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elle a été bien lente à se relever. Les leçons de scandale qui tombaient du trône ne furent pas en effet perdues; et la corruption qui fermente, malgré l'apparente austérité des dernières années, éclatera, sans retenue comme sans pudeur, sous le nouveau règne. Ces ducs d'Orléans et de Vendôme livrés à de sales débauches, ce duc d'Antin surpris en flagrant délit de vol, et tant d'autres qui savaient corriger au jeu les chances de la fortune; ces princesses du sang qui, à

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Marly, à deux pas du roi et de Mme de Maintenon, envoient chercher de si étranges passe-temps ; cette cour enfin, qui

1. La duchesse de la Ferté réunissait chez elle ses fournisseurs, bouchers, boulangers, etc., les mettait auteur d'une grande table et jouait avec eux une espèce de lansquenet. Elle me disait à l'oreille: Je les triche, mais c'est qu'ils me volent. (Mémoires de Mme de Staal.) Voir aussi les étranges Mémoires de la marquise de Courcelles, morté en 1685.

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2. Monseigneur joua tard dans le salon. En se retirant chez lui, il monta chez les princesses (les duchesses de Chartres et de Bourbon) et

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selon l'expression de Saint-Simon, « suait l'hypocrisie ', »> tout montre, sous un roi qui se fait dévot, ne pouvant plus être autre chose, que la morale, la conscience et la dignité humaines ne sont jamais impunément violées. Déjà même, en plein Versailles, s'entend un cri précurseur. En face de ces vices dorés, la Bruyère écrit : « Les grands n'ont point d'âme; je veux être peuple 2. » C'est à Versailles que s'est perdue la noblesse de France. L'ennui officiel y conduisit aux débauches secrètes; la dévotion de commande à l'impiété; l'habitude de tout recevoir du monarque à la croyance que tout était dû non aux services, mais à la servilité.

Symptômes d'un esprit nouveau. Cependant des hommes qui n'étaient peut-être pas de grands esprits, mais qui étaient certainement des cœurs honnêtes et des caractères élevés, Fénelon, le duc de Beauvilliers, Saint-Simon, Catinat, voyaient poindre les nuages à l'horizon et quelques-uns hasardaient de respectueux conseils. Vauban, qui souffrait de toutes les douleurs du pays, fit des plans aussi pour les soulager; il demanda le rétablissement de l'édit de Nantes et le retour à la tolérance religieuse; il proposa de remplacer tous les impôts par un impôt unique, la díme royale, que tous, nobles et prêtres, payeraient comme les roturiers. Quand il présenta, en 1707, ce livre au roi, Louis, oubliant les immenses services du maréchal, fit condamner l'ouvrage

les trouva qui fumaient avec des pipes qu'elles avaient envoyé chercher au corps de garde suisse. Monseigneur leur fit quitter cet exercice; mais la fumée les avait trahies. Le roi leur fit le lendemain une rude correction. (Saint-Simon, chap. xxxII, t. II, p. 123, année 1695.) Saint-Simon accuse Monsieur d'avoir perverti son fils par ses exemples, et le prince de Conti, le duc de Bourbon, d'avoir contribué à cette éducation.

1. Les Lettres de la mère du régent confirment en tous points ces mots de Saint-Simon. On peut voir aussi dans les Lettres et les Mémoires de la marquise de Courcelles (bibliothèque elzévirienne de Jannet), que le grand siècle se permettait bien des choses que ne se permettrait plus celui-ci. En 1703, Mlle de Conti, princesse du sang, n'avait que dix ans et venait de faire sa première communion. Le roi l'exhortait à persévérer. . Mais, répondit-elle, il y a bien des gens à la cour qui se moquent de mes exercices de piété. Le roi s'étonne. Oui, dit-elle, on me raille, quand je vais à confesse. C'est Mme de Maintenon qui rapporte ce fait dans ses lettres aux demoiselles de Saint-Cyr. Voilà où en était la cour douze ans avant la mort du roi. Et elle ajoute avec un sentiment de religieuse tristesse : Nos jours sont longs ici (à la cour), la jeunesse meurt d'ennui..

2. Caractères, chap. de l'homme. Pascal, discutant les priviléges des nobles et des rois. leur avait dit en face: Vous n'êtes que des rois de concupiscence. Discours sur la condition des grands, p. 401 de l'édition de M. Havet.

au pilori. Les vœux patriotiques d'un grand citoyen étaient reçus comme les idées perverses d'un rêveur sacrilege. Six semaines après, Vauban mourut. Le roi l'avait appelé d'un nom qui doit lui servir aujourd'hui de titre d'honneur : « Un insensé pour l'amour du public. »

Colbert, déjà, était mort désespéré; Racine était tombé en disgrâce par un acte aussi de patriotisme, et c'était moins ses opinions religieuses que ses idées politiques qui avaient valu à Fénelon cet exil d'où il ne revint pas. Autour de son élève, le duc de Bourgogne, s'était réveillé l'esprit aristocratique qui cherchait à secouer les chaînes dorées de la noblesse; et le duc de Saint-Simon, le comte de Boulainvilliers écrivaient dans le silence leurs pages passionnées et fières. Dans cette Grèce ancienne qu'il aimait tant, Fénelon avait retrouvé l'idée, qu'il transmit au dix-huitième siècle, que les gouvernements sont faits pour les gouvernés. Si l'on n'osait le dire tout haut au dedans, on le disait au dehors avec une hardiesse singulière. Dès l'année 1690, il s'imprimait en Hollande quinze mémoires sous ce titre : Les soupirs de la France esclave, où l'on réclamait, comme de vieilles libertés du pays, les priviléges des trois ordres et la convocation des états généraux. C'étaient des signes précurseurs de l'esprit nouveau qui allait au dix-huitième siècle agiter la société française, après la double épreuve des courts bienfaits et des longs dangers de cette royauté absolue dont Louis XIV venait d'être la plus éclatante personnification.

1. Il avait remis à Mme de Maintenon un mémoire sur la réforme des finances qui irrita beaucoup le roi. Saint-Simon, si hostile lui-même au système du règne, dit de Cat.nat: Il déplorait les fautes commises, le vice, l'ignorance, l'inquisition mise à la place de la police, et, voyant tous les signes de la destruction, prédisait qu'il n'y avait qu'un comble trèsdangereux de désordre qui pût enfin rappeler l'ordre dans le royaume..

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CHAPITRE LIV.

LE SIÈCLE DE LOUIS XIV'.

Caractère littéraire du dix-septième siècle en France. - Le seizième siècle avait fait la réforme religieuse, le dix-huitième siècle fera les réformes politiques. Placé entre ces deux âges révolutionnaires, le dix-septième eut, dans les lettres un si parfait équilibre des forces de l'esprit, une puissance d'écrire si complétement égale à la puissance de penser, qu'il est resté par excellence le siècle littéraire de la France. Les générations qui vivent dans les jours d'orage, au milieu des discussions brûlantes, vont plus haut et plus bas, mais n'arrivent jamais à cette calme et sereine beauté que la postérité ne se lasse plus de contempler.

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Le siècle de Louis XIV avant Louis XIV. Quelle part revient-il au roi dans cette gloire de l'esprit français? Une très-considérable, disait-on autrefois. Aujourd'hui on sait mieux qu'au moment où Louis prit en main le gouvernement, le France avait déjà recueilli la moitié de la gloire littéraire que le dix-septième siècle lui réservait. Corneille, Descartes, Pascal, avaient donné leurs chefs-d'œuvre; Mme de Sévigné, la Rochefoucauld, Molière, la Fontaine, Bossuet, étaient en pleine possession de leur talent; enfin les deux plus grands peintres du siècle, Lesueur et Poussin, étaient morts ou allaient mourir. La société française avait donc en 1661 toutes les forces de l'esprit, Une seule chose lui manquait, le goût, c'est-à-dire la juste proportion des choses. Voiture, Mlle de Scudéry, régnaient, mais les

1. Principaux ouvrages à consulter: Charles Perrault, Mémoires; Pellisson. Histoire de l'Académie française; Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. xxxit; Walckenaër, Vie de Mme de Sévigné; Nisard, Histoire de lá littérature française; Demogeot, id.

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Provinciales (1657) avaient porté le premier coup, les Précieuses ridicules (1659) le second; le troisième sera frappé par Boileau, qui venait d'écrire sa première satire.

On sait aussi, par ceux qui vinrent ensuite, qu'il n'y a pas au monde de pouvoir capable de faire un grand écrivain, quand la nature, l'éducation et les circonstances ne l'ont pas produit. Tout ce que le génie demande à la puissance, c'est de ne lui être pas contraire. Elle ne lui donne pas la voix, mais elle peut l'étouffer. Elle peut aussi le soutenir, l'exciter par des faveurs, mieux encore par des égards, et c'est ce que Louis a compris et fai admirablement. Lui dont une parole, un sourire, étaient regardés comme une précieuse récompense, même pour d'éclatants services, il comblait d'égards Racine; il se aissait battre dans une discussion littéraire par Boileau; il permettait à Mansart de lui parler à toute heure; et les grands voir peut-être un jour le fils d'un tapissier, l'auteur du Misanthrope, assis en face du roi à cette table où les princes du sang eux-mêmes ne venaient s'asseoir qu'aux jours les plus solennels de leur vie '.

Au reste, les muses reconnaissantes rendirent bien plus qu'elles n'avaient reçu : elles ont consacré son nom. Nousmême, tout en croyant que les Mécènes ne font pas les Virgiles, nous conserverons le mot consacré de siècle de Louis XIV pour désigner cette période de notre littérature qui s'étend des commencements de Corneille à ceux de Voltaire, parce que Louis eut pour les arts et les lettres un goût et des faveurs auxquels nous ne devons assurément aucun de nos grands écrivains, mais qui, en honorant les lettres, ont préparé leur puissance.

Louis XIV n'estimait

Les académies et les pensions. pas que la littérature fût une force, et de son temps elle ne l'était pas encore; mais il la regardait comme un ornement nécessaire, comme un luxe digne d'un grand roi. Il favorisa donc les lettres, toutefois en les disciplinant, et il y eut sous lui, comme Richelieu l'avait commencé, un véritable gouvernement de la littérature: Colbert en fut le ministre. On a

1. On a contesté l'anecdote du roi partageant avec Molière son en-cas, parce qu'elle n'est rappelée que dans les Mémoires de Mme de Campan; mais le fait de Louis XIV versant à boire à Scaramouche n'est guère contesté et permet bien d'accepter l'autre. (Despois, Des influences royales en littérature.)

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