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<< vous faire le dépositaire de mes projets, fondés sur << des démarches sérieuses faites auprès de moi par des « hommes éminents et par de nombreux amis de << l'Empereur.

- << Prenez garde, prince?... Défiez-vous autant des illusions de vos amis, que des piéges d'une police active et rusée ?...

<< Vous êtes trop rapproché des frontières de France et du séjour de son ambassadeur ('), pour n'être point en but à toute sa surveillance et même à mille embûches.

<< Des intrigants, comme il s'en trouve partout et toujours sous les pas des prétendants et des puissances de ce monde, n'accourent-ils pas déjà en Suisse pour exploiter votre fortune, avant de vous élever sur le pavois?...

<< Croyez-moi donc, prince; croyez et excusez la franchise d'un soldat de l'ex-vieille garde impériale : ne vous lancez pas sur des instances, sur des plans aussi suspects, aussi chimériques peut-être, dans quelque tentative aventureuse qui ne pourrait, je le crains, que compromettre votre position, votre caractère, et perdre les amis sincères qui s'associeraient à vos projets.

<< Admettons, un instant, la possibilité pour vous, au moyen d'intelligences dans un certain nombre de régiments, de tenter un second 20 mars, et d'arriver

(') Berne.

jusqu'à Paris, sous l'escorte de quinze à vingt mille soldats, ou volontaires du peuple ou des campagnes; admettons que Louis-Philippe, ne trouvant personne pour le défendre, vous cède la place, comme Louis XVIII le fit à votre oncle.

<< Les difficultés pour vous, prince, sont bien moins encore d'arriver jusqu'à Paris, que de vous y maintenir.

<< Dès le lendemain, surgiront pour vous des obstacles aussi imprévus qu'insurmontables, dans la situation actuelle des esprits en France; réservez-vous pour une meilleure occasion, qui, tôt ou tard, peut vous assurer une belle page dans l'histoire!...

<< Vous vous plaigniez tout à l'heure, prince, des tortures de l'exil. Eh bien! il est un autre Français qui n'a pas plus mérité sa mauvaise fortune que vous, et ce Français est l'héritier direct, unique, des rois de France !...

<< Unissez votre mauvaise fortune à la sienne. UNE ÉPÉE DE CONNÉTABLE est préférable à une couronne usurpée, et en quelles mains pourrait-elle jamais être mieux placée qu'entre les mains d'un neveu de l'Empereur ! »

A ces paroles prononcées, je l'avoue, avec une chaleureuse inspiration, une teinte pourprée se répandit sur le visage du prince; deux larmes s'échappèrent de ses paupières... J'avais touché quelque corde sensible, révélé peut-être un trait de lumière inconnu à ce jeune prince, élevé dans la pensée d'un rôle important en Europe.

Après quelques secondes de silence, le prince reprit : << Mais nos droits seraient rivaux !... >>

((- Ah! permettez, prince; depuis deux heures j'emploie toute mon éloquence à chercher à combattre vos illusions à ce sujet, car

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<< Daignez, prince, excuser ma franchise, peut-être un peu trop en désaccord avec vos entretiens habituels avec des Français qui peut-être vous trompent ou s'abusent.

« Cette entrevue, prince, vous assure mon affection personnelle, sinon mon concours efficace à la réalisation de vos projets, que je crois tout au moins imprudents, et je m'estimerai toujours heureux chaque fois que je trouverai l'occasion de vous exprimer les sentiments tout particuliers que vous m'avez inspirés; mais permettez-moi, prince, d'insister sur le conseil d'amitié vraie que vient de me dicter mon respect pour la mémoire de l'Empereur. »

Cinq semaines après cet entretien, le prince LouisNapoléon réalisait à Strasbourg ses projets et mes appréhensions.

LIVRE TROISIÈME.

Ma seconde visite au Prince Louis.

Son portrait en trois mots.

Prince.

Une scène amoureuse entre deux personnages éminents. — Tentative de Boulogne. Mon entretien avec un émissaire du Assaut de franchise et de loyauté politique d'un légitimiste et d'un bonapartiste.-M. Thiers et son guet-apens. Mes prédictions sur la conjuration de 1840. Leur réalisation et leurs conséquences. Fatales illusions.

CHAPITRE VIII.

En prenant congé du prince Louis pour me rendre à Interlaken, limite extrême de mon voyage en Suisse, je lui promis une seconde visite à mon retour. Je réalisai ma promesse huit jours après, et dans cette nouvelle entrevue qui dura plusieurs heures comme la première, nous restâmes l'un et l'autre inébranlables sur nos terrains respectifs.

Mais si le prince a conservé depuis lors quelque estime pour mon caractère, quelque affection pour ma personne, de mon côté, je ne dissimulai jamais l'opinion que j'em

portai sur les qualités rares dont la nature l'avait doté, et que semblent développer les obstacles ainsi que chaque crise qu'il provoque. N'en avons-nous pas en ce moment sous nos yeux les plus éclatants témoignages?

L'une des qualités dominantes chez le prince est la persévérance que favorisent si éminemment le calme le plus imperturbable, une profondeur, un mystérieux à la Louis XI.

Ces qualités si précieuses et si peu ordinaires, quand elles se concentrent dans un cœur fortement trempé, font bouillonner le cerveau, inspirent de grandes choses, font mépriser les dangers, affronter les tempêtes.

En 1840, je me reposais de mes fatigues de conjuré de Henri V, dans l'une des plus gracieuses villas du bois de Boulogne. Je m'y livrais aux douces jouissances de famille si souvent troublées depuis lors, car ma tâche politique et OFFICIELLE n'était point encore remplie. J'assistais, en voisin de charmilles, aux tendres épanchements de l'un des ministres les plus austères du roi dont je sapais le piédestal depuis dix ans. J'assistais aux roucoulements de ce tourtereau de cinquante-huit ans avec une tourterelle de soixante, et déjà célèbre en Europe; je souriais du milieu d'une touffe épaisse de lilas, aux agaceries amoureuses de ce puritain génevois. J'étudiais, à la faveur d'une lampe merveilleuse dont le reflet frappait d'aplomb sur le visage de la belle étrangère, j'étudiais, dis-je, à la faveur de l'astre des amants, en ce moment dans toute sa splendeur, les émotions de cet intermède amoureux, lorsque je m'entendis appeler

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