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Les conseils des sages sont partagés sur l'obligation où je suis de répondre à M. l'archevêque de Cambrai. Les uns disent que la matière est suffisamment éclaircie; que les faits importans demeurent établis : par exemple, qu'il est constant que ce prélat s'est désuni d'avec ses confrères pour avoir voulu excuser les livres condamnés de madame Guyon; que les tours d'esprit ne sauvent pas des faits avérés ; que séparer, comme on fait encore, l'intention d'un auteur d'avec le sens naturel, véritable, unique et perpétuel de son livre, c'est une illusion sans exemple, qui donne lieu à défendre tout ce qu'on voudra, et à éluder toutes les censures de l'Eglise : qu'on peut bien éblouir le monde pour un temps par des détours spécieux; mais qu'enfin l'illusion s'évanouit d'elle

même; et qu'après tout ce fait du dessein formé de justifier madame Guyon et sa mauvaise doctrine, est essentiel à cette matière contre M. de Cambrai, puisque c'est celui qui démontre qu'il est coupable lui seul de tout le trouble de l'Eglise, et qui détermine le vrai sens et le vrai dessein du livre de ce prélat, quand 'd'ailleurs il seroit douteux, ce qui n'est pas ainsi, qu'après avoir satisfait au devoir de développer la matière en toutes les manières possibles, et par les dogmes et par les faits, je n'ai qu'à attendre en paix la victoire qui ne peut manquer à la vérité, et le sentiment des sages qui prend toujours le dessus.

:

En effet, on sent, dans le monde, qu'ils sont rebutés par cette incroyable hardiesse de nier tout jusqu'aux faits les plus innocens, et d'assurer sans preuve tout ce qu'on veut, jusqu'à m'accuser deux et trois fois d'avoir révélé une confession générale qui ne m'a jamais été faite. Qui peut croire que M. de Paris, que M. de Chartres ; des prélats, pour taire ici leurs autres louanges, d'une piété et d'une candeur si connue, avec qui je suis uni comme on voit dans tous les actes publics, me fussent contraires en secret, jusqu'à détourner M. de Cambrai d'approuver mon livre, qu'ils ont eux-mêmes approuvé, et jusqu'à s'unir pour sauver le sien qu'ils rejetoient avec moi comme plein d'erreurs? Quand nous n'aurions que l'avantage d'être trois irréprochables. témoins d'une même vérité, et des juges qu'il a choisis, dont selon les canons il est obligé de

suivre la foi; devons-nous craindre, que les gens désintéressés nous refusent leur croyance? Pour dire un mot de moi en particulier, et sur un fait dans le fond très-indifférent, étois-je indigne d'être invité par M. de Cambrai à faire son sacre: moi qu'il appeloit, quoiqu'indigne, son père et son maître; moi à qui il avoit soumis et soumettoit sa doctrine comme à un homme en qui il regardoit non pas un très-grand docteur, car c'est ainsi qu'il daignoit parler, mais Dieu même? Cependant il se récrie contre ce fait, comme s'il étoit au-dessous de lui d'être sacré de mes mains: et au lieu que les évêques ont accoutumé de se tenir honorés par le ministère d'un consécrateur, et qu'on croit en recevoir une grâce, celui-ci ne cesse de me reprocher un empressement ridicule (1): de quoi? de faire une cérémonie? de m'autoriser davantage contre M. de Cambrai? car que peut-on imaginer dans cette occasion, qui m'ait pu faire briguer comme une faveur, l'honneur de le sacrer? Mais, après tout, je n'ai pas dessein de m'arrêter davantage à un fait de nulle importance, et je laisse à M. de Cambrai le plaisir d'en dire tout ce qu'il voudra. Ce qu'il y a d'important, c'est de bien connoître l'affectation de tout nier, et de faire finesse des moindres choses.

Ceux qui prendront les tours d'esprit pour des faits, et toutes les belles paroles pour des vérités, n'ont qu'à se livrer à M. de Cambrai il

(1) Rép. à la Relat. ch. iv, vII, p. 92, 93, 130.

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saura les mener loin. Pour passer à un autre exemple, le monde approuvera-t-il le semblant de ne pas connoître ce religieux de distinction qui voulut avec amitié lier entre nous une conférence (1), comme je l'ai raconté dans ma Relation (2)? Personne ici n'a méconnu ce religieux, et ce n'est que pour ceux qui sont éloignés que je nommerai avec honneur le Père confesseur du Roi. Il a lui-même raconté le fait à vingt personnes illustres, et avec sa noble franchise il dit encore aujourd'hui à quiconque le veut entendre, que sur la proposition de la conférence la réponse de M. de Cambrai fut beaucoup plus dure que je ne l'ai rapportée. Assurément je ne ferai pas dépendre la cause de ce fait particulier, après avoir établi les faits essentiels, par des preuves littérales et incontestables. Prendrat-on sérieusement sur une simple allégation, sans preuves et sans témoins, tout ce qu'imagine M. de Cambrai de mes hauteurs, de mes vanteries, de mes confidences, de mes perpétuels emportemens, de mes larmes feintes, et des autres faits de cette nature avancés en l'air par un homme qui est fâché de voir à la fin toutes ses finesses découvertes, et ne sait quelle raison en rendre au public? Je ne le crois pas; et plusieurs amis me conseillent de me fier à la solidité de mes preuves. D'autres disent qu'il faudroit en effet s'en tenir là, s'il n'y avoit que les ames fortes qui se mêlassent de juger de ce différend;

(1) Rép. à la Relat. ch. vi, p. 135.

si

• (2) Relat. vi. sect. n. 5.

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