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rêter tous les Anglais voyageant en France, interdit dans tous nos ports l'entrée des marchandises anglaises, envoya des garnisons dans les places maritimes du royaume de Naples, et mit la main sur le Hanovre, possession continentale du roi d'Angleterre, puis il revint, et cette fois avec la pensée sérieuse de l'entreprendre, au projet de franchir le Pas de Calais et d'aller conquérir la paix dans Londres même. L'Angleterre remua tout le continent pour nous trouver des ennemis. Elle ébranla la Russie, l'Autriche, la Suède, chercha à entraîner la Prusse, depuis huit ans notre alliée, et, joignant à la guerre légitime la guerre de guet-apens', elle soudoya la conspiration de Georges Cadoudal et de Pichegru, dans laquelle Moreau se laissa impliquer. Cadoudal vint à Paris avec quelques-uns de ses chouans pour assassiner le Premier Consul et rétablir les Bourbons. La police les prévint, et on vit le vainqueur de Hohenlinden forcé, la rougeur au front, de s'asseoir, comme complice, à côté d'un chef de chouans. Pichegru s'étrangla dans son cachot; Moreau fut condamné à deux ans de prison. Cadoudal, les comtes de Rivière, de Polignac, et dix-sept autres furent condamnés à mort; deux seulement furent exécutés avec Georges. Joséphine et Murat arrachèrent la grâce de MM. de Rivière et de Polignac. Moreau eut remise de sa peine. Il s'exila aux ÉtatsUnis et n'en revint qu'en 1813 pour diriger la dernière coalition.

Une autre tragédie précéda celle-là. Le duc d'Enghien, le dernier des Condé, fut enlevé du château d'Ettenheim, dans le grand-duché de Bade, conduit à Vincennes, livré à une commission militaire, et la même nuit, condamné et fusillé dans les fossés de la place. Le duc nia qu'il eût connu les projets de Georges, mais il ne se tenait évidemment à quatre lieues de la frontière française que pour profiter d'un mouvement préparé à Paris, dont il est possible qu'on lui eût laissé ignorer le caractère. Il avoua être venu plusieurs fois à Strasbourg, et on lui appliqua la loi touchant les émigrés qui

1. On saisit des lettres de deux ministres anglais à Munich et à Stuttgardt, qui prouvaient que ces agents soudoyaient des assassins contre le Premier Consul, et payaient, non-seulement pour allumer la guerre civile, mais pour faire sauter les magasins à poudre, etc. Le ministère anglais avoua publiquement ses agents. Constant affirme dans ses Mémoires, qu'on trouva un jour à la Malmaison, sur une table de travail du Premier Consul, une tabatière en tout semblable à celle dont il se servait, et dont le tabac était empoisonne.

avaient porté les armes contre la France (20 mars 1804). Il était couvert par le droit des gens, car il n'avait pas été pris dans une action de guerre ni sur notre territoire. Sa mort fut un acte mauvais de représailles. Le Premier Consul, entouré d'assassins partis de Londres, voulut « renvoyer aux Bourbons la terreur jusque dans Londres même. » — « En une circonstance semblable, a-t-il écrit dans son testament, j'agirais encore ainsi. » Il se trompait lui-même, ou plutôt voulait tromper la postérité, car il savait bien que cette condamnation avait eu de déplorables conséquences. La violation du droit ôte plus de force qu'elle ne paraît d'abord en donner. La Prusse prête à entrer dans notre alliance se rejeta vers la Russie, et de ce jour la coalition renoua ses liens deux fois brisés.

FAITS DIVERS.

Importation du métier appelé la Mull-Jenny (1800); Chateaubriand publie le Génie du Christianisme (1802); création de l'École spéciale militaire (1803); essai du bateau à vapeur de l'Américain Fulton sur la Seine, à Paris (1803).

CHAPITRE LXIV.

REGNE DE NAPOLEON 1er JUSQU'A TILSITT (1804-1807).

Proclamation de l'Empire (18 mai 1804). Le glorieux soldat d'Arcole et de Rivoli, devenu le premier général de la République, avait aspiré à gouverner la France, que le Directoire ne gouvernait pas ou qu'il gouvernait mal, et il avait fait le 18 brumaire. Nommé premier consul pour dix ans, il avait gagné par d'éclatants services la reconnaissance du pays, et quand les factions dirigèrent contre lui la machine infernale ou le poignard des assassins, la France protesta contre ces criminels attentats en lui continuant à vie ses fonctions décennales. Ce pouvoir qui ne devait plus sortir de ses mains, il voulut qu'il ne sortit plus de sa famille. La France n'était pas disposée à marchander un titre de plus à qui lui donnait tant de gloire et de sécurité. Et quand II- - 37

l'attentat de Georges Cadoudal l'eut encore une fois épouvantée, elle répondit aux complots des royalistes en lui offrant l'empire. Le Tribunat presque tout entier, moins Carnot et quelques autres, émit le vœu que Bonaparte fût nommé empereur héréditaire : le Sénat le proclama sous le nom de Napoléon Ier, et le peuple ratifia, par 3 572 329 suffrages contre 2 569, l'établissement d'une dynastie nouvelle qui, née de la Révolution, devait en conserver les principes. Mon esprit, dit Napoléon, en prenant le titre d'empereur héréditaire, mon esprit ne serait plus avec ma postérité le jour où elle cesserait de mériter l'amour et la confiance de la grande nation. »

Sénatus-consulte organique de l'an XII. Un sénatus-consulte modifia la constitution consulaire. L'hérédité fut établie au profit de la descendance de Napoléon, de mâle en mâle, ou de ses fils adoptifs. S'il n'avait point de descendance naturelle ou adoptive, la couronne devait passer dans la ligne de Joseph, et à son défaut, dans celle de Louis, deux des frères du nouvel empereur. Une autorité absolue était attribuée à l'empereur sur la famille impériale. Ses frères et sœurs devenaient princes et princesses. La liste civile fut fixée à 25 millions; la dotation pour chaque prince à un million.

Pour donner au trône qu'on relevait, l'éclat des vieilles cours, on l'entoura d'une aristocratie nouvelle, richement dotée et portant de grands titres On voulait placer entre le monarque et la foule cette hiérarchie réglée, ces corps intermédiaires, comme Napoléon les appelait, qui paraissent indispensables à l'institution monarchique. Il y eut d'abord les grands dignitaires de l'empire, qui furent le grand électeur (Joseph Bonaparte), chargé de convoquer le Corps législatif, le Sénat, les colléges électoraux, etc.; l'archichancelier d'empire (Cambacérès), qui eut un droit de surveillance générale sur l'ordre judiciaire; l'archichancelier d'État, avec un rôle semblable pour la diplomatie; l'architrésorier (Lebrun), pour les finances; le connétable (Louis-Bonaparte), pour l'armée; et le grand amiral pour la flotte. Les grands dignitaires, en cas de minorité, formaient le conseil de régence; en cas d'extinction de la dynastie, élisaient l'Empe

reur.

Au-dessous des six grands dignitaires, dont quatre seulement furent immédiatement nommés, afin de laisser deux

places vacantes pour deux frères de Napoléon, alors en disgrâce, vinrent quarante ou cinquante grands officiers inamovibles comme les grands dignitaires.

D'abord seize maréchaux d'empire, dont quatorze furent aussitôt désignés : Jourdan, pour sa victoire de Fleurus; Masséna, pour Rivoli, Zurich et Gênes; Augereau, pour Castiglione; Brune, pour Bergen; Berthier, pour ses services éminents à la tête de l'état-major général; Lannes, Ney, pour une longue suite d'actions héroïques; Murat, pour sa vaillance exceptionnelle à la tête de la cavalerie française; Bessière, pour le commandement de la garde, qu'il avait depuis Marengo; Moncey, Mortier, pour leurs vertus guerrières; Soult, pour les services rendus en Suisse, à Gênes, au camp de Boulogne; Davout, pour sa conduite en Égypte ; enfin Bernadotte, pour un certain renom militaire, pour sa parente surtout1. Il y eut en outre quatre maréchaux honoraires, qui, étant sénateurs, n'avaient plus de service actif: Kellermann, pour Valmy; Lefebvre, pour son dévouement au 18 brumaire; Pérignon et Serrurier, pour le respect qu'ils inspiraient justement à l'armée.

Songis et Marescot, inspecteurs généraux de l'artillerie et du génie; Gouvion Saint-Cyr, colonel général des cuirassiers; Junot, des hussards; Marmont, des chasseurs; Baraguey d'Hilliers, des dragons; enfin l'amiral Bruix, inspecteur général des côtes de l'Océan, et le vice-amiral Decrès, inspecteur général des côtes de la Méditerranée, fermèrent la liste des grands officiers militaires. Celle des grands officiers civils comprit le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, grand aumônier; Talleyrand, grand chambellan; Berthier, grand veneur; Caulaincourt, grand écuyer; Duroc, grand maréchal du palais. Un grand maître des cérémonies, le comte de Ségur, fut chargé d'apprendre à la nouvelle cour l'usage de l'ancienne.

Le Sénat, composé de quatre-vingts membres élus par le Sénat lui-même, des six grands dignitaires, des princes français qui pouvaient y siéger après leur dix-huitième année; enfin des citoyens que l'Empereur y appelaient, conserva les prérogatives que la constitution de l'an X lui avait conférées. Le Corps législatif votait auparavant les lois sans les discu

1. Bernadotte avait épousé Eugénie Clary, fille d'un negociant de Marseille et sœur de la femme de Joseph Bonaparte.

ter; la parole lui fut rendue, mais à la condition de n'en user que dans les comités secrets. Le Tribunat devint de plus en plus une sorte de conseil d'État. Aussi, n'ayant plus de raison d'être, il sera supprimé en 1807.

Une haute cour impériale fut instituée pour connaître des complots ourdis contre la sûreté de l'État ou la personne de l'Empereur, et des délits commis par les ministres ou leurs agents, les membres de la famille impériale et tous les grands personnages de l'État. Elle était composée de soixante sénateurs, de vingt conseillers d'État, des grands officiers de l'Empire, etc.

La nouvelle constitution, si l'on s'arrête à ses formes extérieures, était représentative, puisqu'il y avait des élections et que les députés du pays votaient l'impôt, faisaient les lois; si l'on regarde au fond, elle était absolue, car ce ne sont pas les rouages qui font la force d'une machine, c'est la puissance que la volonté humaine leur imprime. Or, en 1804, la volonté de la France était avec Napoléon; elle abdiquait entre les mains d'un génie extraordinaire qui n'avait jusqu'alors signalé son pouvoir que par des services, et qui pouvait en rendre encore en défendant la Révolution contre les implacables rancunes de l'Angleterre et des vieilles monarchies du continent. Mais si l'entraînement de la France était naturel, n'était-ce pas au chef de l'État à le contenir, à le modérer? Ne lui eût-il pas été utile de conserver un peu de cette liberté politique dont on avait abusé, mais dont le désir et le besoin étaient restés au fond de bien des cœurs? Napoléon ne trouvera, dans le Sénat, dans le Corps législatif, dans l'aristocratie dont il s'entoure, pas un contradicteur durant la prospérité; y trouvera-t-il un appui dans les jours de malheur? Couronnemeut (2 décembre 1804). Napoléon, habitué à frapper les esprits par de grands spectacles, avait résolu d'étonner la France et le monde par une cérémonie imposante. Il obtint du pape ce que ni roi ni empereur n'avait encore obtenu, qu'il vînt lui-même à Paris sacrer le nouveau Charlemagne (2 décembre 1804). Pie VII fit l'onction sainte au front, sur les bras, sur les mains de l'Empereur ; mais quand il voulut prendre la couronne pour la lui poser sur la tête, Napoléon la saisit, se couronna lui-même, et, prenant ensuite celle de l'impératrice, la déposa sur son front, Joséphine fondait en larmes, troublée par cette triomphante fortune que son époux portait si fièrement.

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