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détruira par un endroit si léger l'approbation authentique de tout un livre (1), où la suspension de l'acte de discourir est établie si amplement, si à fond, par tant de passages exprès et positifs de tous les mystiques? Où est la bonne foi parmi les hommes, si de telles chicaneries (la vérité m'arrache ce mot) sont des préjugés, et encore des préjugés décisifs?

Cette suspension des puissances est un des endroits (je ne sais pourquoi) où M. de Cambrai revient le plus souvent, et où il triomphe le plus. Il a fait une ample réponse au Mystici in tuto mais sans y parler d'un passage tranchant que j'y rapporte, où sainte Thérèse (2) et le bienheureux Jean de la Croix (3) ont dit d'un commun accord, que l'ame dans la quiétude ne pourroit pas discourir quand elle voudroit (4). Cet endroit est d'autant plus décisif qu'il est plus court, et qu'il n'y a point de locution plus forte ni plus naturelle pour exprimer une absolue impossibilité. Quand le concile de Trente veut expliquer nettement le pouvoir de résister à la grâce, il dit qu'on y peut résister si l'on veut. Lors, au contraire, que saint Augustin veut exprimer, que sans le secours, qu'il appelle sine quo, on ne pourroit pas persévérer, il répète trois à quatre fois, qu'on ne le pourroit pas quand on le voudroit: sine quo non poterant

(1) Etats d'Or. liv. vi. - (2) Chat. de l'ame, 6.e dem. ch. v. (3) Vive flamm. Cant. 3. 3. . §. 6. - (4) Myst. in tut. n. 101, 173.

perseverare si vellent (1). De même, sainte Thérèse et le bienheureux Jean de la Croix concourent à exprimer la suspension absolue mais passagère du discours, par dire tout court, qu'on n'y peut pas discourir quand on le voudroit. Des préjugés aussi légers que ceux de M. de Cambrai nous feront-ils abandonner des autorités si précises? Mais quoi, faudra-t-il aussi oublier la véritable impuissance qu'il a lui-même reconnue à l'égard de la prière vocale (2)? ou dans les dernières épreuves, qu'une ame devient incapable de tout raisonnement, jusque-là qu'il ne s'agit plus de raisonner avec elle (3) ? Qu'est-ce qu'une incapacité poussée si loin, sinon une impuissance absolue? M. de Cambrai l'admet ici, et la blâme ailleurs comme un fanatisme. Je lui ai opposé ces raisonnemens je lui ai objecté ces passages et du B. Jean de la Croix, et de sainte Thérèse, et les siens propres (4). Il les a vus dans un livre qu'il fait semblant de réfuter : il n'y répond pas un seul mot; n'est-ce pas un préjugé qu'il n'a pas pu y répondre?

Voyons maintenant ses cinq préjugés, pour savoir si le systéme s'accorde avec le livre (5).

I. Le premier est que M. de Paris, MM. Tronson, de Beaufort et Pirot l'ont trouvé conforme (6) donc, etc. Quelle foiblesse ! premièrement, de vouloir qu'on décide par des préjugés d'un livre qu'on a entre ses mains? et seconde

3 Ibid.

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(1) De Corr. et Gr. cap. x1, x1, n. 31 et seq. tom. x, col. 767, etc. (2) Max. p. 157. p. 90. (4) Myst. in tut. n. 67, 173.(5) Prej. p. 5.-(6) Ibid. p. 5, 6.

-

IV.

Les cinq préjugés.

ment, de donner pour un préjugé décisif un sentiment démenti par actes publics?

:

II. « Cinq théologiens choisis par le Pape ( et à qui M. de Cambrai donne de grandes louanges)<< ont déclaré à Sa Sainteté, que le >> texte du livre pris dans son tout ne pouvoit » signifier qu'une doctrine très - pure (1) ». Le nombre de cinq m'étonne on diroit que M. de Cambrai n'a eu que cinq examinateurs, et tous favorables à sa doctrine: mais si d'autres semblablement nommés par le Pape, et les premiers, la jugent pernicieuse, est-ce un sujet de s'enorgueillir, d'avoir mis en division la théologie par ses ambiguités? qui d'ailleurs nous racontera l'histoire de ces divers sentimens? et qui ne sait, par l'aveu de M. de Cambrai lui-même (2), que ceux qui ont été les plus favorables à son livre, n'ont pu, tant il étoit clair, convenir avec son auteur d'un sens qu'on pût opposer unanimement à ceux qui le condamnoient: en sorte qu'ils ont entrepris de mieux entendre M. de Cambrai, qu'il ne s'entendoit lui-même : comme il prétend expliquer madame Guyon mieux qu'elle ne s'est expliquée ? Voilà le nouveau mystère de ces livres contentieux n'est-ce pas là, dans une affaire de cette importance, un préjugé bien avantageux et bien décisif?

III. Le troisième préjugé dépend du fond. Le texte du livre de M. de Cambrai se concilie sans peine avec lui-même dans le sens catholique, et au contraire on n'y pourroit insérer le sens hé

(1) Prej. p.6. (3) I. Lett. à M. de Ch. p. 55, 75, etc.

rétique sans en détacher les différentes parties (1). C'est visiblement supposer ce qui est en question: c'est, dis-je, présupposer qu'on a raison, moyennant quoi bien certainement le tort tombera sur moi et voilà ce qu'on appelle un préjugé. Mais on oublie que ce livre, dont le sens est si uniforme (2), fait une dispute parmi ses partisans, qui, au grand étonnement de la cbrétienté, n'ont pu encore convenir avec l'auteur de la manière de le défendre.

IV. Pour quatrième préjugé, M. de Cambrai nous donne une dispute entre lui et moi sur la traduction de son livre (3). Il faut revoir toutes les raisons par où je l'ai convaincu d'altération de son propre texte, en quelques endroits essentiels, sans préjudice des autres, que je n'ai pas cru devoir examiner. S'il falloit renouveler cette dispute, je n'aurois qu'à renvoyer M. de Cambrai à ce que j'en ai dit ailleurs (4), et surtout à cet argument auquel il n'a jamais répondu; que s'agissant de traduire, et non pas d'interpréter les Maximes des Saints, il n'y avoit qu'à rendre le texte de mot à mot, sans y insérer des additions que j'ai démontré être fausses. J'ajoute à cette démonstration, qu'elle convainc M. de Cambrai d'erreur manifeste.

Quand on lui reproche son sacrifice absolu dans le renoncement à l'intérêt propre éternel;

(1) Préj. p. 7, 8.. (2) I.re Lett. à M. de Ch. ibid.

P.

8,

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(3) Préj

, 9.— (4) Relat. VII. sect. n. 5. Rem. sur la Rep, à la Relat:

art. x, n. 4.

à l'intérêt propre pour l'éternité (1) il ne se sauve, qu'en disant que l'intérêt propre éternel n'est pas le salut éternel (2). Je ne répéterai plus les raisons que j'ai opposées à de si frivoles échappatoires; mais puisqu'on me rappelle aujourd'hui à la dispute sur l'altération de la version latine de son livre, elle confond manifestement M. de Cambrai ; qui au lieu de ces mots français: l'ame fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité (3); traduit en latin: absolutè proprii commodi appetitionem mercenariam, quantùm ad æternitatem pertinet, immolat: c'est-à-dire, l'ame sacrifie absolument le désir mercenaire de son intérêt propre en ce qui regarde l'éternité où l'on voit à l'œil ces deux choses: l'une est les paroles que ce prélat ajoute à son texte : l'autre, encore plus essentielle, qui est que l'on sacrifie le désir de l'intérêt propre, en tant qu'il regarde l'éternité : ce qui ne peut être sans sacrifier l'éternité même. Je n'en dirai pas davantage sur ce prétendu préjugé : c'en est un grand, je l'avoue, mais contre l'auteur, puisqu'il n'y a rien qui démontre plus l'erreur et la fausseté dans un texte, que la nécessité de l'altérer pour le rendre, si l'on pouvoit, supportable.

V. Le cinquième et dernier préjugé commence ainsi : « Le texte d'un livre doit passer pour cor»rect et pour clair, quand on ne peut, après >> une vive contestation de près de deux ans, y

(1) Rép. à quatre Lett. n. 2. Max. p. 72, 90. M. de Meaux, p. 39. — (3) Max. p. 72, 90.

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(2) I.re Lett. à

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