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Après avoir rapporté ces paroles de M. de Chartres, vous vous élevez contre lui en cette sorte : « Non, Monseigneur, je ne mérite point de por>> ter cette honte : retranchez ce que vous ajou» tez sans le pouvoir tirer de mon texte, et >> toutes ces contradictions ridicules s'évanoui>>ront. Vous ajoutez au terme d'amour d'espé»rance, le terme de surnaturel. Vous ajoutez à >> celui d'espérance celui de surnaturelle ; en ajou» tant ainsi dans un texte, sans se gêner, il n'y >> a rien dont on ne vienne facilement à bout ». Voilà votre plainte dans toute son étendue, et du moins vous ne direz pas qu'on l'ait affoiblie. Sans entrer dans le fond de la matière, ici où il ne s'agit que de l'altération de votre texte, elle consiste à y ajouter à votre amour du troisième degré, que vous nommez l'amour d'espérance (1), le terme de surnaturel, qui non-seulement n'y est pas, mais encore n'en peut être tiré, selon vous. Mais, Monseigneur, vous ne songez pas que c'est vous-même qui ajoutez ce terme. C'est vous, dis-je, qui citant, dans votre Instruction pastorale, le passage où vous vous plaignez que M. de Chartres ajoute le terme de surnaturel, l'y avez vous-même ajouté. Reconnoissez vos paroles: «La foi nous enseigne, dites-vous, que l'espé»rance est une vertu surnaturelle (2) ». Quand donc on a ajouté le terme de surnaturel à celui de l'espérance, on n'a fait que développer ce qu'il contient nécessairement selon vous-même. Poursuivons : « l'amour de Dieu, continuez-vous, (1) Max. p. 5. — (2) Instr. past. n. 2, p. 5.

:

» qu'on nomme d'espérance, est un amour véri» tablement surnaturel » et un peu après (1): « J'ai fait deux divers degrés avec des définitions. » différentes de l'amour naturel de pure concu¬ » piscence, et de celui de l'espérance chrétienne » qui est surnaturel ». De cette sorte, que l'amour que vous appelez surnaturel, c'est manifestement l'amour d'espérance: amour dont vous faites un degré à part, distingué de celui du second degré, que vous appelez l'amour naturel de pure concupiscence. C'est, encore un coup, dé cet amour d'espérance et du troisième degré; c'est, dis-je, de cet amour que vous avez dit en termes formels deux et trois fois, qu'il étoit surnaturel étrange combat de vous-même avec vous-même! c'est vous qui appelez cet amour d'espérance surnaturel. C'est vous-même qui reprochez à M. de Chartres de lui donner le même nom: qu'est-ce qui vous fait ainsi méconnoître et désavouer vos propres discours? est-ce oubli? est-ce le plaisir de vous plaindre, ou le désir d'abattre un adversaire, ou le peu de suite de votre systême. Quoi qu'il en soit, vous insultez à M. de Chartres, comme s'il avoit un tort extrême : vous l'accusez d'ajouter, sans se géner (2), ce qu'il lui plaît à votre texte, et de donner par ce moyen une affectation naturelle pour motif aux vertus surnaturelles. Enfin, vous lui demandez: « Per>> mettriez-vous à un autre d'ajouter à ce que » vous avez écrit, pour vous faire dire les impié»tés et les extravagances que vous avez le plus (1) Instr. past. n. 2, p. 6. —(2) II. Lett. p. 54.

I.

te le décret dont il s'agit.

>> en horreur »? On ne peut pas faire à un prélat des reproches plus amers. Il se trouve cependant que ce qu'il avance est pris de vous-même. L'impiété et l'extravagance qui vous font horreur, sont contenues dans vos propres paroles. Et si c'est vous faire dire une impiété, que de vous faire appeler surnaturelle, l'espérance dont vous parlez dans vos Maximes, la piété sera donc de l'appeler naturelle : ce qui est contraire à toute sorte de langage théologique; et, comme on a vu, au vôtre même.

On pourroit, avec la même facilité, faire encore retomber sur vous les autres altérations dont vous accusez M. de Chartres. Mais nous avons à traiter des matières plus importantes, et il me suffit qu'on puisse juger par les deux exemples d'altération, que vous croyez les plus manifestes, de la foiblesse de tous les autres.

DEUXIÈME QUESTION.

Sur le concile de Trente.

On ne sait, Monseigneur, où vous avez pris On rappor- l'explication de ce décret du concile de Trente (1). << Il est constant que c'est contredire la foi ortho» doxe, que de soutenir que les justes péchent >> dans toutes leurs œuvres, si outre le désir prin» cipal que Dieu soit glorifié, ils envisagent la >> récompense éternelle pour exciter leur paresse, » et pour s'encourager à courir dans la carrière, » puisqu'il est écrit : J'ai incliné mon cœur à ac

Sess. VI. o. 15.

» complir vos justices, à cause de la récompense; » et que l'apôtre dit de Moïse, qu'il regardoit à » la récompense ».

Pour prendre une première notion du dessein de tout le décret, il faut supposer avec vousmême (1), comme avec tous les théologiens, qu'il est dressé contre Luther et les Protestans, qui nioient la bonté et l'honnêteté de l'acte d'espérance, en tant qu'il avoit en vue la récompense éternelle.

Il y a deux parties dans ce décret, dont l'une est la condamnation de l'erreur des Protestans, et l'autre en enferme la réfutation par deux exemples tirés de l'Ecriture, celui de David et celui de Moïse.

Monsieur de Chartres vous presse vivement par ces deux parties du décret (2), et vous tâchez de les éluder d'une manière qui n'a point d'exemple, en répondant de cette sorte: « Il m'a paru que » le concile ne vouloit point parler de l'espé»rance, vertu théologale commandée, puisqu'il » se contentoit de dire, de la chose dont il par»loit, qu'elle n'étoit pas un péché, et qu'il vou>>loit parler seulement de la mercénarité jointe » dans l'ame imparfaite avec cette vertu surna» turelle »>.

Permettez qu'on vous demande, Monseigneur, où vous avez pris cette explication? Est-ce dans les termes du concile? On voit bien que non, puisqu'il n'y est fait nulle mention de cette im

(1) Max. p. 19. (2) Lettr. past. de M. de Chartres, p. 44, 45, 46.

II.

Explication

nouvelle ré

futée.

parfaite mercénarité, que vous dites qu'il a eu en vue. Que si vous dites qu'elle y doit être sousentendue, contre la suite des paroles; on vous fera avec respect une autre demande, si parmi tant d'auteurs qui ont cité ce décret, vous en pouvez trouver un seul qui ait indiqué ce sens. Nonseulement vous n'en rapportez aucun qui vous favorise mais il n'y en a aucun qui ait traité de cette matière, qui ne vous soit contraire ouver

tement.

:

Tout ce qu'il y a de controversistes, et pour parler plus généralement, tout ce qu'il y a de théologiens, en traitant de la bonté et honnêteté de l'acte d'espérance chrétienne, demandent, contre les Protestans, si c'est péché que de servir Dieu dans la vue de l'éternelle récompense, et ils répondent unanimement que le contraire est expressément défini par le concile de Trente.

::

Le cardinal Bellarmin, en examinant cette question (1), après avoir proposé le sentiment de Calvin, dit que le concile de Trente a décidé le contraire Contrariam doctrinam tradit concilium tridentinum: c'est à-dire, comme il l'explique, qu'il a décidé qu'on doit agir, «< première»ment pour la gloire de Dieu, et secondement » aussi en vue de la récompense de la félicité » éternelle » : qui est l'abrégé des paroles du décret dont il s'agit.

Estius, en proposant la même question (2): S'il est permis de servir Dieu en vue de la récompense éternelle, conclut à l'affirmative; et la prouve

(1) Tom. 111. l. de Justific. v, cap. viu. — (1) Dist. 1, III, p. 3.

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