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sifflaient et frappaient dans tous les sens. La jeune femme insiste et s'élance vers un groupe de morts et de mourants déposés non loin de là; des soldats se pressent autour d'elle comme pour lui servir de cuirasse pendant son évangélique mission, payant ainsi leur tribut d'hommage, de respect et de dévoûment à Mile Blanche d'Avignon, cette héroïne de bienfaisance !...

Quelques heures plus tard, un ange descendu du ciel sous le costume d'une sœur hospitalière, et n'ayant pour talisman qu'un petit crucifix en bois, se présente encore au colonel du 1er de lanciers qui avait pour mission de garder la ligne entière des boulevarts jusqu'à la Bastille.

Sur ce point, le boulevart offrait l'aspect de la désolation; tout y était désert, triste et silencieux; on n'y découvrait que cadavres, quelques vedettes; aux débouchés des rues quelques patrouilles se croisant de distance en distance; l'on n'entendait que quelques cris plaintifs au pied des maisons. C'était là que voulait se rendre cette sœur angélique par son âge comme par sa beauté surnaturelle.

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<«< Et quoi? ma sœur! vous vous exposez seule ainsi « au milieu d'un pareil chaos?...

- « Ah! monsieur le colonel, je ne crains rien; >> et lui montrant ce petit crucifix qu'elle tient en main, elle s'écrie :

<< Au nom de Jésus-Christ, je vous demande, mon

sieur le colonel, de me permettre d'accomplir mes devoirs de sœur de charité?...

-«Sainte femme, reprit le colonel de Rochefort, vous êtes une providence sur cette terre; remplissez votre mission, mais sous la protection toutefois de quelques-uns de mes lanciers. >>

Peu d'instants après, apparut un homme tout vêtu de noir et marchant d'un pas précipité dans la direction du colonel; c'était un autre vicaire de Jésus-Christ, mais à qui une consécration spéciale a donné des droits spirituels que n'ont pas les sœurs de Saint-Joseph.

Ce vicaire venait, lui aussi, invoquer son droit de consolations aux mourants, et de sublimes espérances!

Ah! que la religion a de puissance sur les cœurs animés de sa foi! Voilà deux jeunes femmes, seules, bravant tout ce que l'on redoute le plus en ce monde, la. mort et le contact avec des cadavres! oui, voilà deux jeunes femmes qui, de leurs mains délicates, tournent, retournent des corps ensanglantés pour y chercher encore un souffle de vie, des soins à prodiguer !...

Voilà un ministre du Seigneur qui, agenouillé près d'un malheureux à l'agonie, cherche à lui faire entendre quelques paroles de paix et d'espérance!.....

Oui, voilà de ces scènes touchantes qui se sont renouvelées pendant une partie de la nuit qui a suivi la tourmente de la journée du 4 décembre. Qu'en pensez-vous, voltairiens de 1851?...

CHAPITRE XXXI.

Vendredi 5 Janvier (8 heures à midi).

Quelle nuit d'angoisses et de stupeur fut pour tout Paris celle du jeudi au vendredi!... et surtout pour les habitants des boulevarts et des quartiers Saint-Denis, Saint-Martin, Rambuteau et Montorgueil !...

Là, des cadavres gisaient pêle-mêle sur le seuil des portes comme au milieu des rues, comme au pied des barricades, et l'on ne savait si au lever de l'aurore ne recommencerait pas la lutte avec plus d'acharnement encore; si, en un mot, Paris tout entier ne s'ensevelirait pas sous un monceau de cendres, car l'on n'ignorait pas les projets infernaux de certains membres des sociétés secrètes, aidés de quelques centaines de bandits.

Mais l'armée, par l'énergie de son attaque avait im

primé une terreur telle parmi cette masse qui n'a de pareille nulle part au monde, qu'elle s'enfuit épouvantée et n'osa plus reparaître ; et de même que sur un champ de bataille, l'audace d'une attaque est toujours le meilleur moyen de succès et d'économie d'hommes, de même la résolution et l'ardeur des soldats pendant le combat du 4 décembre, tout en faisant de regrettables victimes, ont peut-être sauvé Paris, mais certainement lui ont épargné bien des malheurs privés, bien des dé

sastres.

Rentré à minuit, dès sept heures du matin je recommençais déjà mes pérégrinations historiques. Je me dirigeai par la rive droite, depuis l'Hôtel-de-Ville jusqu'aux Champs-Elysées, dans l'espérance d'y avoir des nouvelles de la brigade de Cotte que je savais avoir le plus souffert.

Le temps était humide et froid, peu d'habitants s'étaient encore hasardés à sortir. L'aspect du quai était sombre, les quelques passants que je rencontrais portaient sur leurs traits l'empreinte de l'inquiétude, quelques-uns même de la stupéfaction.

A la hauteur du pont des Arts, j'aperçus, débouchant par la rue de Seine, une tête de colonne d'infanterie. Je pressai le pas et j'arrivai en même temps qu'elle au pont des Saints-Pères. C'était une brigade qui quittait ses positions de la rive gauche pour aller se masser sur la place Louis XV.

Je la suivis jusque-là.

Cette longue colonne, munie de tous ses ustensiles de guerre, marchait en silence; l'on n'entendait retentir sur le pavé que son bruyant attirail d'artillerie, et j'avoue que j'en ressentis une vive impression, car l'attitude des soldats me parut des plus déterminée, et malheur à qui les eût provoqués.

Je continuai jusqu'au Cirque ; sur l'avenue de la Reine ainsi que dans les quinconces du Panorama, j'aperçus des lanciers au bivouac, et recouverts de leurs manteaux blancs.

Sur l'asphalte qui borde la chaussée, des tas de paille annonçaient que là aussi avait bivouaqué de la cavalerie, mais il n'y restait plus personne; quelques voitures du train des équipages, chargées, les unes de fourrages, les autres d'avoine, quelques ambulances en réserve : voilà les seules troupes que je rencontrai aux ChampsElysées, et personne ne put me dire ce qu'était devenue la brigade que je cherchais avec une si juste impatience.

Un dragon du 12o m'annonça seulement que son régiment venait de partir pour faire une reconnaissance sur les boulevarts extérieurs, et que les carabiniers et les cuirassiers étaient allés s'établir sur les boulevarts, depuis la Madeleine jusqu'à la Bastille.

Les Champs-Elysées étaient tristes et déserts; je n'y rencontrai que quelques groupes d'individus se chauffant à des bivouacs à demi éteints.

Un bataillon du 6e léger, commandé par mon ancien camarade de la Rochette, venait de prendre le service à

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