquefois à l'extérieur d'une membrane séreuse (intestin, vessie), ces organes creux sont assez souvent le siége d'abcès phlegmoneux formés dans le tissu cellulaire interposé à leurs tuniques. Ils dérivent ordinairement cependant de l'irritation prolongée de la membrane muqueuse, et c'est de son côté, c'est-à-dire dans leur cavité, qu'ils s'ouvrent

ordinairement, quoique parfois le pus se porte dans le sens opposé et aille faire irruption dans le tissu cellulaire extérieur (abcès du pharynx) ou dans la couche sous séreuse (estomac, intestin, vessie), en déterminant une inflammation adhésive, à la faveur de laquelle il arrive à la surface du corps. La gravité de ces abcès varie avec la situation de l'organe et avec ses fonctions; un abcès du larynx ouvert à l'intérieur pourra causer la suffocation; un abcès de la vessie recevra l'urine dans son foyer; un abcès de l'estomac ouvert à travers la paroi abdominale sera suivi de fistule stomacale; un abcès de l'intestin, de l'appendice cœcal, dans les mêmes conditions, aura produit un anus contre nature, etc., etc.

Quant aux abcès des régions, leur histoire est dominée par l'anatomie chirurgicale; s'il importe de la connaître, il est impossible d'en séparer l'étude de celle de la région même à laquelle ils appartiennent, des rapports des organes qui s'y trouvent, et dont l'ensemble la constitue. Le lecteur en prendra connaissance aux articles: ABDOMEN, AINE, AISSELLE, Cou, etc.

Nous avons maintenant à traiter des abcès au point de vue du diagnostic, de la marche, du pronostic et du traitement; ils présentent entre eux trop de différences pour qu'on puisse en faire une histoire générale; et chaque espèce d'abcès doit avoir la sienne. Un abcès a-t-il une marche rapide, on dit qu'il est chaud ou phlegmoneux; sa marche est-elle lente, c'est un abcès froid, et les abcès froids se subdivisent en deux variétés, suivant qu'ils se montrent au siége primitif de l'inflammation, il est alors idiopathique, ou que le pus se déplace et va former une tumeur loin du lieu où il a été produit; c'est dans ce cas un abcès par congestion. Ces distinctions sont capitales, et nous ferons connaître les exceptions rares, et plus apparentes que réelles, que la pathologie y reconnaît. Nous allons donc nous occuper : 1° des abcès chauds ou phlegmoneux; 2° des abcès froids idiopathiques; 3° des abcès par congestion.

ABCÈS CHAUDS.

Les abcès chauds ou phlegmoneux succèdent à une inflammation aiguë plus ou moins prononcée; ils sont très-communs dans le tissu cellulaire, mais on les voit partout, et jusque dans le tissu osseux. C'est dans le tissu cellulaire qu'il est plus facile de faire leur étude générale; c'est là qu'ils présentent, pour ainsi dire, le type de la terminaison par suppuration de l'inflammation franchement phlegmoneuse. On doit y considérer la cavité, qui contient le pus et le pus lui-même.

Anatomie pathologique. — La cavité s'y opère de la manière suivante au début de l'inflammation, il se fait dans le tissu cellulaire l'exsudation d'une matière plastique, d'un blanc jaunâtre, appelée lymphe coagulable, qui remplit ses vacuoles, les rend imperméables à d'autres fluides, tels que le sang et la sérosité. Cette lymphe coagulable ou plastique bornera l'abcès; elle pose d'avance des limites à l'extension du foyer purulent. Alors, au milieu de la masse compacte, friable, d'un rouge violacé, où le sang, la sérosité, les grumeaux de lymphe coagulable accumulés,

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