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ligionnaires dans les Pays-Bas, où le duc d'Albe avait fait périr dans les supplices 18 000 personnes, et où les gueux de Hollande venaient de fonder la république batave. Une pareille entreprise plaisait aux Huguenots, et semblait un retour à la vieille politique étrangère, oubliée depuis la mort de Henri II. Coligny voyait, dans une guerre avec l'Espagne, un moyen de maintenir glorieusement et sûrement la paix en France.

Charles IX avait alors vingt et un ans. Esprit assez heureux, mais caractère à la fois faible et violent, gâté par le pouvoir absolu, et par ses favoris italiens qui lui pervertissaient le cœur, il joua fort bien, et quelque temps à son insu, le rôle que lui réserva sa mère. Il avait trouvé plus d'une fois que les chefs huguenots portaient trop haut la tête, et n'avait pas oublié les conseils homicides que le duc d'Albe lui donnait à Bayonne. Mille têtes de grenouilles ne valent pas une tête de saumon. » Mais alors il était impatient du joug de sa mère, envieux des victoires qu'on attribuait à son frère. Mobile et passionné, il entra avec ardeur dans ces nouveaux projets, écrivit à Coligny, à Jeanne d'Albret, et poussa à la prompte conclusion du mariage de Henri de Béarn avec sa sœur. La reine de Navarre se décida à venir à Paris, l'amiral l'y suivit. « Enfin nous vous tenons, mon père, lui dit le jeune roi en l'embrassant, et vous ne nous échapperez pas quand vous voudrez. » Après le chef, nombre de gentilshommes huguenots accoururent pour avoir leur part des fêtes et des bonnes grâces du roi.

Catherine elle-même fut effrayée; elle avait trop bien réussi. Le roi ne voyait plus que par les yeux de Coligny; il pressait l'arrivée des dispenses pour le mariage, que le pape voulait refuser; il faisait lever des troupes pour Coligny et rassemblait une flotte contre la Flandre. Les protestants, encouragés, rédigeaient, en synode, à la Rochelle, la confession qui leur sert encore de règle aujourd'hui. Catherine fit des remontrances à son fils, qui les reçut fort mal; il semblait alors décidé à acquérir « gloire et réputation par la guerre espagnole, » et il répondit à sa mère qu'il n'avait pas de plus grands ennemis qu'elle et son fils le duc d'Anjou. Mais les passions travaillaient pour Catherine; le duc d'Anjou, les Guise, Tavannes, tous les seigneurs catholiques qui avaient combattu la réforme, voyaient avec colère l'influence passer à leurs ennemis. Philippe II, menacé dans les Pays-Bas, rẻ

pandait l'argent dans le peuple pour exciter des troubles. Quand la cour vint à Paris, avec son nouveau cortège de gentilshommes huguenots et de ministres protestants, une sourde colère gronda dans la ville. Un premier événement causa quelque émotion. Jeanne d'Albret mourut presque subitement le 9 juin. On crut à un empoisonnement, qui n'a pas été prouvé. Quand le mariage fut célébré, le 18 août, à la porte de Notre-Dame, on eut grand'peine à empêcher une

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émeute; les chaires retentissaient dans toutes les églises de malédictions contre les huguenots, et ceux-ci ne se faisaient point faute de bravades dans les rues.

Catherine arrêta alors le plan le plus machiavélique : c'était de faire assassiner Coligny par les Guise, les huguenots vengeraient leur chef sur ceux-ci; puis les troupes royales surviendraient pour tomber sur les uns et sur les autres comme violateurs de la paix publique. Le 12 août, Coligny reçut, en sortant du Louvre, un coup de feu tiré par Maurevel, assassin de profession aux gages du duc de Guise. A la

première nouvelle du meurtre, Charles IX courut auprès de l'amiral « La blessure est pour vous, dit-il, la douleur est pour moi; » et il jura de le venger.

Le lendemain, le roi semblait dans les mêmes sentiments, mais la reine vint l'assaillir avec le duc d'Anjou, le duc d'Angoulême, Tavannes, le chancelier Birague, le maréchal de Retz, le duc de Nevers; les trois derniers Italiens. Elle représenta que les deux partis étaient prêts à en venir aux mains; que chacun d'eux élirait un chef, et qu'il ne resterait plus au roi que son titre, si encore il lui restait. « La guerre est inévitable, dit Tavannes; il vaut mieux la gagner à Paris, que de la mettre en doute en la campagne. » Le roi résistait sa mère lui cita le proverbe italien que la douceur est souvent cruauté et la cruauté douceur; puis elle menaça de quitter la cour avec son autre fils, le duc d'Anjou, pour n'être pas témoin de la ruine de sa maison, pour ne plus voir tant de peur et de lâcheté. Elle avait bien calculé l'effet de cette dernière parole sur un esprit violent. Charles, jusqu'alors immobile et sombre, s'écria tout à coup que, puisqu'on trouvait bon de tuer l'amiral, il voulait qu'on tuât tous les huguenots de France, « afin qu'il n'en restât plus un pour le lui reprocher après. » Un des conseillers italiens avait déjà dit: « qu'il fallait tout tuer, le péché étant aussi grand pour peu que pour beaucoup. »

La municipalité de Paris était prête. Elle avait depuis quelque temps étudié ce grand coup et tout préparé pour le faire réussir. Le prévôt des marchands, mandé au Louvre, reçut du roi l'ordre de fermer les portes et de tenir sur pied les capitaines, lieutenants et bourgeois dont il était sûr, il promit d'y mettre si bien les mains à tort et à travers qu'il en serait fait mémoire. » La cloche de Saint-Germain l'Auxerrois devait donner le signal à trois heures, dans la nuit du 24 août, fête de la Saint-Barthélemy. On n'attendit pas jusque-là. A deux heures la cloche s'ébranla, et, un peu plus tard, le tocsin de toutes les églises y répondit.

Henri de Guise, d'Aumale, le bâtard d'Angoulême, se précipitèrent vers l'hôtel de Coligny. Un Allemand, Besme, entra le premier dans la chambre. Coligny était debout. « N'estu pas l'amiral? lui cría Besme. - C'est moi, répondit-il d'un visage paisible et assuré. Jeune homme, tu devrais respecter mes cheveux blancs; toutefois, fais ce que tu voudras: aussi bien ne feras-tu guère ma vie plus brève. » Besme lui plon

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gea son épée dans la poitrine. Le duc de Guise lui criait d'en bas: « Besme, as-tu achevé? - C'est fait, répondit-il.-Jettele donc par la fenêtre. » Coligny respirait encore. Besme et les autres le jetèrent dans la cour, où Guise, après l'avoir indignement frappé du pied, l'abandonna aux outrages de la populace.

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Les maisons des huguenots avaient été marquées de blanc, et on avait la liste de ceux qui les habitaient. Téligny, gendre de l'amiral, la Rochefoucault, un ami du roi qui avait passé avec lui joyeusement la soirée, Pardaillan, la Force, dont le second fils contrefit le mort et resta tout un jour caché sous les cadavres de son père et de son frère aîné, furent égorgés après l'amiral, surpris pour la plupart dans leur lit.

« Saignez, criait Tavannes en parcourant les rues, la saignée est aussi bonne en ce mois d'août comme en mai. »

Le roi de Navarre et le prince de Condé furent menės au roi, qui les menaça de mort, s'ils n'abjuraient. On tua jusque dans le Louvre, et les dames de la cour allèrent au matin voir les cadavres. On diffère sur le nombre des morts; les uns disent dix mille, d'autres quatre mille, d'autres encore deux mille. Ce dernier chiffre est le plus vraisemblable.

Le matin, s'il faut en croire l'Estoile, le roi avait, d'une des fenêtres du Louvre, « giboyė aux passants, » tirant avec une longue arquebuse sur les protestants qui fuyaient par le faubourg Saint-Germain; mais, dans la journée, quand il eut vu la Seine charrier tant de cadavres, la fièvre de sang tomba; il eut horreur de ce qui s'était fait, et il écrivit dans les provinces pour arrêter la contagion de l'exemple, rejetant tout sur une querelle qui aurait éclaté entre les Guise et les Châtillon. Mais la reine mère lui fit craindre de laisser le bénéfice du crime à ses plus dangereux ennemis. Une aubépine, qu'on trouva le lendemain refleurie, parut un miracle et ranima le fanatisme. La foule, avec ces instincts de bête féroce qui se retrouvent à de certains moments dans les basfonds de la société et dans la lie des grandes villes, recommença à tuer. On tuait non-seulement les huguenots, mais les créanciers, un rival, un ennemi. Les voleurs, la croix au chapeau et le mouchoir blanc au bras, égorgeaient sous prétexte de huguenoterie ceux qu'ils voulaient piller. La plus illustre victime de ce jour-là fut Ramus'. On tua encore les jours suivants. Il y eut des meurtres jusqu'au 17 sep

tembre2.

Cependant le roi, adoptant l'avis de sa mère, alla, le 26,

1. Il fut tué dans son cabinet, au collège de Presle, à l'instigation de son rival Charpentier; les assassins le jetèrent, vivant encore, d'un cinquième étage, et traînèrent par les rues le cadavre palpitant jusqu'à la Seine. Cf. Ramus, par Ch. Waddington, p. 118. La tradition relative à Jean Goujon, tué sur un échafaudage pendant qu'il travaillait à ses sculptures de la cour du Louvre, ne repose sur aucun témoignage historique. Les listes des victimes ne portent même pas son nom.

2. La municipalité de Paris donna des gratifications aux archers qui avaient aidé au massacre, aux passeurs d'eau qui avaient empêché les protestants de passer la rivière, aux fossoyeurs de Saint-Cloud, d'Auteuil et de Chaillot, pour avoir enterré, depuis huit jours, onze cents corps ou environ; enfin elle fit frapper des médailles pour mémoire du jour de saint Barthelemy (Diol. adm. et histor. des rues et monum. de Paris, par F. et L. Lazare, 1855.)

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